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Jui amenât son cheval; puis, indiquant du doigt la route de Fontainebleau, il ne dit que ces seules paroles :-'Allons, messieurs, en route.' Et cet homme de fer partit impassible, comme si toute fatigue devait s'émousser sur son corps, et toute douleur sur son âme.-A. Dumas.

150. Ce grand nom de Florence sonne plus haut mon esprit et à mon cœur que le nom de Rome elle-même, la ville éternelle. Rome, en effet, c'est le tombeau solennel du vieil univers païen; Florence, c'est le glorieux berceau du monde nouveau, à l'instant où l'Europe chrétienne s'éveillait aux beaux-arts et commençait à reconnaître par un sourire Dante et MichelAnge, comme fait pour sa mère le jeune Marcellus dans Virgile. Florence, c'est la mère patrie de toutes poésies, de tous les arts qui ne sont ni la poésie ni les arts de l'antiquité. Elle a découvert, tout comme Christophe Colomb, son nouveau monde; non pas seulement, comme le Génois, le monde des diamants, de l'or, des esclaves et des perles, mais le monde à part des intelligences, errant pêle-mêle, au hasard, dans la poussière et dans la nuit du moyen âge. La première, elle a poussé ce grand cri qui a réveillé Michel-Ange et Galilée, et déchiré du haut en bas, non pas le voile du temple, mais des ténèbres bien autrement épaisses, la barbarie. Florence! voilà donc Florence devant nous! Figurez-vous un palais de pierres légèrement posé sur des fleurs, si bien que les fleurs la portent sans courber la tête, cette noble maison, musée au dedans, forteresse au dehors. Elle a été bâtie en effet sur un champ de lis et de roses, sans étouffer ni les roses ni les lis. Elle s'abrite, en véritable Italienne câline et coquette, entre deux collines chargées d'oliviers, de vignobles, de grenadiers en fleurs; elle a, pour admirer sa beauté doucement hâlée, l'Arno aussi fier et non moins élégant que la Seine parisienne.-Janin.

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du crime et de l'esclavage. Les nègres et les négresses avaient l'air indifférent comme le public qui les regardait. Le crieur, qu'on me dit bien reçu dans la société, faisait, d'un air badin, valoir les qualités d'un nègre très-intelligent, jardinier de première force. Les acheteurs s'approchaient des hommes, des femmes et des enfants, ouvraient leur bouche et considéraient leurs dents, puis on enchérissait, et......adjugé. A vingt pas, en même temps, absolument de la même manière, on vendait à l'enchère un âne. On a vendu aussi un cheval. Le prix de l'homme a été 70 dollars, le cheval a coûté deux dollars de plus. Je me garderai bien d'ajouter la moindre réflexion à ce récit.-Ampère.

152. Ne me dites pas, à moi, que l'étude des lois naturelles et la recherche des causes refroidissent le cœur et retardent l'essor de la pensée, je ne vous croirais pas; car, si peu qu'on regarde la source ineffable des éternels phénomènes, je veux dire la logique et la magnificence de Dieu, on est ébloui d'admiration devant son œuvre......Croyez-vous que ce chêne dont le magnifique branchage vous porte à la rêverie perdrait dans votre esprit, si vous aviez examiné le frêle embryon qui l'a produit, et si vous aviez suivi les lois de son développement au sein des conditions propices que la Providence universelle lui a préparées? Pensez-vous que cette mousse dont nous foulons le frais velours cesserait de vous plaire le jour où vous découvririez à la loupe le fini merveilleux de sa structure et les singularités ingénieuses de sa fructification? Il y a plus: une foule d'objets qui vous semblent insignifiants, disparates ou incommodes dans le paysage, prendraient de l'intérêt pour votre esprit, et même pour vos yeux, si vous y lisiez l'histoire de la terre écrite en caractères profonds et indélébiles. George Sand.

