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semblait que la dernière n'avait pas si bien que les autres affecté l'auditoire. Comment donc, mon ami,' répliquat-il avec étonnement, aurait-elle trouvé quelque Aristarque?' Non, monseigneur, lui repartis-je, non: ce ne sont pas des ouvrages tels que les vôtres que l'on ose critiquer. Il n'y a personne qui n'en soit charmé. Néanmoins, puisque vous m'avez recommandé d'être franc et sincère, je prendrai la liberté de vous dire que votre dernier discours ne me paraît pas tout à fait de la force des précédents. Ne pensez-vous pas cela comme moi ?'

Ces paroles firent pâlir mon maître, qui me dit avec un souris forcé: Monsieur Gil Blas, cette pièce n'est donc pas de votre goût?' 'Je ne dis pas cela, monseigneur,' interrompis-je tout déconcerté. Je la trouve excellente, quoique un peu au-dessous de vos autres ouvrages.' 'Je vous entends,' répliqua-t-il; 'je vous parais baisser, n'est-ce pas ? Tranchez le mot. Vous croyez qu'il est temps que je songe à la retraite.' 'Je n'aurais pas été assez hardi,' lui dis-je, 'pour vous parler si librement si votre grandeur ne me l'eût ordonné.

Je ne

fais donc que lui obéir, et je la supplie très-humblement de ne me point savoir mauvais gré de ma hardiesse.'

A Dieu ne plaise,' interrompit-il avec précipitation, à Dieu ne plaise que je vous la reproche! Il faudrait que je fusse bien injuste. Je ne trouve point du tout mauvais que vous me disiez votre sentiment. C'est votre sentiment seul que je trouve mauvais. J'ai été furieusement la dupe de votre intelligence bornée.'-Le Sage.

70.-Tout le peuple d'une ville s'était assemblé dans une grande place pour voir jouer des pantomimes. Parmi ces acteurs, il y en avait un qu'on applaudissait à chaque moment. Ce bouffon, sur la fin du jeu, voulut clore la séance par un spectacle nouveau. Il parut seul sur la scène, se baissa, se couvrit la tête de son manteau, et se mit à contrefaire le cri d'un cochon de lait. Il s'en acquitta de manière qu'on s'imagina qu'il en avait un véritablement sous ses habits. On lui cria de secouer son manteau et sa robe, ce qu'il fit; et comme il ne se trouva rien dessous, les applaudissements se renouvelèrent avec plus de

fureur dans l'assemblée. Un paysan, qui était du nombre des spectateurs, fut choqué de ces témoignages d'admiration. 'Messieurs,' s'écria-t-il, 'vous avez tort d'être charmés de ce bouffon; il n'est pas si bon acteur que vous le croyez. Je sais mieux faire que lui le cochon de lait; et, si vous en doutez, vous n'avez qu'à revenir ici demain à la même heure.' Le peuple, prévenu en faveur du pantomime, se rassembla le jour suivant en plus grand nombre, et plutôt pour siffler le paysan que pour voir ce qu'il savait faire. Les deux rivaux parurent sur le théâtre. Le bouffon commença, et fut encore plus applaudi que le jour précédent. Alors le villageois, s'étant baissé à son tour, et enveloppé de son manteau, tira l'oreille à un véritable cochon qu'il tenait sous son bras, et lui fit pousser des cris perçants. Cependant l'assistance ne laissa pas de donner le prix au pantomime, et chargea de huées le paysan, qui, montrant tout à coup le cochon de lait aux spectateurs: 'Messieurs,' leur dit-il, ce n'est pas moi que vous sifflez, c'est le cochon luimême. Voyez quels juges vous êtes!' -Le Sage.

71.-Le samedi 31 août, la nuit et la journée furent détestables. Le roi n'eut que de rares et de courts instants de connaissance. La gangrène avait gagné le genou et toute la cuisse. On lui donna du remède du feu abbé Aignan, que la duchesse du Maine avait envoyé proposer, qui était un excellent remède pour la petite vérole. Les médecins consentaient à tout, parce qu'il n'y avait plus d'espérance. Vers onze heures du soir, on le trouva si mal qu'on lui dit les prières des agonisants. L'appareil le rappela à lui. Il récita des prières d'une voix si forte qu'elle se faisait entendre à travers celle du grand nombre d'ecclésiastiques et de tout ce qui était entré. A la fin des prières, il reconnut le cardinal de Rohan, et lui dit: 'Ce sont là les dernières grâces de l'église.' Ce fut le dernier homme à qui il parla. Il répéta plusieurs fois: Nunc et in hora mortis; puis dit: 'O mon Dieu, venez à mon aide, hâtez-vous de me secourir! Ce furent ses dernières paroles. Toute la nuit fut sans connaissance, et une longue agonie, qui finit le dimanche 1er septembre 1715, à huit heures un

quart du matin, trois jours avant qu'il eût soixante-dix-sept ans accomplis, dans la soixante-douzième année de son règne.-Saint-Simon.

