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Sagette, flèche d'arc (II, 350); semondre, d'où semonce (IV, 259), inviter, convier (I, 387; VIII, 300); de se solacier (V, 369), soulas, soulagement, le plaisir, quel qu'il soit, mais plutôt de la chair (IV, 62, 322); pour sourire, souris (III, 275; IV, 80; V, 147); sycophante, « trompeur », dit la Fontaine en note (I, 211).

Taupinée, taupinière (II, 253); testonner, ajuster la tête (I, 110); tiers, troisième: voyez quart (IV, 138); touret, petite roue, et rouet à filer (I, 382); aussi touret de nez, sorte de masque ancien (V, 148).

Volereau, de voleur : comparez mátineau (I, 180).

A ce relevé d'archaïsmes, dont beaucoup, condamnés au début par l'Académie', ont depuis trouvé grâce, peu à peu, devant elle, voici d'autres termes à joindre, après quelque explication.

Il peut en effet sembler qu'au lieu de les ranger parmi les archaïsmes, à leur suite du moins, il convient de voir en eux de purs néologismes, dont l'invention est de la Fontaine, car nous ne les avons rencontrés avant lui nulle part.

Mais tâchons d'éviter les mésaventures de maints et maints critiques un peu prompts.

Tel le P. Bouhours, qui écrivait bravement : « Le public est si jaloux de son autorité qu'il ne veut la partager avec personne; et c'est peut-être pour cela qu'il rebute d'ordinaire les mots dont un particulier se déclare l'inventeur ou le patron. Témoin l'esclavitude et l'insidieux de M. de Malherbe; le plumeux de M. Desmarets; l'impardonnable de M. Segrais; l'invaincu et l'offenseur de M. Corneille. »

On lui prouva que pas un de ces mots, pas un sur six qu'il invoquait, n'avait été créé par Malherbe, non plus que par Corneille, Desmarets ou Segrais; que Malherbe n'a pas même esclavitude; qu'insidieux est dans Nicot; plumeux chez d'Aubigné; impardonnable chez Froissart; offenseur, invaincu, chez Garnier et chez bien d'autres.

A Corneille du reste, on le sait, ce ne sont pas deux mots seulement qu'on a attribués, mais toute une lignée dont il

1. 1694 elle ne les a pas, ou elle les dit hors d'usage.

2. Doutes sur la langue françoise, p. 50.

3. Aimé Martin, Étude de la langue de Corneille, OEuvres, édition Lefèvre, tome I, p. xi

n'est point le père: punisseur, qui se lit chez le même Garnier; exorable, qu'Oudin, dès l'an 1607, insère en son « Thresor», ainsi qu'impénétrable, et que dextérité, captieux, qu'écrivait Juvénal des Ursins; et combien d'autres que nous ne citons pas!

La Fontaine n'a point échappé à ces méprises, à ces bévues des commentateurs. On a voulu longtemps qu'il eût créé poulaille, rate, nivellerie, bestion, moutonnier. C'est de Villon et Rabelais qu'il a pris moutonnier; Oudin, dans ses « Recherches italiennes », donne nivellerie; rate est chez Marot; bestion, chez Philibert Delorme; et poulaille, partout1.

Aussi n'est-ce point sans les plus expresses restrictions que nous transcrivons les douze mots suivants, que nous n'avons trouvés avant lui chez personne, mais qu'il a bien pu emprunter comme les précédents :

Aguimpées blanchement, en parlant de nonnains dans leur guimpe coquette (IV, 488); de dauber, les daubeurs (II, 226); émoucheur, d'émoucher, chasser, tuer les mouches (II, 262); s'encorneter, au sens de mettre une cornette (IV, 92); enquinauder, tromper, jouer, ensorceler, de Quinault et quinaud (IX, 174); camarade épongier, l'âne chargé d'éponges (I, 159); grimaceries, grimaces (II, 20); huissière, préposée à l'huis (VI, 327):

Deux portes sont au cœur; chacune a sa valvule.
Le sang, source de vie, est par l'une introduit ;
L'autre huissière permet qu'il sorte et qu'il circule;

le pondeur, un mâle qui pondrait (II, 240); pour les permutants, permuteurs (V, 329); d'un rat « la rateuse seigneurie» (III, 352); « peuple souriquois », les souris (I, 281).

Dans la catégorie rentrent trois féminins formés des noms aiglon, escarbot, marcassin, féminins employés, non point comme noms eux-mêmes, mais adjectivement, aiglonne et marcassine, qualifiant la « gent», escarbote la « race » : quand la race escarbote est en quartier d'hiver » (I, 153); « la gent marcassine et... la gent aiglonne » (I, 222)*.

1. Comparez M. Marty-Laveaux, Essai sur la langue de la Fontaine, p. 37-42.

2. Rapprochez ci-dessus, p. vIII, « la moutonnière créature », « âme moutonnière »; et, quoique notre poète n'ait fait que d'en varier l'usage

Puis viennent les termes auxquels il prête ou rend l'acception voulue par l'étymologie, selon cette remarque si juste de Montaigne, que « le maniement et employ des beaux esprits donnent prix à la langue, non pas l'innouant tant comme la remplissant de plus vigoreux et diuers seruices, l'estirant et ployant'

».