153. Une grande révolution s'opère parmi nous; tous la voient, mais tous ne la jugent pas de même. Les uns la considèrent comme une chose nouvelle, et, la prenant pour un accident, ils espèrent encore pouvoir l'arrêter, tandis que d'autres la jugent irrésistible, parce qu'elle leur paraît le fait le plus continu, le plus ancien et le plus permanent que l'on connaisse

dans l'histoire. Je me reporte, pour nn moment, à ce qu'était là France il y a sept cents ans; je la trouve partagée entre un petit nombre de familles qui possèdent la terre et gouvernent les habitants. Le droit de commander descend alors de génération en génération avec les héritages; les hommes n'ont alors qu'un seul moyen d'agir les uns sur les autres, la force; on ne découvre qu'une seule origine de la puissance, la propriété foncière. Mais voici le pouvoir politique du clergé qui vient à se fonder et bientôt à s'étendre; le clergé ouvre ses rangs à tous, au pauvre comme au riche, au roturier comme au seigneur; l'égalité commence à pénétrer par l'église au sein du gouvernement, et celui qui eût végété comme serf dans un éternel esclavage se place comme prêtre au milieu des nobles, et va souvent s'asseoir au-dessus des rois. La société devenant avec le temps plus civilisée et plus stable, les différents rapports entre les hommes deviennent plus compliqués et plus nombreux. Le besoin des lois civiles se fait vivement sentir: alors naissent les légistes; ils sortent de l'enceinte obscure des tribunaux et vont siéger dans la cour des princes, à côté des barons féodaux couverts de fer et d'hermine. Les rois se ruinent dans les grandes entreprises, les nobles s'épuisent dans les guerres privées, les roturiers s'enrichissent dans le commerce; le négoce est une source nouvelle qui s'ouvre à la puis

sance.

154.-Peu à peu les lumières se répandent, on voit se réveiller le goût de la littérature et des arts; l'esprit devient alors un élément de succès, la science un moyen de gouvernement et l'intelligence une force sociale. En France, les rois se sont montrés les plus constants niveleurs; quand ils ont été ambitieux et forts, ils ont travaillé à élever le peuple au niveau des nobles, et quand ils ont été modérés et faibles ils ont permis que le peuple se plaçât au-dessus d'eux-mêmes; les uns ont aidé la démocratie par leurs talents, les autres par leurs vices. Enfin,

quand on parcourt les pages de notre histoire, on ne rencontre pas de grands événements qui, depuis sept cents ans, n'aient tourné au profit de l'égalité. Les croisades et les guerres des Anglais déciment les nobles et divisent leurs terres; l'institution des communes

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introduit la démocratie au sein de la monarchie féodale. Serait-il sage de croire qu'un mouvement qui vient de si loin pourra être suspendu par les efforts d'une génération? Pense-t-on qu'après avoir vaincu les rois, détruit la féodalité la démocratie reculera devant les bourgeois et les riches?A. de Tocqueville.

155.-Le Sully tenait sa proue sur Gênes; la cité superbe sortait de la mer, au pied des Apennins; ses côtes lointaines semblaient semées de points blancs et lumineux; ces points grossissaient à chaque élan du navire. Après quelques heures, la ville se découvrit avec toute magnificence; elle élevait son front dans une atmosphère de rayons et baignait ses pieds dans le golfe de Ligurie. Nous en étions bien loin encore et nous pouvions déjà distinguer ses édifices gigantesques, son phare, ses fortifications aériennes, ses couvents, ses dômes, ses clochers, ses villas suspendues sur la mer. Rien n'annonce mieux l'Italie que Gênes; c'est le digne portique de marbre de cette éternelle galerie qui finit au golfe de Tarente; c'est le péristyle de ce musée qui expose ses tableaux, ses statues, ses villes, sur la muraille des Apennins; et rafraîchit son atmosphère avec les brises croisées de ses deux mers. En entrant dans le port, je l'avoue, je ne fus nullement frappé, comme tant de voyageurs, par le souvenir de la gloire des doges; j'ai toujours été fort peu touché de la gloire des doges. Un point de vue matériel absorbait alors mes regards; j'avais en face le plus beau décor de cinquième acte de drame qu'on puisse imaginer. C'était un palais qui s'avançait jusque sur la mer et qui laissait réfléchir, au miroir d'une eau calme, sa belle colonnade de marbre blanc. Cet édifice me parut complètement désert; la solitude lui donnait une physionomie touchante: car, ainsi posé,- ainsi beau, de quelles scènes de joie et de mouvement devait-il avoir été le théâtre! A cette heure, il s'offrait à moi comme un vaste tombeau où quelque ombre de roi dormait au doux bruit des orangers et des vages.-Méry.

tout

156.-Un soir comme la pluie tombait à flcts, on dit qu'une vieille femme, qui passait dans le pays pour sorcière, et qui habitait une pauvre cabane

dans la forêt de Saint-Germain, entendit frapper à sa porte; elle ouvrit, et vit un cavalier qui lui demanda l'hospitalité. Elle mit son cheval dans une grange et le fit entrer. A la clarté d'une lampe fumeuse, elle vit que c'était un jeune gentilhomme. La personne disait la jeunesse, l'habit disait la qualité. La vieille femme alluma du feu, et demanda au gentilhomme s'il désirait manger quelque chose. Un estomac de seize ans est comme un cœur du même âge, trèsavidé et peu difficile. Le jeune homme accepta. Une bribe de fromage et un morceau de pain noir sortit de la huche: c'était toute la provision de la vieille.

