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<< maison de baigneur »1, « c'étoient des portiques ou galeries basses; et au-dessus des appartements fort superbes, chambres dorées, cabinets et bains; enfin mille lieux où ceux qui apportoient de l'argent trouvoient de quoi l'employer (VIII, 186-187).

»

Pour les dedans d'autres édifices, il ne s'arrête pas d'ordinaire aux lambris, qu'ils soient de stuc ou de dorures (IX, 269); il ne distingue pas le cabinet de l'antichambre (ibidem, 266); mais remarque que telle chambre est à l'italienne, « voûte ouverte par le milieu ». Les alcoves, qu'il prétend inventées par les fées (VIII, 63), sont fermées par un riche balustre (VIII, 251).

Les vergers, devenus parcs (VIII, 121-124), se sont « plantés» eux aussi : admirons leurs « allées en étoile »>, leurs « parterres aux fleurons d'herbe tendre et menue », leur « feuillage rangé en globes, en pyramides ». Mais ne fallait-il pas y amener les eaux, profiter de ce cristal liquide aux cent usages divers, aux mille caprices? Voici donc une goulette, un canal, un bassin dit rond à pans; sur les glacis l'onde roule; des degrés des cascades elle tombe et bouillonne.

Chez la Fontaine, la joie de voir, d'entendre, s'augmente, on le sent, de la joie de redire, de répéter; il n'emprunte cependant que peu de mots techniques à la profession des peintres, des dessinateurs, des sculpteurs le teint de la compagne de saint Malc aura des jours aussi frais qu'éclatants (VI, 285). Le Paysan du Danube est portrait en raccourci (III, 144). Annette, la contemplative, nous vaut ce coin d'académie, d'atelier (V, 346):

Quelqu'un n'a-t-il point vu

Comme on dessine sur nature?

On vous campe une créature,

Une Ève, ou quelque Adam, j'entends un objet nu;

Puis force gens, assis comme notre bergère,

Font un crayon conforme à cet original.

La musique non plus, qu'il « aime extrêmement » (VIII, 271), n'a point, sauf quelques métaphores, été mise par lui à contribution fréquente; ce qui n'empêche point qu'il n'ait,

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et sur les genres et sur les instruments, les idées les plus nettes (IX, 156) :

La voix veut le téorbe, et non pas la trompette ;

Et la viole, propre aux plus tendres amours,

N'a jamais jusqu'ici pu se joindre aux tambours.

Mais on n'est plus au temps des grands concerts d' « Orphée », des passages' d'Atto et de Léonora :

Ce n'est plus la saison de Raymond et d'Hilaire :
Il faut vingt clavecins, cent violons, pour plaire ;
On ne va plus chercher au bord de quelque bois
Des amoureux bergers la flûte et le hautbois.
.... Hiver, été, printemps, bref opéra toujours;
Et quiconque n'en chante, ou bien plutôt n'en gronde
Quelque récitatif n'a pas l'air du beau monde.

« Grondez-vous point un air? » demande la Rancune (VII, 316). Le Florentin en râcle (405), pour égayer Hortense : Prenant une guitare

Il lui racle à l'oreille un air vieil et bizarre.

Retranchez « le Quinquina », poème imposé, pour ainsi dire, les termes médicaux sont rares dans toute son œuvre. A cet épicurien médecine et docteurs ne disent rien qui vaille, ni le médecin Tant-Mieux, ni le médecin TantPis. On ne peut s'en passer (III, 344); mais, à qui les réclame (218), Dieu sait ce qu'il en coûte le lit et les cataplasmes pour la goutte de ce « prélat », alors que le manant, le pauvre homme », s'est guéri de la sienne en la bien tracassant (I, 227) :

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Son hôte la menoit tantôt fendre du bois,
Tantôt fouir, houer: goutte bien tracassée
Est, dit-on, à demi pansée.

Hippocrate n'a point de honte, il ne fait choix de ses mots : témoin le recipé à l'Abbesse malade (V, 306-317). Il est vrai qu'en revanche l'Académie, en 1694, sur le désir du Roi, aux clystère, lavement, substitue remède (VI, 46 et note 2)2.

1. Tome II, p. 217 et note 5.

2. Mais, en 1685, la Fontaine écrivait encore (IV, 122):

On lui donne maints clystères.

Pour malandre, suros, mémarchure, farcin, apostume, monaut, voyez ci

Sur le point de terminer la partie de ce travail qui concerne le mot, le mot propre, pris au propre, non encore au figuré, il est une remarque indispensable à faire. Parmi les nombreux termes choisis et cités par nous, beaucoup auraient paru ne point être dignes d'être relevés que nous n'en serions pas surpris quelque titre de gloire que s'en fasse Boileau, appeler chat un chat semble si naturel!

Mais ce qui l'est moins, ce qu'il fallait à tout prix saisir et dégager, c'est l'usage de ce langage familier auquel la Fontaine doit un caractère si original. Or, de ce langage familier, auquel nous reviendrons, quel élément meilleur, plus facile, plus abondant, plus fécond, que la recherche, que l'emploi, du mot propre? D'où la nécessité, quitte à multiplier les exemples, de noter au passage ceux de ces mots qui sont, qui étaient tout au moins, de la langue ordinaire, de la langue parlée, et non de la langue étudiée, de la langue écrite.

