Page images
PDF
EPUB

en pleurant; et ils allèrent s'établir dans la cabane où ils sont encore, et où ils servent de père et de mère aux autres enfans. Les deux veuves demeurèrent ensemble; et les enfans d'Olivier eurent un père et deux

mères."

,,Il y a à-peu-près un an et demi que la charbonnière est morte; la femme d'Olivier la pleure encore tous les jours."

[ocr errors]

Un soir qu'elles épioient Félix (car il y en avoit une des deux qui le gardoit toujours à vue) elles le virent qui fondoit en larmes; il tourna en silence ses bras vers la porte qui le séparoit d'elles, et il se remettoit ensuite à faire son sac. Elles ne lui dirent rien; car elles comprenoient de reste combien son départ étoit nécessaire. Ils soupèrent tous les trois sans parler. La nuit il se leva; les femmes ne dormoient point; il s'avança vers la porte sur la pointe des pieds. Là il s'arrêta, regarda vers le lit des deux femmes, essuya ses yeux de ses mains, et sortit. Les deux femmes se serrèrent dans les bras l'une de l'autre, et passèrent le reste de la nuit à pleurer. On ignore où il se réfugia; mais il n'y à guère eu de semaine où il ne leur ait envoyé quelque secours.

66

,,La forêt où la fille de la charbonnière vit avec le fils d'Olivier, appartient à un M. le Clerc de Rançonnières, homme fort riche et seigneur d'un autre village de ces cantons, appelé Courcelles. Un jour que M. de Rançonnières ou de Courcelles, comme il vous plaira, faisoit une chasse dans sa forêt, il arriva à la cabane du fils d'Olivier; il y entra, il se mit à jouer avec les enfans, qui sont jolis; il les questionna: la figure de la femme qui n'est pas mal, lui revint, le ton ferme du mari, qui tient beaucoup de son père, l'intéressa; il apprit l'aventure de leurs parens, il promit de solliciter la grâce de Félix; il la sollicita et l'obtint,"

[ocr errors]

,Félix passa au service de M. de Rançonnières, qui lui donna une place de garde-chasse."

,,Il y avoit environ deux ans qu'il vivoit dans le château de Rançonnières, envoyant aux veuves une bonne partie de ses gages, lorsque l'attachement à son maître et la fierté de son caractère l'impliquèrent dans une affaire qui n'étoit rien dans son origine, mais qui eut les suites les plus fâcheuses."

[ocr errors]

‚M. de Rançonnières avoit pour voisin à Courcelles un M. Fourmont, conseiller au présidial de Lh .... Les deux maisons n'étoient séparées que par une borne. Cette borne gênoit la porte de M. de Rançonnières, et en rendoit l'entrée difficile aux voitures. M. de Rançonnières la fit reculer de quelques pieds du côté de M. Fourmont; celui-ci renvoya la borne d'autant sur M. de Rançonnières; et puis voilà de la haine, des insultes, un procès entre les deux voisins. Le procès de la borne en suscita deux ou trois autres plus considérables. Les choses en étoient là, lorsqu'un soir M. de Rançonnières revenant de la chasse, accompagné de son garde Félix, fit rencontre sur le grand chemin de M. Fourmont le magistrat, et de son frère le militaire. Celui-ci dit à son frère: si l'on coupoit le visage à ce vieux boug... là, qu'en pensez-vous? Ce propos ne fut pas entendu de M. de Rangonnières; mais il le fut malheureusement de Félix, qui s'adressant