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Je n'ai rien de plus,' dit-elle au jeune gentilhomme, voilà ce que me laissent à offrir aux pauvres voya geurs la dîme et les impôts; sans compter que les manants d'alentour me disent sorcière et vouée au diable, pour me voler, en sûreté de conscience, les produits de mon pauvre champ.' 'C'est, ma foi, bien dur,' dit le gentilhomme, et si je devenais jamais roi de France, je supprimerais les impôts et ferais instruire le peuple.' 'Dieu vous entende!' répondit la vieille. A ce mot, le gentilhomme s'approcha de la table pour manger; mais au même instant un nouveau coup frappé à la porte l'arrêta. La vieille ouvrit et vit encore un cavalier percé de pluie, et qui demanda l'hospitalité. L'hospitalité lui fut accordée, et le cavalier étant entré, il se trouva que c'était encore un jeune homme, et encore un gentilhomme. 'C'est vous, Henri,' dit l'un. 'Oui, Henri,' dit l'autre. Tous deux s'appelaient Henri. La vieille apprit dans leur entretien qu'ils étaient d'une nombreuse partie de chasse, menée par le roi Charles IX, et que l'orage avait dispersée.' 'La vieille,' dit le second venu, n'as-tu pas autre chose à nous donner?' Rien,' répondit-elle. Alors,' dit-il, nous allons partager.' Le premier Henri fit la grimace; mais, regardant l'œil résolu et la prestance nerveuse du second Henri, il dit d'une voix chagrine: Partageons done!' Il y avait, après ces paroles, cette pensée qu'il n'osa dire: Partageons de peur qu'il ne prenne tout.'

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157.-Ils s'assirent donc en face l'un de l'autre, et déjà l'un des deux allait couper le pain avec sa dague, lors

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qu'un troisième coup fut frappé à la porte. La rencontre était singulière: c'était encore un gentilhomme, encore un Henri. La vieille se mit à les considérer avec surprise. Le premier voulut cacher le fromage et le pain, le second les replaça sur la table, et posa son épée à côté. Le troisième Henri sourit. Vous ne voulez donc rien me donner de votre souper,' dit-il; je puis attendre, j'ai l'estomac bon.' 'Le souper,' dit le premier Henri, ‘appartient de droit au premier occupant.' Le souper,' dit le second, appartient à qui sait mieux le défendre.' troisième Henri devint rouge de colère, et dit fièrement: Peut-être appartientil à celui qui sait mieux le conquérir.' Ces paroles furent à peine dites que le premier Henri tira son poignard, les deux autres leurs épées. Comme ils allaient en venir aux mains, un quatrième coup est frappé, un quatriemè jeune homme, un quatrième gentilhomme, un quatrième Henri fut introduit. A l'aspect des épées nues, il tire la sienne, se met du côté le plus faible et attaque à l'étourdie. vieille se cache épouvantée, et les épées vont fracassant tout ce qui se trouve à leur portée. La lampe tombe, s'éteint, et chacun frappe dans l'ombre. Le bruit des épées dure quelque temps, puis s'affaiblit graduellement, et finit par cesser tout fait. Alors la vieille se hasarde de sortir de son trou, rallume la lampe, et voit les quatre jeunes gens étendus par terre, avec chacun une blessure. Elle les examine: la fatigue les avait plutôt renversés que la perte de leur sang. Ils se relèvent l'un après l'autre, et, honteux de ce qu'ils viennent de faire, ils se mettent à rire et se disent: 'Allons, soupons de bon accord et sans rancune."

