Page images
PDF
EPUB

eut à supporter à Paris les assauts des avocats qui voulaient mettre à sac ses malheurs: il regrettait de n'avoir l'armée; pas dissous la Chambre avant son départ pour fait fusiller il s'est souvent aussi repenti de n'avoir pas Fouché et Talleyrand. Mais il est certain que Bonaparte, après Waterloo, s'interdit toute violence, soit qu'il obéit au calme habituel de son tempérament, soit qu'il fût dompté par la destinée; il ne dit plus comme avant sa première abdication: « On verra ce que c'est que la mort d'un grand homme. » Cette verve était passée. Antipathique à la liberté, il songea à casser cette Chambre des représentants que présidait Lanjuinais, de citoyen devenu sénateur, de sénateur devenu pair, depuis redevenu citoyen, de citoyen allant redevenir pair. Le général La Fayette, député, lut à la tribune une proposition qui déclarait : « la Chambre en permanence, crime de haute << trahison toute tentative pour la dissoudre, traître à la patrie, et jugé comme tel, quiconque s'en rendrait « coupable. » (21 juin 1815.)

[ocr errors]

Le discours du général commençait par ces mots: Messieurs, lorsque pour la première fois depuis << bien des années j'élève une voix que les vieux amis de « la liberté reconnaîtront encore, je me sens appelé à

«

« vous parler du danger de la patrie.

[ocr errors][ocr errors][merged small]

Voici l'instant de nous rallier autour du drapeau tricolore, de celui de 89, celui de la liberté, de l'égalité et de l'ordre public.

[ocr errors]

L'anachronisme de ce discours causa un moment d'illusion; on crut voir la Révolution, personnifiée dans La Fayette, sortir du tombeau et se présenter pâle et ridée

à la tribune. Mais ces motions d'ordre, renouvelées de Mirabeau, n'étaient plus que des armes hors d'usage, tirées d'un vieil arsenal. Si La Fayette rejoignait noblement la fin et le commencement de sa vie, il n'était pas en son pouvoir de souder les deux bouts de la chaîne rompue du temps. Benjamin Constant se rendit auprès de l'empereur à l'Élysée-Bourbon; il le trouva dans son jardin. La foule remplissait l'avenue de Marigny et criait : Vive l'empereur! cri touchant échappé des entrailles populaires; il s'adressait au vaincu! Bonaparte dit à Benjamin Constant : « Que me doivent ceux-ci? je les ai trouvés, je les <«< ai laissés pauvres. » C'est peut-être le seul mot qui lui soit sorti du cœur, si toutefois l'émotion du député n'a pas trompé son oreille. Bonaparte, prévoyant l'événement, vint au-devant de la sommation qu'on se préparait à lui faire; il abdiqua pour n'être pas contraint d'abdiquer : «Ma vie politique est finie, dit-il je déclare mon fils, «< sous le nom de Napoléon II, empereur des Français. Inutile disposition, telle que celle de Charles X en faveur de Henri V on ne donne des couronnes que lorsqu'on les possède, et les hommes cassent le testament de l'adversité. D'ailleurs l'empereur n'était pas plus sincère en descendant du trône une seconde fois qu'il ne l'avait été dans sa première retraite; aussi, lorsque les commissaires français allèrent apprendre au duc de Wellington que Napoléon avait abdiqué, il leur répondit : « Je le sa« vais depuis un an. »

[ocr errors]

La Chambre des représentants, après quelques débats où Manuel prit la parole, accepta la nouvelle abdication de son souverain, mais vaguement et sans nommer de régence.

Une commission exécutive est créée: le duc d'Otrante la préside; trois ministres, un conseiller d'État et un général de l'empereur la composent et dépouillent de nouveau leur maître : c'était Fouché, Caulaincourt, Carnot, Quinette et Grenier.

Pendant ces transactions, Bonaparte retournait ses idées dans sa tête: « Je n'ai plus d'armée, disait-il, je << n'ai plus que des fuyards. La majorité de la Chambre La Fayette, << des députés est bonne; je n'ai contre moi Lanjuinais et quelques autres. Si la nation se lève, <«<l'ennemi sera écrasé; si, au lieu d'une levée, on dis

[ocr errors]

(

[ocr errors]

་་

que

pute, tout sera perdu. La nation n'a pas envoyé les dé

putés pour me renverser, mais pour me soutenir. Je ne « les crains point, quelque chose qu'ils fassent; je serai toujours l'idole du peuple et de l'armée : si je disais « un mot, ils seraient assommés. Mais si nous nous que«rellons au lieu de nous entendre, nous aurons le sort << du Bas-Empire.

