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SÉJOUR A LAUSANNE.

Madame de Chateaubriand, étant malade, fit un voyage dans le midi de la France, ne s'en trouva pas bien, revint à Lyon, où le docteur Prunelle la condamna. Je l'allai rejoindre; je la conduisis à Lausanne, où elle fit mentir M. Prunelle. Je demeurai à Lausanne tour à tour chez M. de Sivry et chez madame de Cottens, femme affectuense, spirituelle et infortunée. Je vis madame de Montolieu elle demeurait retirée sur une haute colline; elle mourait dans les illusions du roman, comme madame de Genlis, sa contemporaine. Gibbon avait composé à ma porte son Histoire de l'empire romain: « C'est au milieu « des débris du Capitole, écrit-il à Lausanne, le 27 juin « 1787, que j'ai formé le projet d'un ouvrage qui a occupé «et, amusé près de vingt années de ma vie. » Madame de Staël avait paru avec madame Récamier à Lausanne. Toute l'émigration, tout un monde fini s'était arrêté

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quelques moments dans cette cité riante et triste, espèce de fausse ville de Grenade. Madame de Duras en a retracé le souvenir dans ses Mémoires et ce billet m'y vint apprendre la nouvelle perte à laquelle j'étais condamné :

« Bex, 13 juillet 1826.

« C'en est fait, monsieur, votre amie n'existe plus; « elle a rendu son âme à Dieu, sans agonie, ce matin à «< onze heures moins un quart. Elle s'était encore pro<< menée en voiture hier au soir. Rien n'annonçait une « fin aussi prochaine; que dis-je, nous ne pensions pas « que sa maladie dût se terminer ainsi. M. de Custine, à « qui la douleur ne permet pas de vous écrire lui-même, «< avait encore été hier matin sur une des montagnes qui << environnent Bex, pour faire venir tous les matins du << lait des montagnes pour la chère malade.

« Je suis trop accablé de douleur pour pouvoir entrer « dans de plus longs détails. Nous nous disposons pour << retourner en France avec les restes précieux de la meil«<leure des mères et des amies. Enguerrand reposera « entre ses deux mères.

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Nous passerons par Lausanne, où M. de Custine ira

« vous chercher aussitôt notre arrivée.

« Recevez, monsieur, l'assurance de l'attachement

<< respectueux avec lequel je suis, etc.

« BERSTECHER. »

Cherchez plus haut et plus bas ce que j'ai eu le bon

heur et le malheur de rappeler relativement à la mémoire de madame de Custine.

Les Lettres écrites de Lausanne, ouvrage de madame de Charrière, rendent bien la scène que j'avais chaque jour sous les yeux, et les sentiments de grandeur qu'elle inspire: « Je me repose seule, dit la mère de Cécile, vis-à« vis d'une fenêtre ouverte qui donne sur le lac. Je vous remercie, montagnes, neige, soleil, de tout le plaisir « que vous me faites. Je vous remercie, auteur de tout ce « que je vois, d'avoir voulu que ces choses fussent si agréables à voir. Beautés frappantes et aimables de « la nature tous les jours mes yeux vous admirent, « tous les jours vous vous faites sentir à mon cœur. »

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Je commençai, à Lausanne, les Remarques sur le premier ouvrage de ma vie, l'Essai sur les révolutions anciennes et modernes. Je voyais de mes fenêtres les rochers de Meillerie : « Rousseau, écrivais-je dans une de ces Remarques, « n'est décidément au-dessus des auteurs de son temps « que dans une soixantaine de lettres de la Nouvelle Hé« loïse, dans quelques pages de ses Réveries et de ses Con« fessions. Là, placé dans la véritable nature de son talent, «< il arrive à une éloquence de passion inconnue avant lui. « Voltaire et Montesquieu ont trouvé des modèles de style « dans les écrivains du siècle de Louis XIV; Rousseau, et «< même un peu Buffon, dans un autre genre, ont créé << une langue qui fut ignorée du grand siècle. »

RETOUR A PARIS.

LES JÉSUITES.

LETTRE DE M. DE MONTLOSIER ET MA RÉPONSE.

De retour à Paris, ma vie se trouva occupée entre mon établissement, rue d'Enfer, mes combats renouvelés à la Chambre des pairs et dans mes brochures contre les différents projets de lois contraires aux libertés publiques; entre mes discours et mes écrits en faveur des Grecs, et mon travail pour mes OEuvres complètes. L'empereur de Russie mourut, et avec lui la seule amitié royale qui me restât. Le duc de Montmorency était devenu gouverneur du duc de Bordeaux. Il ne jouit pas longtemps de ce pesant honneur : il expira le vendredi saint 1826, dans l'église de Saint-Thomas-d'Aquin, à l'heure où Jésus expira sur la croix, il alla à Dieu avec le dernier soupir du Christ.

L'attaque était commencée contre les jésuites; on entendit les déclamations banales et usées contre cet ordre célèbre, dans lequel, il faut en convenir, règne quelque

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