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158. Mais lorsqu'il fallut trouver le souper, il était par terre, foulé aux pieds, souillé de sang. Si mince qu'il fût, on le regretta. D'un autre côté, la cabane était dévastée, et la vieille, assise dans un coin, fixait ses yeux fauves sur les quatre jeunes gens. Qu'as-tu à nous regarder?' dit le premier Henri, que ce regard troublait. 'Je regarde vos destinées écrites sur vos fronts,' répondit la vieille. Le second Henri lui commanda durement de les lui révéler, les deux derniers l'y engagèrent en riant. La vieille répondit: Comme vous êtes réunis tous quatre dans cette cabane, vous serez

réunis tous quatre dans une même destinée. Comme vous avez foulé aux pieds et souillé de sang le pain que l'hospitalité vous a offert, vous foulerez aux pieds et souillerez de sang la puissance que vous pouviez partager. Comme vous avez dévasté et appauvri cette chaumière, vous dévasterez et appauvrirez la France; comme vous avez été blessés tous quatre dans l'ombre, vous périrez tous quatre par trahison et de mort violente.' Les quatre gentilshommes ne purent s'empêcher de rire de la prédiction de la vieille. Ces quatre gentilshommes étaient les quatre héros de la Ligue, deux comme ses chefs, et deux comme ses ennemis: Henri de Condé, empoisonné à Saint-Jean-d'Angely par sa femme. Henri de Guise, assassiné à Blois par les quarante-cinq. Henri de Valois (Henri III) assassiné par Jacques Clément à Saint-Cloud. Henri de Bourbon (Henri IV) assassiné à Paris par Ravaillac.-F. Soulié.

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niché, ne pensant pas plus qu'un animal, l'enfant tantôt regardait paître ses bestiaux à travers l'humide et froid brume qui les voilait à demi, tantôt suivait dans l'air, d'un regard machinal, la lente évolution des volées de vanneaux ou de halbrans. Et cette vie solitaire, animale, abrutissante, qui ravale l'homme au niveau de la bête, était celle de chaque jour pour ce malheureux enfant; ainsi que des milliers d'êtres de son âge et de sa condition, absolument étranger à l'instruction la plus élémentaire, il vivait ainsi au milieu des landes désertes, ni plus ni moins intelligemment que le bétail qui paissait. Ignorant les moindres notions du bien et du mal, du juste et de l'injuste, l'instinct de cet enfant se bornait à associer ses efforts à ceux de son chien, pour empêcher le troupeau d'entrer dans les taillis, ou de brouter les jeunes semis, puis

à ramener, le soir, son bétail, dont il partageait la litière. Et une foule innombrable de créatures naissent, vivent et meurent ainsi, dans l'ignorance, dans l'hébêtement, n'ayant de l'homme que l'aspect, ne connaissant de l'humanité que les douleurs, que les misères, ne sachant pas que Dieu les a douées comme tous, leur donnant une âme qui les rattache à la divinité, une intelligence qui, cultivée, les élève à l'égal de tous.-E. Sue.

160.-Alger dort, ce vaste nid de pirates; rien n'y décèle la vie et l'activité. Il est impossible d'admettre que c'est de là que partent des nuées de corsaires, avec leurs mille barques; que c'est là qu'ils retournent avec leurs mille prises, remorquant à la suite les uns des autres le brick français et le schooner anglais, la flûte hollandaise et la tartane sicilienne, le chebec napolitain et le mistick sarde: non, ce n'est pas là Alger, la terreur des mers, l'effroi de la chrétienté. Ce dernier mot nous dispense presque de dire que nous nous plaçons à cinquante ans environ de distance de notre époque, où Alger est une ville européenne, presque une ville de second ordre; ayant des lanternes et un peuple, ce qui est le commencement de toute civilisation et de toute révolution; possédant des fontaines et pas d'eau, comme une ville de premier ordre: ayant enfin ce que nous n'avons pas, les Bédouins: ce que n'a pas le désert, un maire et un juge de paix. Alger n'était pas comme cela il y a cinquante ans. Il y a cinquante ans aussi, lorsqu'une voile française ou italienne blanchissait à l'horizon, ne fût-elle grande que comme l'aile d'un albatros, Alger, la vieille barbaresque, s'éveillait alors, frappait dans le creux de ses mains comme un sultan appelant ses esclaves, et hommes nus, rouges, noirs, cuivrés, armés ou sans armes, brandissant l'aviron ou la hache, femmes et enfants, tous coulaient sans bruit le long des maisons, le long des ravins, le long des plages, le long de leurs barques plates, et puis gagnaient la haute mer. soir, Alger fumait et flamboyait comme un brasier; les captifs ramenés étaient trainés dans les chantiers du dey. Les femmes captives passaient dans son sérail, avec leurs éventails ou leurs mantilles, et puis s'effectuait

