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JE RÉUNIS AUTOUR DE MOI MES ANCIENS ADVERSAIRES.

MON PUBLIC EST CHANGÉ.

Paris avait vu ses dernières fêtes : l'époque d'indulgence, de réconciliation, de faveur, était passée : la triste vérité restait seule devant nous.

Lorsque, en 1820, la censure mit fin au Conservateur, je ne m'attendais guère à recommencer sept ans après la même polémique sous une autre forme et par le moyen d'une autre presse. Les hommes qui combattaient avec moi dans le Conservateur réclamaient comme moi la liberté de penser et d'écrire ; ils étaient dans l'opposition comme moi, dans la disgrâce comme moi, et ils se disaient mes amis. Arrivés au pouvoir en 1820, encore plus par mes travaux que par les leurs, ils se tournèrent contre la liberté de la presse de persécutés, ils devinrent persécuteurs; ils cessèrent d'être et de se dire mes amis; ils soutinrent que la licence de la presse n'avait commencé que le 6 de juin 1824,

jour de mon renvoi du ministère; leur mémoire était courte s'ils avaient relu les opinions qu'ils prononcèrent, les articles qu'ils écrivirent contre un autre ministère et pour la liberté de la presse, ils auraient été obligés de convenir qu'ils étaient au moins en 1818 et 1819 les souschefs de la licence.

D'un autre côté, mes anciens adversaires se rapprochèrent de moi. J'essayai de rattacher les partisans de l'indépendance à la royauté légitime, avec plus de fruit que je ne ralliai à la Charte les serviteurs du trône et de l'autel. Mon public avait changé. J'étais obligé d'avertir le gouvernement des dangers de l'absolutisme, après l'avoir prémuni contre l'entraînement populaire. Accoutumé à respecter mes lecteurs, je ne leur livrais pas une ligne que je ne l'eusse écrite avec tout le soin dont j'étais capable : tel de ces opuscules d'un jour m'a coûté plus de peine, proportion gardée, que les plus longs ouvrages sortis de ma plume. Ma vie était incroyablement remplie. L'honneur et mon pays me rappelèrent sur le champ de bataille. J'étais arrivé à l'âge où les hommes ont besoin de repos; mais si j'avais jugé de mes années par la haine toujours croissante que m'inspiraient l'oppression et la bassesse, j'aurais pu me croire rajeuni.

Je réunis autour de moi une société d'écrivains pour donner de l'ensemble à mes combats. Il y avait parmi eux des pairs, des députés, des magistrats, de jeunes auteurs commençant leur carrière. Arrivèrent chez moi MM. de Montalivet, Salvandy, Duvergier de Hauranne, bien d'autres qui furent mes écoliers et qui débitent aujourd'hui, comme choses nouvelles sur la monarchie représentative, des choses que je leur ai ap

prises et qui sont à toutes les pages de mes écrits. M. de Montalivet est devenu ministre de l'intérieur et favori de Philippe; les hommes qui aiment à suivre les variations d'une destinée trouveront ce billet assez curieux :

((

« Monsieur le vicomte,

J'ai l'honneur de vous envoyer le relevé des « erreurs que j'avais trouvées dans le tableau de juge<«<ments en Cour royale qui vous a été communiqué. Je « les ai vérifiées encore, et je crois pouvoir répondre de « l'exactitude de la liste ci-jointe.

་་

Daignez, monsieur le vicomte, agréer l'hommage « du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être, « Votre bien dévoué collègue et sincère admirateur, « MONTALIVET. »

Cela n'a pas empêché mon respectueux collègue et sincère admirateur, M. le comte de Montalivet, en son temps si grand partisan de la liberté de la presse, de m'avoir fait entrer comme fauteur de cette liberté dans la geôle de M. Gisquet.

De ma nouvelle polémique qui dura cinq ans, mais qui finit par triompher, un abrégé fera connaître la force des idées contre les faits appuyés même du pouvoir. Je fus renversé le 6 juin 1824; le 21 j'étais descendu dans l'arène; j'y restai jusqu'au 18 décembre 1826 : j'y entrai seul, dépouillé et nu, et j'en sortis victorieux. C'est de l'histoire que je fais ici en faisant l'extrait des arguments que j'employai.

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