fièrement au jeune homme, lui dit: Mon officier, seriez-vous assez brave pour vous mettre seulement en devoir de faire ce que vous avez dit? Au même instant il porte son fusil à terre, et met la main sur la garde de son sabre, car il n'alloit jamais sans son sabre. Le jeune militaire tire son épée, s'avance sur Félix; M. de Rançonnières accourt, s'interpose, saisit son garde. Cependant le militaire s'empare du fusil qui étoit à terre, tire sur Félix, le manque; celui-ci riposte d'un coup de sabre, fait tomber l'épée de la main au jeune homme et avec l'épée la moitié du bras: et voilà un procès criminel en sus de trois ou quatre procès civils: Félix confiné dans les prisons; une procédure effrayante; et à la suite de cette procédure un magistrat dépouillé de son état et presque déshonoré, un militaire exclus de son corps; M. de Rançonnières mort de chagrin, et Félix, dont la détention duroit toujours, exposé à tout le ressentiment des Fourmonts. Sa fin eût été malheureuse, si l'amour ne l'eût secouru. La fille du geolier prit de la passion pour lui et facilita son évasion: si cela n'est pas vrai, c'est du moins l'opinion publique. Il s'en est allé en Prusse, où il sert aujourd'hui dans le régiment des gardes. On dit qu'il est aimé de ses camarades, et même connu du Roi. Son nom de guerre 2) est le Triste. La veuve Olivier m'a dit qu'il continuoit à la soulager."

„Voilà, Madame, tout ce que j'ai pu recueillir de l'histoire de Félix. Je joins à mon récit une lettre de M. Papin notre curé. Je ne sais ce qu'elle contient; mais je crains bien que le pauvre prêtre, qui a la tête un peu étroite et le coeur assez mal tourné, ne nous parle d'Olivier et de Félix d'après ses préventions. Je vous conjure, Madame, de vous en tenir aux faits, sur la vérité desquels vous pouvez compter, et à la bonté de votre coeur, qui vous conseillera mieux que le premier casuiste de Sorbonne, qui n'est pas M. Papin."

Lettre de M. Papin,

Docteur en Théologie et Curé de Sainte-Marie à Bourbonne.

J'ignore, Madame, ce que M. le Subdélégué a pu vous conter d'Olivier et de Félix, ni quel intérêt vous pouvez prendre à deux brigands dont tous les pas dans ce monde ont été trempés de sang. La providence qui a châtié l'un, a laissé à l'autre quelques momens de répit dont je crains bien qu'il ne profite pas. Mais que la volonté de Dieu soit faite! Je sais qu'il y a des gens ici (et je ne serois point étonné que M. le Subdélégué fût de ce nombre) qui parlent de ces deux hommes comme de modèles d'une amitié rare. Mais qu'est-ce aux yeux de Dieu que la plus sublime vertu dénuée des sentimens de la piété, du respect dû à l'église et à ses ministres, et de la soumission à la loi du souverain? Olivier est mort à la porte de sa maison sans sacremens. Quand je fus appelé auprès de Félix chez les deux veuves, je n'en pus jamais tirer autre chose que le nom

2) Ein beliebiger Name, den, wenigstens vor der Revolution, jeder französische Soldat annahm, wenn er in Kriegsdienste trat.

d'Olivier; aucun signe de religion, aucune marque de repentir. Je n'ai pas mémoire, que celui-ci se soit présenté une fois au tribunal de la pénitence. La femme d'Olivier est une arrogante qui m'a manqué en plus d'une occasion: sous prétexte qu'elle sait lire et écrire, elle se croit en état d'élever ses enfans; et on ne les voit ni aux écoles de la paroisse ni à mes instructions. Que Madame juge d'après cela, si des gens de cette espèce sont bien dignes de ses bontés! L'évangile ne cesse de nous recommander la commisération pour les pauvres; mais on double le mérite de sa charité par un bon choix des misérables, et personne ne connoît mieux les vrais indigens que le pasteur commun des indigens et des riches. Si Madame daignoit m'honorer de sa confiance, je placerois peut-être les marques de sa bienfaisance d'une manière plus utile pour les malheureux et plus méritoire pour elle.

Je suis avec respect etc.

[ocr errors]

Madame de remercia M. le subdélégué Aubert de ses attentions, et envoya ses aumônes à M. Papin avec le billet qui suit:

„Je vous suis très-obligée, Monsieur, de vos sages conseils. Je vous avoue que l'histoire de ces deux hommes m'avoit touchée; et vous conviendrez que l'exemple d'une amitié aussi rare étoit bien fait pour séduire une âme honnête et sensible. Mais vous m'avez éclairée, et j'ai conçu qu'il valoit mieux porter des secours à des vertus chrétiennes et malheureuses qu'à des vertus naturelles et païennes. Je vous prie d'accepter la somme modique que je vous envoie, et de la distribuer d'après une charité mieux entendue que la mienne."