Le

le partage du butin. A ceux-ci les belles voiles, à ceux-ci les draps moëlleux, à ceux-ci les belles armes, les armes d'acier incrustées de nacre, les fusils à donble coup, les pistolets si beaux à la ceinture, si fiers au poignet.; à ceux-là l'or en barre ou l'or monnayé, à ceux-là les comestibles, le café, le sucre, le tabac, le vin, l'eaude-vie; au chef le tonneau de riz, au soldat le sac, à la femme la mesure, à l'enfant la pincée. Ainsi de tout: puis Alger, ivre et repue, ivre de vin français, repue de comestibles anglais, dansait en rond et tournait, comme un derviche jusqu'à ce qu'elle tombât sur la terre. Dans cet état, Alger paraissait ne pas exister; c'est peut-être dans cet état que la surprit une fois Barberousse; mais à coup sûr ce ne fut pas dans celui-là qu'elle chassa Charles-Quint.-L. Gozlan.

161.-L'intérieur de la jonque n'est pas divisé en ponts comme nos vaisseaux, mais en compartiments qui ne communiquent pas entre eux et sont séparés par des cloisons solides. On y descend par des écoutilles, et ils appartiennent à des maîtres différents qui y serrent leurs marchandises et leurs vivres. Certes, un objet qui vient d'un pays aussi hermétiquement fermé que la Chine, costume, vase, bronze, offre toujours un vif intérêt, car un peuple, quelque mystérieux qu'il soit, trahit toujours son secret dans son travail ou dans son art; mais qu'est-ce que cela, lorsqu'on voit l'indigène lui-même, un être humain d'une race séparée depuis des milliers d'années du reste de la création, race à la fois enfantine et décrépite, civilisée quand tout le monde est incivilisé; stationnaire au milieu des siècles qui s'écoulent et des empires qui disparaissent, aussi nombreuse à elle seule que toutes les nations qui peuplent le globe, et pourtant ignorée comme si elle n'existait pas ? Rien

ne nous intéresse comme de voir un individu authentique d'une race humaine que l'on rencontre rarement en Europe. Sous cette peau bronzée, cet angle facial d'une ouverture différente, ce crâne bossué de protubérances qui ne sont pas les nôtres, nous cherchons à deviner en quoi l'âme de ce frère inconnu, adorant d'autres dieux, exprimant d'autres idées avec une autre langue, ayant des croyances et des

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préjugés spéciaux, peut ressembler à notre âme; nous cherchons avidement à deviner, au fond de ces yeux où le soleil d'un hémisphère opposé a laissé sa lumière, la pensée dans laquelle nous pourrions communier et sympathiser. Ils étaient là quatre, tous jeunes gens, avec des teints fauves, des tempes rasées, colorées de nuances bleuâtres, des yeux retroussés légèrement aux angles externes, un regard oblique et doux, une physionomie intelligente et fine, à laquelle l'énorme natte de cheveux formant la queue sacramentelle, roulée sous un bonnet noir, donnait un cachet féminin: d'après nos idées de beauté, qui se rapportent malgré nous au type grec, ces virtuoses chinois étaient laids, mais d'une laideur pour ainsi dire jolie, gracieuse et spirituelle.-T. Gautier.

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162.-Les courses commencent le 28 mai de chaque année, et durent près d'une semaine, mais le jour des jours est le 25, qui a pris le nom de Derby, parce que cette fête publique fut inaugurée en 1780 par le comte de Derby. Une semaine avant l'événement, dans les salons, les tavernes, les omnibus, les wagons de chemin de fer, on n'entend plus qu'un sujet de conversation Qui remportera le prix ?' De jour en jour l'émotion et la curiosité augmentent. La fièvre du Derby se communique du marché du turf à toutes les classes de la société. On parie avec fureur sur des chevaux qu'on n'a jamais vus, et dont quelquesuns ne doivent même pas concourir. Dans certaines rues de Londres, la circulation est interceptée par la foule des hommes qui spéculent sur les courses. Les femmes, que dis-je, les enfants eux-mêmes n'échappent point à cette maladie, qui est dans l'air. L'écolier qui se rend à la classe du matin avec quelques livres serrés dans une sangle de cuir a peut-être oublié d'étudier sa leçon; mais demandez-lui les noms des chevaux que soutient sur le marché la faveur publique, il les sait par cœur. Cette fête nationale est aussi devenue avec le temps une institution qui domine même les affaires d'Etat, qui exerce la plus grande influence sur les mœurs anglaises, qui déplace chaque année un grand nombre de fortunes par la manie du jeu de hasard.-Esquiros.

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