Page images
PDF
EPUB

non, me répondit-il avec sévérité, l'avarice est un vice incurable; ce serait rejeter dans la société un monstre dont Dieu même veut la purger. A cette sentence terrible, je me tus. L'avare succombant à l'effort de ses cris et de ses lamentations, avait fini par s'étendre sur ses monceaux d'or, et par s'assoupir dans la plus profonde obscurité sur ce lit peu moëlleux. Je dis dans la plus grande obscurité, car la lanterne sourde était entièrement éteinte. Des songes affreux paraissaient l'assaillir dans son sommeil, et lui retracer le tableau d'une vie de plus de quatre-vingts ans passés dans l'égoïsme et l'insensibilité aux maux de ses semblables. Dans cet horrible séjour, point d'aurore, point de midi, point de soir. C'est un autre enfer sur la terre que l'avarice s'est creusé, et qui ne fut jamais chauffé des doux rayons du jour.

Enfin, la troisième journée, après des tourmens inexprimables, après s'étre dévoré une main, avoir bu de son propre sang, notre avare rendit le dernier soupir sur un baril qui contenait plus de vingt mille louis !... Telle fut sa fin déplorable.

Cependant trois jours d'absence de cet original sont remarquès des voisins; le bruit de sa disparition arrive aux oreilles du serrurier, qui, en devinant aussitôt la cause, va trouver le commissaire de police, et aidé de ses ouvriers, parvient à faire sauter la porte de fer de ses gonds. Quel spectacle! On verbalise; Paris est bientôt instruit de l'aventure, et on en rit au bout de peu de temps vient une bande de collatéraux niais et crasseux, qui se frottent les mains en apprenant le ford de l'histoire, et surtout la bonne aubaine qui leur en revenait. Que d'amis,

ou plutôt, que de chevaliers d'industrie autour d'eux!.. C'est à qui leur procu→ rera des renseignemens sur l'héritage immense. Le notaire, le commissaire-priseur sont aux petits soins pour nos villageois, et chaque vacation est terminée par un superbe repas. J'abrégerai le détail des particularités par lesquelles nos champenois furent décrassés ; comment ils devinrent de beaux messieurs dans un be! hôtel; ne devine-t-on pas de suite que l'or de notre Harpagon opéra promptement ces métamorphoses? Ne sait-on pas qu'à Paris, on achete de l'esprit, du talent, des honneurs, comme des bijoux au Palais-royal? Nos paysans eurent donc tout le mérite possible, puisqu'ils avaient des laquais à livrée et plus d'un million à partager entr'eux; les femmes surtout, qui se connaissent parfaitement en hommes, les trouvèrent

charmans, principalement au dessert des grands festins qu'ils donnaient, et dans les loges qu'ils avaient louées à l'année aux divers théâtres de la capitale : manque-t-on d'esprit quand on fait si bien les honneurs d'une table?... Au surplus, l'or, dans ces mains rustiques et grossières, sorti de celles d'un infâme avare, se trouvait du moins en circulation, et vaut cent fois mieux un sot prodigue, qu'un ladre qui thésaurise.

LES LOGES GRILLEES

COULEUR DU MYSTÈRE,

OU

LE FOYER D'UN THEATRE; Petite miniature dessinée avec la patte d'un papillon.

Au siècle de Louis XV, au temps des mœurs corrompues de la régence, où la qualité de roué faisait le complément de la célébrité scandaleuse d'un fat à bonnes fortunes, le foyer de l'Opéra, par exemple, était un véritable bazar de galanteries mercantiles. Le tarif des amours des coulisses y était placardé comme le bulletin des fonds publics à la Bourse. On s'y entretenait des mutations, des bails galans passés entre tel

« PreviousContinue »