72.-Qui n'admire la majesté, la pompe, la magnificence, l'enthousiasme de Bossuet et la vaste étendue de ce génie impétueux, fécond, sublime? Qui conçoit, sans étonnement, la profondeur incroyable de Pascal, son raisonnement invincible, sa mémoire surnaturelle, sa connaissance universelle et prématurée ? Le premier élève l'esprit; l'autre le confond et le trouble. L'un éclate comme un tonnerre dans un tourbillon orageux, et par ses soudaines hardiesses échappe aux génies trop timides; l'autre presse, étonne, illumine, fait sentir despotiquement l'ascendant de la vérité; et, comme si c'etait un être d'une autre nature que nous, sa vive intelligence explique toutes les conditions, toutes les affections et toutes les pensées des hommes, et paraît toujours supérieure à leurs conceptions incertaines.

Mais toi qui les a surpassés en aménités et en grâces, ombre illustre, aimable génie; toi qui fis régner la vertu par l'onction et par la douceur, pourrais-je oublier la noblesse et le charme de ta parole lorsqu'il est question d'éloquence? Né pour cultiver la sagesse et l'humanité dans les rois, ta voix ingénue fit retentir au pied du trône les calamités du genre humain foulé par les tyrans, et défendit contre les artifices de la flatterie la cause adandonnée des peuples. Quelle bonté de cœur, quelle sincérité se remarque dans tes écrits! Quel éclat de paroles, d'images! Qui sema jamais tant de fleurs dans un style si naturel, si mélodieux et si tendre?

Qui orna

jamais la raison d'une si touchante parure? Que de trésors d'abondance dans ta riche simplicité ô Fénélon !— Vauvenargues.

73.-Les habitants de Paris sont d'une curiosité qui va jusqu'à l'extravagance. Lorsque j'arrivai, je fus regardé comme si javais été envoyé du ciel: vieillards, hommes, femmes, enfants, tous voulaient me voir. Si je sortais, tout le monde se mettait aux fenêtres; si j'étais aux Tuileries, je voyais aussitôt un cercle se former autour de moi; les femmes même faisaient un arc-en-ciel nuancé de

Si

mille couleurs, qui m'entourait. j'étais au spectacle, je voyais aussitôt cent lorgnettes dressées contre ma figure: enfin jamais homme n'a tant été vu que moi. Je souriais quelquefois d'entendre des gens qui n'étaient jamais sortis de leur chambre qui disaient entre eux: il faut avouer qu'il a l'air bien persan.

Chose admirable! je trouvais de mes portraits partout; je me voyais multiplier dans toutes les boutiques, sur toutes les cheminées, tant on craignait de ne m'avoir pas assez vu.

74.-Tant d'honneurs ne laissent pas d'être à charge: je ne me croyais pas un homme si curieux et si rare; et, quoique j'aie très-bonne opinion de moi, je ne me serais jamais imaginé que je dusse troubler le repos d'une grande ville où je n'étais point connu. Cela me fit résoudre à quitter l'habit persan, et à en endosser un à l'européenne, pour voir s'il resterait encore dans ma physionomie quelque chose d'admirable. Cet essai me fit connaître ce que je valais réellement. Libre de tous les ornements étrangers, je me vis apprécié au plus juste. J'eus sujet de me plaindre de mon tailleur, qui m'avait fait perdre en un instant l'attention et l'estime publique; car j'entrai tout à coup dans un néant affreux. Je demeurais quelquefois une heure dans une compagnie sans qu'on m'eût regardé et qu'on m'eût mis en occasion d'ouvrir la bouche: mais si quelqu'ur, par hasard, apprenait à la compagnie que j'étais Persan, j'entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement: 'Ah! ah! monsieur est Persan! c'est une chose bien extraordinaire! Comment peut-on être Persan ?-Montesquieu.

75.-Nabussan était un des meilleurs princes de l'Asie; ce bon prince était toujours loué, trompé, volé: c'etait à qui pillerait ses trésors. Le receveur général de l'île de Serendib donnait toujours cet exemple, fidèlement suivi par les autres. Le roi le savait; il avait changé de trésorier plusieus fois ; mais il n'avait pu changer la mode établie de partager les revenus du roi en deux moitiés inégales, dont la plus petite revenait toujours a sa majesté et la plus grosse aux administrateurs.

