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PREMIÈRE PARTIE.

POLITIQUE.

THÉORIES SOCIALES.

II

École absolutiste.-M. de Bonald.

Les excès terribles où fut entraînée la souveraineté populaire à la fin du dernier siècle, devaient ramener par l'effroi les esprits élevés de notre nation à la recherche de la vérité politique. Cette législation révolutionnaire d'où Dieu avait été arraché, et dont chaque page était trempée dans le sang, fut soumise à l'examen de la philosophie; et comme toujours, les théoriciens qui lui succédèrent se jetèrent dans l'excès opposé.

Toutefois, avant d'entrer dans l'examen critique de quelques unes de leurs théories, j'éprouve le

besoin de dire hautement que personne n'a défendu avec cette éloquence la nécessité de réintégrer Dieu dans la loi. «Sans vouloir ici justifier en détail les principes de la législation dont je présente une esquisse, dit M. de Bonald dans le discours préliminaire de la Législation primitive, je prie le lecteur de réfléchir à cet axiome qui la commence, et qu'on peut regarder comme le fondement de l'ordre social: «La souveraineté est en Dieu.... Le pouvoir est de Dieu. » Il trouvera à la fois dans cette proposition le principe de la souveraineté, la source du pouvoir, l'origine des lois. Elle donne à l'homme une haute idée de sa dignité, en lui rappelant qu'il est par sa nature indépendant de l'homme et sujet de Dieu seul; elle donne au pouvoir une idée sévère de ses devoirs, en lui apprenant qu'il tient son autorité de Dieu même, et qu'il lui doit compte de l'usage qu'il en fait; elle lui dit que s'il néglige de légitimer sa puissance, en l'employant à faire régner les lois naturelles ou divines des sociétés, il cesse d'être le ministre de la bonté de Dieu sur les hommes, et il n'est plus que l'instrument de sa justice.

>>

Il n'est pas un écrivain sérieux qui rejette aujourd'hui le couronnement sublime que M. de Bo nald impose à l'édifice de sa législation. Personne ne soutiendra, je pense, que le pouvoir puisse avoir sa source dans la pensée si incertaine, dans la conscience si faible de l'homme; et tous reconnat

tront l'éternelle vérité de l'antique axiome: tout pouvoir vient de Dieu, omnis potestas à Deo.-Les faits confirment cette assertion; le plus illustre défenseur des théories démocratiques, M. de Lamennaís, a proclamé dans l'Avenir la haute vérité sociale enseignée par M. de Bonald à la tête de sa Législation primitive. Il y a peu de temps M. Guizot, avec les mots de justice et de raison, a soutenu la même théorie; car, pour un esprit attentif, la justice et la raison de M. Guizot ne sont autre chose que Dieu lui-même; et un écrivain du National, répondant à M. Guizot, a consacré le même principe, en employant des termes en harmonie avec les habitudes de ses lecteurs, que la philosophie de M. de Bonald effraierait.

Tous les partis s'entendent donc aujourd'hui sur le principe, sur l'origine du pouvoir, qui est Dieu. Reste l'immense difficulté de l'application; et quelle que soit notre insuffisance à prévoir l'avenir, nous craignons que l'on discute bien longtemps encore sur ce sujet dans la cité des hommes.

M. de Bonald a vu dans la famille l'origine de l'État, et il compare le roi au père. En vérité, je ne saurais me rendre aux raisons que le célèbre publiciste expose avec son éloquence accoutumée. Le père reçoit de Dieu un caractère qu'il est impossible de discuter; mais le roi est-il né avec un signe au front qui l'impose comme prince à la foule? Ecoutons M. de Bonald dans sa démonstration phi

losophique du principe constitutif de la société : Aussi, dit-il, les premiers rois conservèrent-ils tous les caractères du père de famille. Il y eut en Egypte des dynasties de rois-pasteurs; les trônes, dans l'Orient, furent et sont encore le lit où le vieillard reposait ses membres fatigués; le sceptre était le bâton qui affermissait ses pas chancelants, et le diadème le bandeau qui couvrait son front dégarni.

>> Y a-t-il dans cette origine naturelle, et on peut dire historique du pouvoir public, la plus légère trace de souveraineté populaire? et le peuple qui, comme dit Montesquieu, a toujours trop ou trop peu d'action, avec cent mille bras quelquefois renverse tout, et avec cent mille pieds ne va que comme un insecte; le peuple n'a-t-il pas été trop heureux d'obéir à qui a su diriger son action et régler ses mouvements? Veut-on qu'il ait appelé lui-même celui qui devait le sauver ? mais alors cet homme s'était fait connaître à lui par des qualités qui avaient subjugué son admiration, et ne lui avaient plus laissé la liberté du choix. C'était un pouvoir secrètement conçu dans la société, et qui attendait le moment d'éclore, comme, dans nos sociétés, l'enfant-roi encore dans le sein de sa mère. »

Sans doute l'ascendant du génie peut être tel qu'il ôte à la foule la faculté d'élire un autre chef; mais examinons d'où vient cet empire. Le génie éblouit l'imagination, convainc la raison, qui dé

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