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souvenance

Qu'en un pré de moines passant, La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,

Quelque diable aussi me poussant, Je tondis de ce pré la largeur de ma langue :

Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.'

A ces mots, on cria haro sur le baudet. Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue

Qu'il fallait dévouer ce maudit animal, Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout le mal.

Sa peccadille fut jugée un cas pendable.

Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable!

Rien que la mort n'était capable D'expier son forfait. On le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,

Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

La Fontaine.

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Le député vint donc, et fit cette harangue:

Romains, et vous, sénat, assis pour : m'écouter,

Je supplie, avant tout, les dieux de m'assister:

Veuillent les Immortels, conducteurs de ma langue,

Que je ne dise rien qui doive être repris!

Sans leur aide, il ne peut entrer dans les esprits

Que tout mal et toute injustice: Faute d'y recourir, on viole leurs lois, Témoin nous, que punit la romaine avarice:

Rome est par nos forfaits, plus que par ses exploits,

L'instrument de notre supplice. Craignez, Romains, craignez que le ciel quelque jour

Ne transporte chez vous les pleurs et la misère;

Et, mettant en nos mains, par un juste retour,

Les armes dont se sert sa vengeance sévère,

Il ne vous fasse, en sa colère, Nos esclaves à votre tour. Rien ne suffit aux gens qui nous viennent de Rome:

La terre et le travail de l'homme Font pour les assouvir des efforts superflus.

Retirez-les on ne veut plus Cultiver pour eux les campagneз. Nous quittons les cités, nous fuyons aux montagnes;

Nous laissons nos chères compagnes,

Nous ne conversons plus qu'avec des

ours affreux,

Découragés de mettre au jour des malheureux,

Et de peupler pour Rome un pays qu'elle opprimę.

Quant à nos enfants déjà nés, Nous souhaitons de voir leurs jours bientôt bornés;

Vos préteurs au malheur nous font joindre le crime.

Retirez-les: ils ne nous apprendront
Que la mollesse et que le vice;
Les Germains comme eux deviendront
Gens de rapine et d'avarice.
C'est tout ce que j'ai vu dans Rome à
mon abord.

N'a-t-on point de présents à faire, Point de pourpre à donner? C'est en vain qu'on espère

Quelque refuge aux lois: encor leur ministère

A-t-il mille longueurs. Ce discours un peu fort

Doit commencer à vous déplaire :
Je finis. Punissez de mort

Une plainte un peu trop sin-
cère.'

A ces mots il se couche; et chacun étonné

Admire le grand cœur, le bon sens, l'éloquence

Du sauvage ainsi prosterné.
La Fontaine.

§ 12.

Un songe (me devrais-je inquiéter d'un songe?)

Entretient dans mon cœur un chagrin qui le ronge;

Je l'évite partout, partout il me poursuit.

C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit :

Ma mère Jézabel devant moi s'est montrée,

Come au jour de sa mort, pompeusement parée.

Ses malheurs n'avaient point abattu sa fierté;

Même elle avait encor cet éclat emprunté

Dont elle eut soin de peindre et d'orner

son visage,

Pour réparer des ans l'irréparable

outrage.

'Tremble,' m'a-t-elle dit, 'fille digne de moi!

Le cruel Dieu des Juifs l'emporte aussi sur toi.

Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,

Ma fille.' En achevant ces mots épouvantables,

Son ombre vers mon lit a paru se baisser;

Et moi, je lui tendais les mains pour l'embrasser;

Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mélange

D'os et de chair meurtris et traînés dans la fange,

Des lambeaux pleins de sang, et des membres affreux

Que des chiens dévorants se disputaient Racine.

entre eux.

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De rage et de douleur le monstre bondissant

Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant,

Se roule, et leur présente une gueule enflammée

Qui les couvre de feu, de sang et de fumée. Racine.

$ 14.

Pourquoi ces éléphants, ces armes, ce bagage,

Et ces vaisseaux tout prêts à quitter le rivage?'

Disait au roi Pyrrhus un sage confident,

Conseiller très-sensé d'un roi très-imprudent.

Je vais,' lui dit ce prince, à Rome où l'on m'appelle.' "Quoi faire?"L'assiéger.' 'L'entreprise est fort belle,

Et digne seulement d'Alexandre ou de vous;

Mais, Rome prise enfin, seigneur, où courons-nous?'

Du reste des Latins la conquête est facile.'

'Sans doute on les peut vaincre : estce tout?' 'La Sicile

De là nous tend les bras, et bientôt sans effort

Syracuse reçoit nos vaisseaux dans son port.'

'Bornez-vous là vos pas?' 'Dès que nous l'aurons prise,

Il ne faut qu'un bon vent, et Carthage est conquise.

Les chemins sont ouverts: qui peut nous arrêter?'

'Je vous entends, seigneur, nous allons tout dompter:

Nous allons traverser les sables de Libye, Asservir en passant l'Egypte, l'Arabie, Courir delà le Gange en de nouveaux pays,

Faire trembler le Scythe au bord du Tanaïs,

Et ranger sous nos lois tout ce vaste hémisphère.

Mais, de retour enfin, que prétendezvous faire?'

'Alors, cher Cinéas, victorieux, contents,

Nous pourrons rire à l'aise, et prendre du bon temps.'

Eh! seigneur, dès ce jour, sans sortir de l'Épire,

Du matin jusqu'au soir qui vous défend de rire?' Boileau.

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Dans nos jours passagers de peine et de misères,

Enfants d'un même Dieu, vivons du moins en frères;

Aidons-nous l'un et l'autre à porter nos fardeaux:

Nous marchons tous courbés sous le

poids de nos maux;

Mille ennemis cruels assiégent notre vie,

Toujours par nous maudite et toujours si chérie,

Quelquefois, dans nos jours consacrés aux douleurs,

Par la main du plaisir nous essuyons nos pleurs;

Mais le plaisir s'envole et passe comme une ombre:

Nos chagrins, nos regrets, nos pertes sont sans nombre.

Notre cœur égaré, sans guide et sans appui,

Est brûlé de désirs ou glacé par l'ennui.

Nul de nous n'a vécu sans connaître les larmes.

De la société les secourables charmes Consolent nos douleurs au moins quel

ques instants:

Remède encor trop faible à des maux si constants,

Ah! n'empoisonnons pas la douceur qui nous reste.

Je crois voir des forçats dans leur cachot funeste,

Se pouvant secourir, l'un sur l'autre acharnés,

Combattre avec les fers dont ils sont enchaînés.

Voltaire.

$ 19.

Sachez surtout que le luxe enrichit Un grand État, s'il en perd un petit.

Cette splendeur, cette pompe mondaine,

D'un règne heureux est la marque certaine.

Le riche est né pour beaucoup dépen

ser;

Le pauvre est fait pour beaucoup

amasser.

Dans ces jardins regardez ces cascades,

L'étonnement et l'amour des naïades, Voyez ces flots dont les nappes d'argent

Vont inonder ce marbre blanchissant; Les humbles prés s'abreuvent de cette onde;

La terre en est plus belle et plus féconde.

Mais de ces eaux si la source tarit, L'herbe est séchée, et la fleur se flétrit.

Ainsi l'on voit en Angleterre, en France,

Par cent canaux circuler l'abondance. Le goût du luxe entre dans tous les rangs:

Le pauvre y vit des vanités des grands;

Et le travail, gagé par la mollesse, S'ouvre à pas lents la route à la richesse.

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