Le roi Nabussan confia sa peine au sage Zadig. 'Vous, qui savez tant

de belles choses,' lui dit-il, 'ne sauriezvous pas le moyen de me faire trouver un trésorier qui ne me vole point?' 'Assurément,' répondit Zadig; 'je sais une façon infaillible de vous donner un homme qui ait les mains nettes.'

76. Le roi, charmé, lui demanda, en l'embrassant, comment il fallait s'y prendre. Il n'y a,' dit Zadig, 'qu'à faire danser tous ceux qui se présenteront pour la dignité de trésorier, et celui qui dansera avec le plus de légèreté sera infailliblement le plus honnête homme.' Vous vous moquez,' dit le roi; voilà une plaisante façon de choisir un receveur de mes finances! Quoi! vous prétendez que celui qui fera le mieux un entrechat sera le financier le plus intègre et le plus habile!' 'Je ne vous réponds pas qu'il sera le plus habile,' repartit Zadig; mais je vous assure que ce sera indubitablement le plus honnête homme.' Zedig parlait avec tant de confiance que le roi crut qu'il avait quelque secret surnaturel pour connaître les financiers. 'Je n'aime pas le surnaturel,' dit Zadig; 'les gens et les livres à prodiges m'ont toujour déplu: si votre majesté veut me laisser faire l'épreuve que je lui propose, elle sera bien convaincue que mon secret est la chose la plus simple et la plus aisée.' Nabussan, roi de Serendib, fut bien plus étonné d'entendre que ce secret était simple que si on le lui avait donné pour un miracle: Or bien,' dit-il, faites comme vous l'entendrez.' 'Laissez-moi faire,' dit Zadig, vous gagnerez à cette épreuve plus que vous ne pensez.'

On

77.-Le jour même il fit publier, au nom du roi, qui tous ceux qui prétendaient à l'emploi de haut receveur des deniers de sa gracieuse majesté Nabussan, fils de Nussanab, eussent à se rendre, en habits de soie légère, le premier de la lune du crocodile, dans l'antichambre du roi. Its s'y rendirent au nombre de soixante-quatre. avait fait venir des violons dans un salon voisin; tout était préparé pour le bal; mais la porte de ce salon était fermée, et il fallait, pour y entrer, passer par une petite galerie assez.obscure. Une huissier vint chercher et introduire chaque candidat, l'un après l'autre, par ce passage, dans lequel on

L

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le laissait seul quelques minutes. Le roi, qui avait le mot, avait étalé tous ses trésors dans cette galerie. Lorsque tous les prétendants furent arrivés dans le salon, sa majesté ordonna qu'on les fît danser. Jamais on ne dansa plus pesamment et avec moins de grâce; ils avaient tous la tête baissée, les reins courbés, les mains collées à leurs côtés. Quels fripons!' disait tout bas Zadig. Un seul d'entre eux formait des pas avec agilité, la tête haute, le regard assuré, les bras étendus, le corps droit, le jarret ferme. Ah! l'honnête homme! le brave homme!' disait Zadig. Le roi embrassa ce bon danseur, le déclara trésorier, et tous les autres furent punis et taxés avec la plus grande justice du monde; car chacun, dans le temps qu'il avait été dans la galarie, avait rempli ses poches, et pouvait à peine marcher. Le roi fut fâché pour la nature humaine que de ces soixante et quatre danseurs il y eût eu soixante et trois filous. La galerie obscure fut appelée le corridor de la tentation.Voltaire.

78.-On le voit s'annoncer de loin par les traits de feu qu'il lance audevant de lui. L'incendie augmente, l'orient paraît tout en flammes: à leur éclat on attend l'astre longtemps avant qu'il se montre; à chaque instant on croit le voir paraître: on le voit enfin. Un point brillant part comme un éclair, et remplit aussitôt tout l'espace; le voile des ténèbres s'efface et tombe; l'homme reconnaît son séjour, et le trouve embelli. La verdure a pris, durant la nuit, une vigueur nouvelle; le jour naissant qui l'éclaire, les premiers rayons qui la dorent la montrent couverte d'un brillant réseau de rosée, qui réfléchit à l'œil la lumière et et les couleurs. Les oiseaux en choeur se réunissent et saluent de concert le père de la vie: en ce moment pas un seul ne se tait. Leur gazouillement, faible encore, est plus lent et plus doux que dans le reste de la journée; il se sent de la langueur d'un paisible réveil. Le concours de tous ces objets porte aux sens une impression de fraîcheur qui semble pénétrer jusqu'à l'âme. Il y a là une demi-heure d'enchantement auquel nul homme ne résiste un spectacle si grand, si beau, si délicieux n'en laisse aucun de sangfroid.-J. J. Rousseau.

