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prendra à faire le difcernement de ceux avec qui ils doivent lier quelque commerce, & dont l'émulation les portera à imiter leur fageffe & leurs vertus. Ainfi je vais entrer en matiére: c'est à vous de pénétrer dans mon fens, & d'examiner avec attention, si la vérité fe trouve dans mes paroles; & fans faire une plus longue Préface, je parlerai d'abord de la Diffimulation, je définirai ce vice, je dirai ce que c'eft qu'un homme diffimulé; je décrirai fes mœurs, & je traiterai enfuite des autres paffions, fuivant le projet que j'en ai fait.

CHAPITRE. I.

De la Diffimulation.

A (a) diffimulation n'eft pas aifée Là à bien définir : fi l'on fe contente d'en faire une fimple description, l'on peut dire que c'eft un certain art de compo

(a) L'Auteur parle de celle qui ne vient pas de la prudence, & que les Grecs appelloient Ironie.

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compofer fes paroles & fes actions pour une mauvaise fin. Un homme diffimulé fe comporte de cette maniére; il aborde ses ennemis, leur parle, & leur fait croire par cette démarche qu'il ne les hait point: il loue ouvertement & en leur préfence (1) ceux à

qui

(1) Ceux à qui il dreffe de fecretes embûches: La Bruyere fuit ici Cafaubon, l'un des plus judicieux & des plus favans Commentateurs des Caractères de Théophrafte. Selon Duport, qui étoit Profeffeur en Grec dans l'Univerfité de Cambridge fous le régne de Charles I. & qui compofa fur le même Ouvrage, de longues & favantes Differtations que Needham a enfin communiquées au Public en 1712, il fe -roit peut-être mieux de traduire ainfi : Le Dif fimulé loue ouvertement & en leur préfence ceux dont il déchire la réputation en leur abfence: Coram laudat præfentes & in os, quos clàm abfentes fuggillat, infectatur, & reprehendit. Ce Savant croit que l'oppofition entre louer un homme en fa présence, & le noircir en fon abfence , peut contribuer à autorifer ce fenslà. Mais l'explication de Cafaubon me paroît préférable, parce qu'elle donne une idée plus forte & plus naturelle de l'impofteur, qui fait le fujet de ce Chapitre. Pour l'antithèle, on fait que les Ecrivains judicieux ne la cherchent jamais; & que s'ils l'emploient, ce n'eft que lorfqu'elle fe préfente naturellement, fans farder, ou affoiblir leur peniée.

qui il dreffe de fecretes embûches, & il s'afflige avec eux, s'il leur eft arrivé quelque difgrace. Il femble pardonner les difcours offenfans que l'on lui tient: il récite froidement les plus horribles chofes que l'on aura dites contre fa réputation; & il emploie les paroles les plus flatteufes pour adoucir ceux qui fe plaignent de lui, & qui font aigris par les injures qu'ils en ont reçues. S'il arrive que quelqu'un l'aborde avec empreffement, il feint des affaires, & il lui dit de revenir une autre fois. Il cache foigneufement tout ce qu'il fait ; & à l'entendre parler, on croiroit toujours qu'il délibére. II ne parle poin indifféremment, il a fes raifons pour dire tantôt qu'il ne fait que revenir de la campagne, tantôt qu'il eft arrivé à la Ville fort rard, & quelquefois qu'il eft languiffant, ou qu'il a une mauvaife fanté. Il dit à celui qui lui emprunte de l'argent à intérêt, ou qui le prie de contribuer (b) de fa part à une fomme que fes amis confentent de lui prêter, qu'il ne vend rien,

(b) Cette forte de contribution étoit fréquente à Athènes, & autorifée par les Loix.

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rien, qu'il ne s'est jamais vû fi dénué d'argent, pendant qu'il dit aux autres que le commerce va le mieux du monde, quoi qu'en effet il ne vende rien. Souvent après avoir écouté ce que l'on lui a dit, il veut faire croire qu'il n'y a pas eu la moindre attention: il feint de n'avoir pas apperçu les chofes où il vient de jetter les yeux, ou s'il est (2) convenu d'un fait, de ne s'en plus fouvenir. Il n'a pour ceux qui lui parlent d'affaires, que cette feule réponfe, j'y penferai. Il fait de certaines chofes, il en ignore d'autres: il eft faili d'admiration : d'autres fois il aura pen

(2) S'il s'agit ici, comme le prétend Cafaubon, d'un accord, d'un pacte que l'Impofteur avoit fait actuellement, il faudroit traduire, & après avoir fait un accord, il feint de ne s'en plus fouvenir. La Bruyere n'auroit peut-être pas mal fait de fuivre cette idée : mais fon explication, plus vague & plus générale que celle de Cafaubon, échappera du moins à la critique de ceux qui croyent qu'ici le terme de l'Original [ooroy] fignifie fimplement reconnoître, avouer; car dire de l'Impofteur dont parle Théophrafte, qu'il eft convenu d'un fait, c'eft dire qu'il en a reconnu la vérité, qu'il ανομέ que ce fait étoit alors tel qu'on le lui repréfentoit.

fé comme vous fur cet évenement, & cela felon fes différens intérêts. Son langage le plus ordinaire eft celui ci : Je n'en crois rien, je ne comprens pas que cela puiffe être, je ne fai où j'en fuis, ou bien, il me femble que je ne fuis pas moi-même ; & enfuite, ce n'eft pas ainfi qu'il me l'a fait entendre: voilà une chofe merveilleufe, & qui passe toute créance: contez cela à d'autres, dois-je vous croire? ou me perfuaderai-je qu'il m'ait dit la vérité? Paroles doubles & artificieuses, dont il faut fe défier comme de ce qu'il y a au monde de plus pernicieux. Ces maniéres d'agir ne partent point d'une ame fimple & droite, mais d'une mauvaise volonté, ou d'un homme qui veut nuire le venin des afpics eft moins à craindre.

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CHAPITRE II.

De la Flatterie.

A flatterie eft un commerce honL teux qui n'eft utile qu'au flatteur. Si un flatteur fe promene avec quelqu'un dans la place: Remarquez-vous,

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