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plus de poésie et d'esprit à anathématiser la poésie. Victor Hugo, en prenant en mains de nos jours la cause de l'art, n'a pas mieux dit :

L'abbé de Lamennais conserve les ruines, les restes de donjons, les tours abandonnées, tout ce qui pourrit et tombe. Que l'on construise un pont des débris délaissés de ces vieilles masures, qu'on répare une usine, il s'emporte, il s'écrie: L'esprit de la révolution est évidemment destructeur. Le jour de la création, quel bruit n'eût-il pas fait! il eût crié : Mon Dieu, conservons le chaos. » (Lettre au Censeur.)

Ceci est peu rationnel sans doute; mais quoi de plus charmant que ces mots : Mon Dieu, conservons le chaos.

Plus loin, après avoir peint le morcellement des terres et chaque paysan arrivant à posséder quelques sillons, il ajoute avec une délicate malice :

« C'est un grand mal que cela, mais on y va remédier. On va recomposer les grandes propriétés pour les gens qui ne veulent rien faire. La terre alors se reposera. Chaque gentilhomme ou chanoine aura pour sa part mille arpents à charge de dormir, et s'il ronfle, le double. >>

J'ai dit plus haut que Courier épousait avec enthousiasme les préjugés, les idées populaires de son temps; ceci souffre des restrictions. Par exemple, au milieu du paroxisme d'admiration pour l'empereur, lorsque la chanson de Bérenger n'avait

plus que des cris d'enthousiasme pour le grand c pitaine exilé, Courier n'était pas attendri par sombre aspect du rocher de Sainte-Hélène. Il ava fait la guerre; on peut lire dans la spirituelle no tice d'Armand Carrel, avec quel dégoût pour tou ce bruit, quelle profonde horreur pour ce sang ces larmes! Le comte de Maistre aurait eu bea dire à Courier que la guerre était une loi terribl imposée à l'humanité, une expiation comme tou les autres fléaux qui pèsent sur l'homme depuis s déchéance; M. Victor Cousin aurait eu beau lu dire que la guerre était civilisatrice, que la vic toire servait toujours les idées en progrès; PaulLouis aurait souri de son air bonhomme. Il ne voit, lui, dans la guerre qu'une horrible folie. Il y a un moment très curieux dans sa vie, c'est celui où, après avoir quitté la carrière militaire par ennui du tumulte et amour de la retraite et de l'étude, il se sent tout-à-coup saisi de la passion de son époque, et ébloui par l'immense éclat que jette dans le monde la puissance de Napoléon. Le canon grondait du côté de Wagram, il quitte Paris en toute hâte, et arrive dans l'île de Lobau au milieu des cadavres qui y étaient entassés: ce fut le coup de grâce. Il revint pour jamais dégoûté de la gloire. Le repos ne diminua pas ces impulsions en lui. Dans les écrits qu'il adressait à la France du fond de sa chère Touraine, on retrouve souvent le con

tempteur de la guerre. Tandis que la gloire impé

ale retentissait dans tous les refrains, Courier rivait au rédacteur du Censeur : «Parmi les causes accroissement de la population, il ne faut pas mpter pour peu le repos de Napoléon. Depuis de ce grand homme est là où son rare génie l'a ɔnduit, s'il eût continué de l'exercer, trois milons de jeunes gens seraient morts pour sa gloire, ui ont femmes et enfants maintenant; un million erait sous les armes, sans femmes, corrompant elles des autres. Il est donc force en toute façon que le peuple croisse; ainsi fait-il, ayant repos, iens et chevances, peu de soldats et point de noines.»

Cette question de communautés religieuses est une de celles que le bon Courier n'a vue que par un coin. Pour lui, un couvent n'est qu'une 'collection de débauchés, très gourmets de l'argent du pauvre. Il a pris l'abus pour la chose, voilà tout; il a étudié l'histoire des moines dans Rabelais. Mais l'époque pour laquelle j'écris n'a, Dieu merci, pas besoin que je réfute sérieusement les facéties du vigneron.

Sa rancune contre Napoléon revient souvent. Écoutons-le dans son énergique peinture de la

cour:

<< Ne sait-on pas d'ailleurs que c'est un lieu fangeux où la vertu respire un air empoisonné», comme dit le poëte, et aussi ne demeure guère. Ce qui s'y passe est connu; on y dispute des prix de différentes sortes

et valeurs dont le total s'élève chaque année à plus de huit cents millions. Voilà de quoi exciter l'émulation sans doute, et l'objet de ces prix anciennement fondés, depuis peu renouvelés, accrus, multipliés par Napoléon-le-Grand, c'est de favoriser et de récompenser avec une royale munificence toute espèce de vice, tout genre de corruption. »

La pensée dominante de Paul-Louis Courier est de défendre les petits contre les courtisans et les nobles. Tous les ridicules aristocratiques de ces années se pavanent dans ses livres : « J'étais là le plus petit des grands propriétaires, ne sachant où me placer parmi tant d'honnêtes gens qui payaient plus que moi, quand je trouvai, devinez qui? Cadet Roussel, vieille connaissance, à qui je dis, en l'abordant: Qu'as-tu, Cadet? puis je me repris, qu'avezvous, monsieur de Cadet? (car c'est sa nouvelle fantaisie de mettre un de avant son nom, depuis qu'il est éligible et maire de sa commune). »

« Je vois la haute société, ou je la verrai bientôt, du moins, car mon fils me doit présenter chez ses parents. Qui? quels parents? - Eh oui, mon fils de La Rousselière se marie, ne le savez-vous point? Il épouse une fille d'une famille.... Ah! il sera dans peu quelque chose. J'espère par son moyen arranger tout. J'entends, vous voudrez par son moyen voir la haute société et ne point restituer. Justement, garder l'hôtel de chose et y recevoir le marquis? c'est cela. -Vous aurez de la peine. »

Cet instinct des intérêts du peuple est le fond de tous les écrits de Paul-Louis; de là son estime profonde pour les travailleurs qui baignent la terre de leurs sueurs, son aversion pour les oisifs et les riches qui se nourrissent du labeur des pauvres. Soit qu'il s'adresse aux chambres pour plaider la cause des humbles conspirateurs de la petite commune de Luyan, soit qu'il s'oppose dans son Simple discours au cadeau royal de Chambord, c'est toujours la même verve caustique contre les courtisans et la noblesse; tout cela couvert de cette bonhomie délicieuse qui aurait bien pu attendrir aussi la servante de La Fontaine. Et puisque nous avons écrit ce nom, remarquons en passant la parenté de ces deux hommes. C'est l'esprit de La Fontaine qui revit dans les pamphlets de Courier. « Là tout le monde sert ou veut servir. L'un présente la serviette, l'autre le vase à boire. Chacun reçoit ou demande salaire, tend la main, se recommande, supplie. Mendier n'est pas honte à la cour, c'est toute la vie du courtisan. Dès l'enfance, appris à cela, roué à cet état par honneur, il s'en acquitte bien autrement que ceux qui mendient par paresse ou nécessité.... Gueux à la besace, que peut-on faire? Le courtisan mendie en carrosse à six chevaux, et attrape plutôt un million que l'autre un morceau de pain noir. >>

Les choses gracieuses et spirituelles sont en si grand nombre, que l'on éprouve un vif désir de ci

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