79. L'écureuil est un joli petit animal qui n'est qu'à demi sauvage et qui, par sa gentillesse, par sa docilité, par l'innocence de ses mœurs, mériterait d'être épargné; il n'est ni carnassier ni nuisible, quoiqu'il saisisse quelquefois des oiseaux; sa nourriture sont des fruits, des amandes, des noisettes, de la faîne et du gland; il est propre, leste. vif, très-alerte, trèséveillé, très-industrieux; il a les yeux pleins de feu, la physionomie fine, le corps nerveux, les membres très-dispos; sa jolie figure est encore rehaussée, parée par une belle queue en forme de panache, qu'il relève jusque dessus sa tête, et sous laquelle il se met à l'ombre. Il est, pour ainsi dire, moins quadrupède que les autres; il se tient ordinairement assis, presque debout, et se sert de ses pieds de devant comme d'une main, pour porter à sa bouche; au lieu de se cacher sous terre, il est toujours en l'air; il approche des oiseaux par sa légèreté; il demeure comme eux sur la cime des arbres, parcourt les forêts en sautant de l'un à l'autre, y fait son nid, cueille les graines, boit la rosée, et ne descend à terre que quand les arbres sont agités par la violence des vents.-Buffon.

80.-Le président de Montesquieu et lord Chesterfield se recontrèrent, faisant l'un et l'autre le voyage d'Italie. Ces hommes étaient faits pour se lier promptement; aussi la liaison entre eux fut-elle bientôt faite. Ils allaient toujours disputant sur les prérogatives des deux nations. Le lord accordait au président que les Français avaient plus d'esprit que les Anglais, mais qu'en revanche ils n'avaient pas le sens commun. Le président convenait du fait; mais il n'y avait pas de comparaison à faire entre l'esprit et le bon sens. Il y avait déjà plusieurs jours que la dispute durait; ils étaient à Venise. Le président se répandait beaucoup, allait partout, voyait tout, interrogeait, causait, et le soir tenait registre des observations qu'il avait faites.

Il y avait une heure ou deux qu'il était rentré et qu'il était à son occupation ordinaire lorsqu'un inconnu se fit annoncer. C'était un Français assez mal vêtu, qui lui dit: Monsieur, je suis votre compatriote. Il y a vingt ans que je vis ici; mais j'ai toujours gardé de l'amitié pour les Français,

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et je me suis cru quelquefois trop heureux de trouver l'occasion de les servir, comme je l'ai aujourd'hui avec vous. On peut tout faire dans ce pays, excepté se mêler des affaires d'Etat. Un mot inconsidéré sur le gouvernement coûte la tête, et vous en avez déjà tenu plus de mille. Les inquisiteurs d'Etat ont les yeux ouverts sur votre conduite; on vous épie, on suit tous vos pas, on tient note de tous vos projets; one doute point que vous n'écriviez. e sais de science certaine qu'on doit, peut-être aujourd'hui, peut-être demain, faire chez vous une visite. Voyez, monsieur, si en effet vous avez écrit, et songez qu'une ligne innocente, mais mal interprétée, vous coûterait la vie. Voilà tout ce que j'ai à vous dire. J'ai l'honneur de vous saluer. Si vous me rencontrez dans les rues, je vous demande un service que je crois de quelque impor tance, de ne pas me reconnaître; et si par hasard il était trop tard pour vous sauver, et qu'on vous prît, de ne pas me dénoncer.' Cela dit, mon homine disparut, et laissa le président de Montesquieu dans la plus grande consternation. Son premier mouvement fut d'aller bien vite à son secrétaire, de prendre ses papiers et de les jeter dans le feu.

81.-A peine cela fut-il fait que lord Chesterfield entra. Il n'eut pas de peine à reconnaître le trouble terrible de son ami; il s'informa de ce qui pouvait lui être arrivé. Le président lui rendit compte de la visite qu'il avait eue, des papiers brûlés et de l'ordre qu'il avait donné de tenir prête sa chaise de poste pour trois heures du matin: car son dessein était de s'éloigner sans délai d'un séjour où un moment de plus ou de moins pouvait lui être si funeste. Lord Chesterfield l'écouta tranquillement, et lui dit :

"Voilà qui est bien, mon cher président; mais remettons-nous pour un instant, et examinons ensemble votre aventure à tête reposée.'

Vous vous moquez!' lui dit le président. Il est impossible que ma tête se repose où elle ne tient qu'à un fil.'