,, J'ai l'honneur d'être etc."

On pense bien que la veuve Olivier et Félix n'eurent aucune part aux aumônes de Madame de ***. Félix mourut; et la pauvre femme auroit péri de misère avec ses enfans, si elle ne s'étoit réfugiée dans la forêt chez son fils aîné où elle travaille malgré son grand âge, et subsiste comme elle peut, à côté de ses enfans et de ses petits-enfans.

*

....

Et puis il y a trois sortes de contes Il y en a bien davantage, me direz-vous .... A la bonne heure; mais je distingue le conte à la manière d'Homère, de Virgile, du Tasse; et je l'appelle le conte merveil leux. La nature y est exagérée, la vérité y est hypothétique; et si le conteur a bien gardé le module qu'il a choisi, si tout répond à ce module et dans les actions et dans les discours, il a obtenu le degré de perfection que le genre de son ouvrage comportoit, et vous n'avez rien de plus à lui demander. En entrant dans son poëme, vous mettez le pied dans une terre inconnue, où rien ne se passe comme dans celle que vous habitez, mais où tout se fait en grand, comme les choses se font autour de vous en petit ... Il y a le conte plaisant, à la façon de la Fontaine, de Vergier, de l'Arioste, d'Hamilton, où le conteur ne se propose ni l'imitation de la nature, ni la vérité, ni l'illusion; il s'élance dans les espaces imaginaires. Dites à celuici: soyez gai, ingénieux, varié, original, même extravagant, j'y consens; séduisez-moi par les détails; que le charme de la forme me dérobe tou

mais

jours l'invraisemblance du fond; et si ce conteur fait ce que vous en exigez ici, il a tout fait. Il y a enfin le conte historique, tel qu'il est écrit dans les nouvelles de Scarron, de Cervantes, de Marmontel. Au diable le conte et le conteur historiques! C'est un menteur plat et froid. — Oui, s'il ne sait pas son métier. Celui-ci se propose de vous tromper; il est assis au coin de votre âtre; il a pour objet la vérité rigoureuse; il veut être cru, il veut intéresser, toucher, entraîner, émouvoir, faire frissonner la peau et couler les larmes; effets qu'on n'obtient point sans éloquence et sans poésie. Mais l'éloquence est une sorte de mensonge, et rien de plus contraire à l'illusion que la poésie; l'une et l'autre exagèrent, surfont, amplifient, inspirent la méfiance: comment s'y prendra donc ce conteur-ci pour vous tromper? Le voici. Il parsemera son récit de petites circonstances si liées à la chose, de traits si simples, si naturels et toutefois si difficiles à imaginer, que vous serez forcé de vous dire en vous-même: ma foi, cela est vrai; on n'invente pas ces choses - là. C'est ainsi qu'il sauvera l'exagération de l'éloquence et de la poésie, que la vérité de la nature couvrira le prestige de l'art, et qu'il satisfera à deux conditions qui semblent contradictoires, d'être en même temps historien et poète, véridique et menteur. Un exemple emprunté d'un autre art rendra peut-être plus sensible ce que je veux dire. Un peintre exécute sur la toile une tête: toutes les formes en sont fortes, grandes et régulières; c'est l'ensemble le plus parfait et le plus. rare. J'éprouve, en le considérant, du respect, de l'admiration, de l'effroi: j'en cherche le modèle dans la nature, et ne l'y trouve pas; en comparaison tout y est foible, petit et mesquin. C'est une tête idéale, je le sens, je me le dis. Mais que l'artiste me fasse apercevoir au front de cette tête une cicatrice légère, une verrue à l'une de ses tempes, une couture imperceptible à la lèvre inférieure, et, d'idéale qu'elle étoit, à l'instant la tête devient un portrait; une marque de petite-vérole au coin de l'oeil ou à côté du nez, et ce visage de femme n'est plus celui de Vénus; c'est le portrait de quelqu'une de mes voisines. Je dirai donc à nos conteurs historiques: vos figures sont belles, si vous voulez; mais il y manque la verrue à la tempe, la couture à la lèvre, la marque de petite-vérole à côté du nez qui les rendroient vraies; et, comme disoit mon ami Cailleau, un peu poussière sur mes souliers, et je ne sors pas de ma loge, je reviens de campagne.

la

Atque ita mentitur, sic veris falsa remiscet,
Primo ne medium, medio ne discrepet imum.

