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Avant d'être transporté à la résidence de Longwood, Bonaparte occupa une case à Briars près de Balcomb's cottage. Le 9 décembre, Longwood, augmenté à la hâte par les charpentiers de la flotte anglaise, reçut son hôte. La maison, située sur un plateau de montagnes, se composait d'un salon, d'une salle à manger, d'une bibliothèque, d'un cabinet d'étude et d'une chambre à coucher. C'était peu: ceux qui habitèrent la tour du Temple et le donjon de Vincennes furent encore moins bien logés; il est vrai qu'on eut l'attention d'abréger leur séjour. Le général Gourgaud, M. et madame de Montholon avec leurs enfants, M. de Las Cases et son fils, campèrent provisoirement sous des tentes; M. et madame Bertrand s'établirent à Hute's gate, cabine placée à la limite du terrain de Longwood.

Bonaparte avait pour promenoir une arène de douze milles; des sentinelles entouraient cet espace, et des vigies étaient placées sur les plus hauts pitons. Le lion pouvait étendre ses courses au delà, mais il fallait alors qu'il consentît à se laisser garder par un bestiaire anglais. Deux camps défendaient l'enceinte excommuniée le soir, le cercle des factionnaires se resserrait sur Longwood. A neuf heures, Napoléon consigné ne pouvait plus sortir; les patrouilles faisaient la ronde; des cavaliers en vedette, des fantassins plantés çà et là, veillaient dans les criques et dans les ravins qui descendaient à la grève. Deux bricks armés croisaient, l'un sous le vent, l'autre au vent de l'île. Que de précautions pour garder un seul homme au milieu des mers! Après le coucher du soleil, aucune chaloupe ne pouvait mettre à la mer; les bateaux pêcheurs étaient comptés, et la nuit ils restaient au port sous la responsabilité d'un lieutenant de marine. Le souverain généralissime qui avait cité le monde à son étrier était appelé à comparaître deux fois le jour devant un hausse-col. Bonaparte ne se soumettait point à cet appel; quand, par fortune, il ne pouvait éviter les regards de l'officier de service, cet officier n'aurait osé dire où et comment il avait vu celui dont il était plus difficile de constater l'absence que de prouver la présence à l'univers.

Sir Georges Cockburn, auteur de ces règlements sévères, fut remplacé par sir Hudson Lowe. Alors commencèrent les pointilleries dont tous les Mémoires nous ont entretenus. Si l'on en croyait ces Mémoires, le nouveau gouverneur aurait été de la famille des énormes araignées de Sainte-Hélène : et le reptile de ces bois où

les serpents sont inconnus. L'Angleterre manqua d'élévation, Napoléon de dignité. Pour mettre un terme à ses exigences d'étiquette, Bonaparte semblait quelquefois décidé à se voiler sous un pseudonyme, comme un monarque en pays étranger; il eut l'idée touchante de prendre le nom d'un de ses aides de camp tué à la bataille d'Arcole. La France, l'Autriche, la Russie, désignèrent des commissaires à la résidence de SainteHélène le captif était accoutumé à recevoir les ambassadeurs des deux dernières puissances; la légitimité, qui n'avait pas reconnu Napoléon empereur, aurait agi plus noblement en ne reconnaissant pas Napoléon prisonnier.

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Une grande maison de bois, construite à Londres, fut envoyée à Sainte-Hélène; mais Napoléon ne se trouva plus assez bien portant pour l'habiter. Sa vie à Longwood était ainsi réglée : il se levait à des heures incertaines ; M. Marchand, son valet de chambre, lui faisait la lecture lorsqu'il était au lit; quand il s'était levé matin, il dictait aux généraux Montholon et Gourgaud, et au fils de M. de Las Cases. Il déjeunait à dix heures, se promenait à cheval ou en voiture jusque vers les trois heures, rentrait à six et se couchait à onze. Il affectait de s'habiller comme il est peint dans le portrait d'Isabey : le matin il s'enveloppait d'un cafetan et entortillait sa tête d'un mouchoir des Indes.

Sainte-Hélène est située entre les deux pôles. Les navigateurs qui passent d'un lieu à l'autre saluent cette première station, où la terre délasse les regards fatigués du spectacle de l'Océan et offre des fruits et la fraîcheur de l'eau douce à des bouches échauffées par le sel. La présence de Bonaparte avait changé cette île de promis

sion en un roc pestiféré les vaisseaux étrangers n'y abordaient plus; aussitôt qu'on les signalait à vingt lieues de distance, une croisière les allait reconnaître et leur enjoignait de passer au large; on n'admettait en relâche, à moins d'une tourmente, que les seuls navires de la marine britannique.

Quelques-uns des voyageurs anglais qui venaient d'admirer ou qui allaient voir les merveilles du Gange visitaient sur leur chemin une autre merveille : l'Inde, accoutumée aux conquérants, en avait un enchaîné à ses portes.

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Napoléon admettait ces visites avec peine. Il consentit à recevoir lord Amherst à son retour de son ambassade de la Chine. L'amiral sir Pultney Malcolm lui plut: «Votre gouvernement, lui dit-il un jour, a-t-il l'intention de me retenir sur ce rocher jusqu'à ma <«< mort? » L'amiral répondit qu'il le craignait. « Alors «ma mort arrivera bientôt. J'espère que non, mon« sieur; vous vivrez assez de temps pour écrire vos gran« des actions; elles sont si nombreuses, que cette tâche « vous assure une longue vie. »

Napoléon ne se choqua point de cette simple appellation, monsieur; il se reconnut en ce moment par sa véritable grandeur. Heureusement pour lui, il n'a point écrit sa vie; il l'eût rapetissée : les hommes de cette nature doivent laisser leurs mémoires à raconter par cette voix inconnue qui n'appartient à personne et qui sort des peuples et des siècles. A nous seul vulgaire il est permis de parler de nous, parce que personne n'en parlerait.

Le capitaine Basil Hall se présenta à Longwood :

Bonaparte se souvint d'avoir vu le père du capitaine à Brienne: « Votre père, dit-il, était le premier Anglais que

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jeusse jamais vu; c'est pourquoi j'en ai gardé le souve«< nir toute ma vie. » Il s'entretint avec le capitaine de la récente découverte de l'île de Lou-Tchou: « Les habitants « n'ont point d'armes, dit le capitaine. - Point d'armes!

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<< s'écria Bonaparte. - Ni canons ni fusils. Des lances « au moins, des arcs et des flèches? Rien de tout cela. Ni poignards? - Ni poignards. Mais comment se « bat-on? — Ils ignorent tout ce qui se passe dans le <«< monde; ils ne savent pas que la France et l'Angleterre existent; ils n'ont jamais entendu parler de Votre « Majesté. » Bonaparte sourit d'une manière qui frappa le capitaine plus le visage est sérieux, plus le sourire est beau.

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Ces différents voyageurs remarquèrent qu'aucune trace de couleur ne paraissait sur le visage de Bonaparte : sa tête ressemblait à un buste de marbre dont la blancheur était légèrement jaunie par le temps. Rien de sillonné sur son front, ni de creusé dans ses joues; son âme semblait sereine. Ce calme apparent fit croire que la flamme de son génie s'était envolée. Il parlait avec lenteur; son expression était affectueuse et presque tendre; quelquefois il lançait des regards éblouissants, mais cet état passait vite ses yeux se voilaient et devenaient tristes.

Ah! sur ces rivages avaient jadis comparu d'autres voyageurs connus de Napoléon.

Après l'explosion de la machine infernale, un sénatus-consulte du 5 janvier 1801 prononça sans jugement, par simple mesure de police, l'exil outre-mer de cent

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