'Mais qu'est-ce que cet homme, qui vient si généreusement s'exposer au plus grand péril pour vous en garantir? Cela n'est pas naturel. Français tant qu'il vous plaira: l'amour de la patrie ne faint point faire de ces démarches

périlleuses, et surtout en faveur d'un inconnu. Cet homme n'est pas votre ami?'

'Non.'

Il était mal vêtu?' 'Oui, fort mal.'

Vous a-t-il demandé de l'argent, un petit écu pour prix de son avis?'

Oh! pas une obole.'

'Cela est encore plus extraordinaire. Mais d'où sait-il tout ce qu'il vous a dit?'

Ma foi, je n'en sais rien...Des inquisiteurs, d'eux-mêmes.'

'Outre que ce conseil est le plus secret qu'il y ait au monde, cet homme n'est pas fait pour en approcher.'

Mais c'est peut-être un des espions qu'ils emploient?'

A d'autres! On prendra pour espion un étranger; et cet espion sera vêtu comme un gueux en faisant une profession assez vile pour être bien payée; et cet espion tranira ses maîtres pour vous, au hasard d'être étranglé si l'on vous prend et que vous le défériez; si vous vous sauvez, et que l'on soupçonne qu'il vous ait averti! Chanson que tout cela, mon ami.'

'Mais qu'est-ce donc que ce peut être ?'

'Je le cherche, mais inutilement. '

82. Après avoir, l'un et l'autre, épuisé toutes les conjectures possibles, le président persistant à déloger au plus vite, et cela pour le plus sûr, lord Chesterfield, après s'être un peu proméné, s'être frotté le front comme un homme à qui il vient quelque pensée profonde, s'arrêta tout court, et dit:

'Président, attendez; mon ami, il me vient une idée. Mais...si...par hasard...cet homme...'

Eh bien! cet homme?'

'Si cet homme...Oui, cela pourrait bien être; cela est même, je n'en doute plus.'

'Mais qu'est-ce que cet homme? Si vous le savez, dépêchez-vous vite de me l'apprendre.'

'Si je le sais!...Oh! oui, je crois le savoir à présent...Si cet homme vous a été envoyé par...'

'Epargnez, s'il vous plaît.'

Par un homme qui est malin quelquefois, par un certain milord Chesterfield, qui aurait voulu vous prouver par expérience qu'une once de sens commun vaut mieux que cent livres d'esprit; car avec du sens commun...'

"Ah! scélérat!'...s'écria le président, quel tour vous m'avez joué!... Et mon manuscrit! mon manuscrit que j'ai brûlé!-Diderot.

83.-Ce n'est pas assez pour nous de vivre avec nos contemporains, et de les dominer. Animés par la curiosité et par l'amour-propre, et cherchant par une avidité naturelle à embrasser à la fois le passé, le présent et l'avenir, nous désirous en même temps et de vivre avec ceux qui nous suivront, et d'avoir vécu avec ceux qui nous ont précédés. De là l'origine et l'étude de l'histoire qui, nous unissant aux siècles passés par le spectacle de leurs vices et de leurs vertus, de leurs connaissances et de leurs erreurs, transmet les nôtres aux siècles futurs. C'est là qu'on apprend à n'estimer les hommes que par le bien qu'ils font, et non par l'appareil imposant qui les environne: les souverains, ces hommes assez malheureux pour que tout conspire à leur cacher la vérité, peuvent eux-mêmes se juger d'avance à co tribunal intègre et terrible; le té moignage que rend l'histoire à ceux de leurs prédécesseurs qui leur resem→ blent, est l'image de ce que la postérité dira d'eux.-D'Alembert.

84. La ville de Quito est dominée par un volcan terrible, qui, par do fréquentes secousses, en ébranle les fondements.

Un jour que le peuple indien, répandu dans les campagnes, labourait, semait, moissonnait (car ce riche vallon présente tous ces travaux à la fois), et que les filles du Soleil, dans l'intérieur de leur palais, étaient occupées, les unes à filer, les autres à ourdir les précieux tissus de laine dont le pontife et le roi sont vêtus, un bruit sourd se fait d'abord entendre dans les entrailles du volcan. Ce bruit, semblable à celui de la mer lorsqu'elle conçoit les tempêtes, s'accroît et se change bientôt en un mugissement profond. La terro tremble, le ciel gronde, de noires vapeurs l'enveloppent, le temple et les palais chancellent et menacent do s'écrouler; la montagne s'ébranle, et sa cime entr'ouverte vomit, avec les vents enfermés dans son sein, des flots de bitume liquide et des tourbillons de fumée qui rougissent, s'enflamment et lancent dans les airs des éclats de rochers brûlants qu'ils ont détachés de

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