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l'observatoire dont tant d'ouvrages ont parlé longuement. C'était autrefois un vaste cimetière dont le gouffre était toujours ouvert ; c'étaitlà que les corps, , que l'Hôtel-Dieu vomit journellement,étaient transportés sans bière, mais seulement cousus dans une serpillière. On assure que plus d'un malade réputé mort, s'est réveillé sous la main hâtive qui l'enfermait dans ce grossier linceul; d'autres, avance Mercier, dans son Tableau de Paris, ont crié qu'ils étaient vivans dans le chariot même qui les conduisait à la sépulture. C'était donc à-peu-près semblable aux sépulcres homicides de nos armées, sépulcres décorés du nom d'hòpitaux...

Ce chariot est traîné par douze hommes; un prêtre, une cloche, une croix, voilà toute la pompe, tout l'appareil d'honneurs funèbres rendus aux mânes

de l'indigent; mais alors l'égalité plane déjà sur sa tombe, et le met au niveau de celle du riche égoïste. Ce chariot lugubre, et terrible pour la pensée part tous les jours de l'Hôtel-Dieu, à quatre heures du matin; il roule dans le silence de la nuit. C'est un char qui n'a que des cadavres pour acteurs et la mort pour guide... La cloche qui les précède, éveille, à son passage, ceux qui dorment: il faut se trouver sur la route pour bien sentir tout ce qu'ins→ pire le bruit de ce chariot, toute l'horreur qu'il répand dans l'âme; malheur à celui qui, s'étant levé de grand matin, fait cette funeste rencontre; ses songes, ses souvenirs en seront épouvantés bien long-temps. Cependant

les Parisiens, en grande partie, igno-, rent tous ces MYSTÈRES NOCTURNES qui se passent dans le sein de leur ville; ils ne

sont occupés que du tableau riant de la vie, sans chercher à lever les crêpes sanglans qui leur dérobent l'empire actif de la mort.

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Cette voiture peut contenir jusqu'à cinquante cadavres... On l'a vu autrefois, dans des temps de mortalité, faire jusqu'à quatre fois par jour le fatal voyage... Les enfans sont mis entre les jambes des adultes, de la chaux vive est versée sur eux ; et ce creuset, qui ne se ferme jamais, dit à l'œil épouvanté qu'il dévorerait sans peine, successivement, quelques millions d'infortu

nés.....

Telle, en ce moment, à Barcelonne, la peste, avec son horrible cortége, le désespoir, l'abattement, la sombre douleur, le chagrin morne et silencieux, les sanglots, les cris de rage, les ex

pressions muettes, mais plus terribles

de la souffrance, et enfin tous les fléaux affreux d'une maladie mortelle qui décime les familles, et force le fils à être le fossoyeur de sa mère, le frère, celui de sa sœur, l'amant, celui de son amante..; telle, dis-je, la peste de Barcelonne, en fixant tous les regards de l'Europe craintive, condamne à un trépas hideux des milliers d'ètres innocens dont le voisinage homicide livre aux mêmes maux le médecin courageux qui, pour prix de son dévouement héroïque, meurt aussitôt par le contact des victimes qu'il a voulu secourir...

Hélas! ce vaste sépulcre, Clamart, nʼa ni pyramides, ni inscriptions, ni monumens pompeux: point la plus modeste épitaphe religieuse sur la cendre de dix générations amoncelées, depuis des siècles, les unes sur les autres !!! On érige d'orgueilleux obélisques à l'opulence,

aux écussons féodaux ; et cette immense tombe cosmopolite n'a qu'un nom affreux... Clamart! dont la consonnance aiguë et sépulcrale emporte avec elle un sens d'opprobre et d'ignominie. Ainsi donc, si, par une de ces fatalités du destin qui, en 1755, renversa et détruisit les trois quarts de Lisbonne, avec quarante-cinq mille personnes ensevelies sous les décombres de cette grande ville, parmi des flots de flamme, de bitume et de souffre, et les vagues furieuses de la mer; si, dis-je, comme pour cette capitale du Portugal, Paris devait un jour ressentir les commotions destructrices de quelque tremblement de terre

aucun marbre ne dirait à l'histoire, sur la terre cadavéreuse de Clamart LA REPOSENT LES RESTES DE QUELQUES MILLIONS D'HOMMES!

Le laboureur sêmerait sur ce terrain

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