[ocr errors]

Une députation de la Chambre des représentants étant venue le féliciter sur sa nouvelle abdication, il répondit : « Je vous remercie : je désire que mon abdication puisse faire le bonheur de la France; mais je ne l'espère pas..»

[ocr errors]
[ocr errors]

Il se repentit bientôt après, lorsqu'il apprit que la Chambre des représentants avait nommé une commission de gouvernement composée de cinq membres. Il dit aux ministres : « Je n'ai point abdiqué en faveur d'un nouveau « Directoire ; j'ai abdiqué en faveur de mon fils : si on ne « le proclame point, mon abdication est nulle et non << avenue. Ce n'est point en se présentant devant les alliés « l'oreille basse et le genou en terre que les Chambres

« les forceront à reconnaître l'indépendance natio<< nale. >>

Il se plaignait que La Fayette, Sébastiani, Pontécoulant, Benjamin Constant, avaient conspiré contre lui, que d'ailleurs les Chambres n'avaient pas assez d'énergie. Il disait que lui seul pouvait tout réparer, mais que les meneurs n'y consentiraient jamais, qu'ils aimeraient mieux s'engloutir dans l'abîme que de s'unir avec lui, Napoléon, pour le fermer.

[ocr errors]

Le 27 juin, à la Malmaison, il écrivit cette sublime lettre : « En abdiquant le pouvoir, je n'ai pas renoncé au plus noble droit du citoyen, au droit de défendre mon « pays. Dans ces graves circonstances, j'offre mes services «< comme général, me regardant encore comme le pre« mier soldat de la patrie.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Le duc de Bassano lui ayant représenté que les Chambres ne seraient pas pour lui : « Alors je le vois bien, dit-il, « il faut toujours céder. Cet infâme Fouché vous trompe, il n'y a que Caulaincourt et Carnot qui valent quelque chose; mais que peuvent-ils faire, avec un traître, Fouché, et deux niais, Quinette et Grenier, et « deux Chambres qui ne savent ce qu'elles veulent? Vous « croyez tous comme des imbéciles aux belles promesses « des étrangers; vous croyez qu'ils vous mettront la poule «< au pot, et qu'ils vous donneront un prince de leur fa«çon, n'est-ce pas? Vous vous trompez 1.

[ocr errors]
[ocr errors]

Des plénipotentiaires furent envoyés aux alliés. Napoléon requit le 29 juin deux frégates, stationnées à Rochefort, pour le transporter hors de France; en attendant il s'était retiré à la Malmaison.

1 Voyez les OEuvres de Napoléon, tome Ier, dernières pages.

Les discussions étaient vives à la Chambre des pairs. Longtemps ennemi de Bonaparte, Carnot, qui signait l'ordre des égorgements d'Avignon sans avoir le temps de le lire, avait eu le temps, pendant les Cent-Jours, d'immoler son républicanisme au titre de comte. Le 22 juin, il avait lu au Luxembourg une lettre du ministre de la guerre, contenant un rapport exagéré sur les ressources militaires de la France. Ney, nouvellement arrivé, ne put entendre ce rapport sans colère. Napoléon, dans ses bulletins, avait parlé du maréchal avec un mécontentement mal déguisé, et Gourgaud accusa Ney d'avoir été la principale cause de la perte de la bataille de Waterloo. Ney se leva et dit : « Ce rapport est faux, faux de tous points: Grouchy ne peut avoir sous ses ordres que vingt à vingtcinq mille hommes tout au plus. Il n'y a plus un seul << soldat de la garde à rallier : je la commandais; je l'ai vu «< massacrer tout entière avant de quitter le champ de ba« taille. L'ennemi est à Nivelle avec quatre-vingt mille hommes; il peut être à Paris dans six jours: vous n'a« vez d'autre moyen de sauver la patrie que d'ouvrir des négociations. »

་་

་་

་་

L'aide de camp Flahaut voulut soutenir le rapport du ministre de la guerre ; Ney répliqua avec une nouvelle véhémence : « Je le répète, vous n'avez d'autre voie de ་་ salut que la négociation. Il faut que vous rappeliez les « Bourbons. Quant à moi, je me retirerai aux États« Unis. >>

A ces mots, Lavalette et Carnot accablèrent le maréchal de reproches; Ney leur répondit avec dédain : « Je « ne suis pas de ces hommes pour qui leur intérêt est «tout que gagnerai-je au retour de Louis XVIII? d'être

« PreviousContinue »