Horat. Art. poet. 2. 151 et 152 3).

de

Et puis un peu de morale, après un peu de poétique; cela va si bien. Félix étoit un gueux qui n'avoit rien. Olivier étoit un autre gueux qui

3) Nach Wieland's Uebersetzung:

1

Und lügt, mit einem Wort, so schön, mengt Wahr und Falsches,

So künstlich in einander, dafs das Ganze

Aus Einem Stücke scheint, und, bis zum Schlufs

Sich selber ähnlich, täuscht, gefällt, entzückt.

[ocr errors]
[ocr errors]

n'avoit rien; dites- en autant du charbonnier, de la charbonnière et des autres personnages de ce conte, et concluez en général: qu'il ne peut guère y avoir d'amitiés entières et solides qu'entre des hommes qui n'ont rien. Un homme

alors est toute la fortune de son ami, et son ami est toute la sienne. De-là

la vérité de l'expérience, que le malheur resserre les liens.

D'ALEM BERT.

JEAN-LE-ROND D'ALEMBERT, einer der glänzendsten Geister. des achtzehnten Jahrhunderts, wurde den 16. November 1717 zu Paris geboren und auf den Stufen der jetzt zerstörten Kirche Saint-Jean-le-Rond ausgesetzt gefunden. Der Polizei - Commissar, der ihn in Empfang nahm, schickte ihn, weil er ihn für zu schwach hielt, nicht ins Findelhaus, sondern übergab ihn der Pflege einer armen Glaserfrau. Seine Eltern haben sich nie öf fentlich zu erkennen gegeben; aber man weifs, dafs es die durch ihren Geist und ihre Schönheit berühmte Madame de Tinc in und der Artillerieoffizier Destouches waren, welche durch eine jährliche Pension von 1200l. hinlünglich für seine Erziehung sorg. ten. Er verrieth frühzeitig grofse Anlagen. Im College Mazazin, das er seit seinem zwölften Jahre besuchte, zog ihn vorzüg‐ lich die Mathematik an. Seine Lehrer wünschten an ihm einen zweiten Pascal für die Sache des Jansenismus zu gewinnen; auch schrieb er wirklich einen Commentar über den Brief Pauli an die Römer. Die theologischen Discussionen hatten aber wenig Reiz für ihn. Als er das Collegium verliefs, nahm er den Grad eines Maître-ès-arts an und studirte nun, um sich zu einem Stande vorzubereiten, erst die Rechte und dann die Medizin. Da er je doch seinen Hang zu mathematischen Speculationen vergeblich zu unterdrücken suchte, beschlofs er, sich ganz der Wissenschaft zu widmen, in der er einst einen so ausgezeichneten Rang einnehmen sollte. Er zog bald die allgemeine Aufmerksamkeit auf sich. Eine Ahhandlung sur le mouvement des corps solides à travers un fluide (1739), und eine über den Integralcalcul (1740) öffneten ihm 1741 die Pforten der Akademie der Wissenschaften. Bald nachher (1743) gab er seinen Traité de dynamique (wiederholt 1758) und ein Jahr später seinen Traité de l'équilibre et du mouvement des fluides (wiederholt 1770) heraus, welche Werke Epoche gemacht haben. 1747 gewann er durch seine Réflexions sur la cause générale des vents einen von der Berliner Akademie der Wissenschaften ausgesetzten Preis, worauf er nicht blofs von dieser gelehrten Gesellschaft zum Mitgliede aufgenommen wurde, sondern auch von Friedrich II,

« PreviousContinue »