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tester de son dévouement; on assurait que cette garde était mal disposée. La faction avait fait fermer les barrières afin d'empêcher le peuple, resté royaliste pendant les Cent-Jours, d'accourir, et l'on disait que ce peuple menaçait d'égorger Louis XVIII à son passage. L'aveuglement était miraculeux, car l'armée française se retirait sur la Loire, cent cinquante mille alliés occupaient les postes extérieurs de la capitale, et l'on prétendait toujours que le roi n'était pas assez fort pour pénétrer dans une ville où il ne restait pas un soldat, où il n'y avait plus que des bourgeois, très-capables de contenir une poignée de fédérés, s'ils s'étaient avisés de remuer. Malheureusement le roi, par une suite de coïncidences fatales, semblait le chef des Anglais et des Prussiens; il croyait être environné de libérateurs, et il était accompagné d'ennemis; il paraissait entouré d'une escorte d'honneur, et cette escorte n'était en réalité que les gendarmes qui le menaient hors de son royaume : il traversait seulement Paris en compagnie des étrangers dont le souvenir servirait un jour de prétexte au bannissement de sa race.

Le gouvernement provisoire formé depuis l'abdication de Bonaparte fut dissous par une espèce d'acte d'accusation contre la couronne : pierre d'attente sur laquelle on espérait bâtir un jour une nouvelle révolution.

A la première Restauration j'étais d'avis que l'on gardât la cocarde tricolore: elle brillait de toute sa gloire; la cocarde blanche était oubliée; en conservant des couleurs qu'avaient légitimées tant de triomphes, on ne préparait point à une révolution prévoyable un signe de ralliement. Ne pas prendre la cocarde blanche eût

été

sage; l'abandonner après qu'elle avait été portée par les grenadiers mêmes de Bonaparte était une lâcheté : on ne passe point impunément sous les fourches caudines; ce qui déshonore est funeste un soufflet ne vous fait physiquement aucun mal, et cependant il vous tue. Avant de quitter Saint-Denis je fus reçu par le roi et j'eus avec lui cette conversation :

«Eh bien? me dit Louis XVIII, ouvrant le dialogue par cette exclamation.

Eh bien, sire, vous prenez le duc d'Otrante?

- Il l'a bien fallu depuis mon frère jusqu'au bailli de Crussol (et celui-là n'est pas suspect), tous disaient que nous ne pouvions pas faire autrement : qu'en pensez-vous?

Sire, la chose est faite je demande à Votre Majesté la permission de me taire.

Non, non, dites: vous savez comme j'ai résisté depuis Gand.

-Sire, je ne fais qu'obéir à vos ordres; pardonnez à ma fidélité je crois la monarchie finie. »

Le roi garda le silence; je commençais à trembler de ma hardiesse, quand Sa Majesté reprit :

« Eh bien, monsieur de Chateaubriand, je suis de

votre avis. >>

Cette conversation termine mon récit des Cent-Jours.

Revu en décembre 1846.

BONAPARTE A LA MALMAISON.

ABANDON GENERAL.

Si un homme était soudain transporté des scènes les plus bruyantes de la vie au rivage silencieux de l'Océan glacé, il éprouverait ce que j'éprouve auprès du tombeau de Napoléon, car nous voici tout à coup au bord de ce tombeau.

Sorti de Paris le 29 juin, Napoléon attendait à la Malmaison l'instant de son départ de France. Je retourne à lui: revenant sur les jours écoulés, anticipant sur les temps futurs, je ne le quitterai plus qu'après sa mort.

La Malmaison, où l'empereur se reposa, était vide. Joséphine était morte; Bonaparte dans cette retraite se trouvait seul. Là il avait commencé sa fortune; là il avait été heureux; là il s'était enivré de l'encens du monde; là, du sein de son tombeau, partaient les ordres qui troublaient la terre. Dans ces jardins où naguère les

pieds de la foule râtelaient les allées sablées, l'herbe et les ronces verdissaient; je m'en étais assuré en m'y promenant. Déjà, faute de soins, dépérissaient les arbres étrangers; sur les canaux ne voguaient plus les cygnes noirs de l'Océanie; la cage n'emprisonnait plus les oiseaux du tropique : ils s'étaient envolés pour aller attendre leur hôte dans leur patrie.

Bonaparte aurait pu cependant trouver un sujet de consolation en tournant les yeux vers ses premiers jours: les rois tombés s'affligent surtout, parce qu'ils n'aperçoivent en amont de leur chute qu'une splendeur hérédi– taire et les pompes de leur berceau : mais que découvrait Napoléon antérieurement à ses prospérités? la crèche de sa naissance dans un village de Corse. Plus magnanime en jetant le manteau de pourpre, il aurait repris avec orgueil le sayon du chevrier; mais les hommes ne se replacent point à leur origine quand elle fut humble; il semble que l'injuste ciel les prive de leur patrimoine lorsqu'à la loterie du sort ils ne font que perdre ce qu'ils avaient gagné, et néanmoins la grandeur de Napoléon vient de ce qu'il était parti de lui-même : rien de son sang ne l'avait précédé et n'avait préparé sa puissance.

A l'aspect de ces jardins abandonnés, de ces chambres déshabitées, de ces galeries fanées par les fêtes, de ces salles où les chants et la musique avaient cessé, Napoléon pouvait repasser sur sa carrière il se pouvait demander si avec un peu plus de modération il n'aurait pas conservé ses félicités. Des étrangers, des ennemis, ne le bannissaient pas maintenant; il ne s'en allait pas quasivainqueur, laissant les nations dans l'admiration de son

passage, après la prodigieuse campagne de 1814; il se retirait battu. Des Français, des amis, exigeaient son abdication immédiate, pressaient son départ, ne le voulaient plus même pour général, lui dépêchaient courriers sur courriers, pour l'obliger à quitter le sol sur lequel il avait versé autant de gloire que de fléaux.

A cette leçon si dure se joignaient d'autres avertissements: les Prussiens rôdaient dans le voisinage de la Malmaison; Blücher, aviné, ordonnait en trébuchant de saisir, de pendre le conquérant qui avait mis le pied sur le cou des rois. La rapidité des fortunes, la vulgarité des mœurs, la promptitude de l'élévation et de l'abaissement des personnages modernes ôtera, je le crains, à notre temps, une partie de la noblesse de l'histoire : Rome et la Grèce n'ont point parlé de pendre Alexandre et César.

Les scènes qui avaient eu lieu en 1814 se renouvelèrent en 1815, mais avec quelque chose de plus choquant, parce que les ingrats étaient stimulés par la peur : il se fallait débarrasser de Napoléon vite; les alliés arrivaient; Alexandre n'était pas là, au premier moment, pour tempérer le triomphe et contenir l'insolence de la fortune; Paris avait cessé d'être orné de sa lustrale inviolabilité; une première invasion avait souillé le sanctuaire; ce n'était plus la colère de Dieu qui tombait sur nous, c'était le mépris du ciel : le foudre s'était éteint.

Toutes les lâchetés avaient acquis par les Cent-Jours un nouveau degré de malignité; affectant de s'élever, par amour de la patrie, au-dessus des attachements personnels, elles s'écriaient que Bonaparte était aussi trop criminel d'avoir violé les traités de 1814. Mais les vrais coupables n'étaient-ils pas ceux qui favorisèrent ses

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