Y avait-il si longtemps vraiment que, sous les réprimandes acerbes, pédantesques, de la gent qui porte férule, des gratteurs et regratteurs de syllabes, Corneille, retouchant, effaçant comme à la tâche, se voyait gourmandé pour des termes, presque tous bientôt réadoptés : par qui? par notre auteur? Vaugelas et Ménage nous disent que futur sent le notaire et le grammairien, qu'il est, même adjectif, à bannir, et des vers et de la prose. Bouillons, au figuré, loyer, pour récompense, n'étaient pas plus heureux. Gueule faisait frémir; face était trivial. Poitrine, ventre, flanc, cédaient la place à sein, qui les remplaçait tantôt l'un, tantôt l'autre, ou deux seulement, ou tous les trois ensemble, et, par un contraste plaisant, perdait, lui, en revanche, son sens particulier, estimé un peu libre. Moins choquant, gorge lui succédait. La Fontaine dit gorge, mais il dit sein aussi, et préfère tetons.

Achevons cependant l'étude du mot propre par la mention des termes empruntés à la chevalerie, au métier des armes. Voici la raison de ce classement notre poète, s'il puise abondamment au trésor de la langue martiale, de la langue

dessus, p. xx; et tome IV, p. 161 : cartilage, tendon, en parlant d'unc oreille; tome V, p. 43:

Et dès ce soir donner la potion;
J'en ai chez moi de la confection.

guerrière, n'en tire le plus souvent que des comparaisons, des images.

Ce sera donc une liaison toute naturelle pour entrer dans l'étude correspondante du mot propre pris au figuré.

Les romans l'ont bien instruit, ces romans où les belles couraient les aventures en croupe des palefrois (IV, 437, 438, 442).

Son diable, provoquant Phlipot la bonne bête à un duel à mort, un duel à toute outrance, crie du ton d'un Beaumanoir (V, 371, 375) :

Lequel aura de nous deux belle amie ?

Renaud obtient le don d'amoureuse merci (IV, 267). Et, souvenir analogue des tournois de jadis, parmi les traits « qui disent et qui ne disent pas » du « Tableau »>, nous rencon

trons celui-ci (V, 596):

Quoique Bellone ait part ici,

J'y vois peu de corps de cuirasse:

Dame Vénus se couvre ainsi

Lorsqu'elle entre en champ clos1 avec le dieu de Thrace :
Cette armure a beaucoup de grâce.

A soixante-six ans, il se permet ce rêve : « Que direz-vous,
écrit-il à Saint-Evremond, le 18 décembre 1687, d'un dessein
qui m'est venu dans l'esprit? Puisque vous voulez que la
gloire de Mme Mazarin remplisse tout l'univers, et que je
voudrois que celle de Mme de Bouillon allât au delà, ne dor-
mons ni vous ni moi que nous n'ayons mis à fin une si belle
entreprise. Faisons-nous chevaliers de la Table Ronde; aussi
bien est-ce en Angleterre que cette chevalerie a commencé.
Nous aurons deux tentes en notre équipage, et au haut de ces
deux tentes les deux portraits des divinités que nous adorons.
Au passage d'un pont, ou sur le bord d'un bois,
Nos hérauts publieront ce ban à haute voix :
« Marianne sans pair, Hortense sans seconde,
Veulent les cœurs de tout le monde.... »

Mais le rhumatisme, hélas! le réveille, le rend peu dispos à chausser l'éperon (IV, 101).

1. Comparez tome IX, p. 89, l'Épithalame en forme de centurie、

Sauf en amour, du reste, il n'est pas belliqueux (IX, 103-104):

Votre séjour sent un peu trop la poudre,

Non la poudre à têtes friser,

Mais la poudre à têtes briser :

Ce que je crains comme la foudre.
.... Je suis un homme de Champagne,

Qui n'en veux point au roi d'Espagne :
Cupidon seul me fait marcher....

Autres combats, mais combats encore de Cupidon (VI, 28):
La guerre aussi s'exerce en son empire;
Tantôt il met aux champs ses étendards,
Tantôt, couvrant sa marche et ses finesses,

Il prend des cœurs entourés de remparts, etc.

Lorsque la Fontaine emploie ainsi les métaphores militaires, il ne fait que suivre la mode, il parle comme on parlait, non pas seulement dans les romans, au théâtre, mais tout autour de lui. C'est d'un air non moins narquois que Molière1 qu'il note les « bravades » chères aux « plumets », et qui éblouissent les belles (VIII, 295, 296) :

Vous devez avoir lu qu'autrefois le dieu Mars,
Blessé par Cupidon d'une flèche dorée,
Après avoir dompté les plus fermes remparts,
Mit le camp devant Cythérée.

Le siège ne fut pas de fort longue durée :
A peine Mars se présenta

Que la belle parlementa....

Il la gagna peut-être en lui contant sa flamme,
Peut-être conta-t-il ses sièges, ses combats,
Parla de contrescarpes et cent autres merveilles
Que les femmes n'entendent pas,

Et dont pourtant les mots sont doux à leurs oreilles.

La dame comparée à une forteresse, très rarement inexpugnable, devant laquelle on assied son camp, que l'on investit, que l'on bat de l'artillerie d'Amour (et, par malheur, de celle aussi des louis, des pistoles), puis l'escalade, l'assaut, sinon le plein saut, tel est, sans préjudice des rencontres futures, moins brusquées, entre deux draps,

Champ de bataille propre à de pareils combats,

1. Les Précieuses ridicules, scène xi.

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