Il serait impossible de reproduire ici tous les mots que la Fontaine retrempe à leur source oubliée. Ainsi, et seulement pour en bien marquer l'espèce, dévouements, dévouer, les deux au sens latin (II, 96, 100):

L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements....

Il falloit dévouer ce maudit animal....

Ainsi les noms en eur, si souvent rencontrés chez lui, dont nous allons transcrire une partie2 :

De l'ancien blasonner, censurer ou médire, blasonneur (VII, 569):

C'est un lieu fertile en blasonneurs;

chercheur de, les chercheurs de mondes inconnus (II, 250); « quatre chercheurs de nouveaux mondes >> (III, 88); notre petit maître est un charcheur (sic) de midi à quatorze heures» (VII, 451); compteur, dit de celui qui passe nuits et jours (III, 203)

α

A compter, calculer, supputer, sans relâche,

et conteur, du galant, de l'homme qui « en conte » (IV, 434); le corneur, frère Luce muni de son cornet (IV, 471); la personne couchée en même lit, le coucheur (IV, 391):

Son coucheur, cette nuit, se retourna cent fois ;

critiqueurs, un péjoratif de critiques, de critiquants (VI, 48) : Les critiqueurs sont un peuple sévère;

et le sens : « la dindonnière gent », le troupeau des dindons (III, 298); lunetière, portant lunettes (V, 529):

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1. « Essais », livre III, chapitre v, tome III, p. 322.

2. Nous avons déjà ci-dessus, daubeur, émoucheur, pondeur, permuteur.

detteur, qui doit (III, 224); « diseurs de mots » (V, 26; rapprochez «diseurs de bonne aventure », II, 292); « les méchants diseurs de bons mots », les mauvais plaisants, les rieurs (II, 249); donneur, absolument : « le donneur est bien fait »> (V, 277); avec de et régime : « ce donneur d'eunuque » (VII, 79); « .... le nez du dormeur en pâtit» (II, 377); Pinucio « fait le dormeur » (IV, 217);

Entrepreneur, placé, expliqué, comme il suit (VII, 414):

Ce cousin entreprend de changer une femme!...
Et quel est donc ce sot entrepreneur?

de Gygès, admirant la femme de Candaule (V, 430) :
Notre examinateur soupiroit dans sa peau;

« Le fabricateur souverain » (I, 79):

....

Stratagème inouï, qui des fabricateurs
Paya la constance et la peine (I, 130);

fossoyeur, pour celui qui creuse, qui remue la terre, terrassier (I, 346):

Gardeurs « de cochons » (II, 104); « de troupeaux » (III, 52); giboyeur, « l'adroit giboyeur », le chasseur de petit gibier (VI, 267); gobeur, le gobeur de : « en sera le gobeur », gobera, mangera, l'huître (II, 404);

Harangueur, orateur : « que fit le harangueur? » (II, 232); << on députa deux harangueurs » (VI, 355); « des harangueurs et des harangues » (IX, 327);

Jeûneur, homme qui prétendait vouloir mourir de faim (IV, 420);

D

« Machineurs d'impostures (III, 52); mangeurs, sans complément (III, 264):

Nous ne trouvons que trop de mangeurs ici-bas;

avec de et régime : « le mangeur de moutons » (I, 331), et les « mangeurs de » gens (III, 21; V, 182); Candaule est « le montreur d'appas » (V, 433);

Parleur (III, 153):

Le Sénat demanda ce qu'avoit dit cet homme,
Pour servir de modèle aux parleurs à venir;

rapprochez l'oiseau parleur », ou, mieux, qui ne parle plus

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(III, 59); possesseur de son nid (III, 252); et, deux fois, par ellipse (VII, 81, 99):

Tel qui ne nous voyoit, disoit-il, qu'à moitié,

Quand il est possesseur cherche ailleurs sa fortune;

....

Que mon frère est heureux

De se voir possesseur aussitôt qu'amoureux !

Prometteur, qui promet sachant pertinemment qu'il ne pourra tenir (II, 424);

Raisonneur, qui raisonne, mais pris en bonne part, qui suit un raisonnement (II, 262);

Songeur, qui voit en songe (III, 118);

Ce a tourneur de prunelle» (VII, 562);
Et « maudit urineur » (VII, 338).

Aux archaïsmes de mots, à ce que nous n'osons, nous avons dit pourquoi, appeler néologismes, il faut ajouter les alliances de mots, les composés que la Fontaine accepte, tout faits, de ses aînés, ou qu'il forme au besoin, et avec une aisance, une propriété, qui n'ont rien à envier aux poètes de la Pléiade, que ceux-ci même n'ont pas égalées toujours.

Ainsi trotte-menu (I, 258); un passe-Cicéron (II, 63); deux archipatelins, deux francs patte-pelus (426-427); Grippeminaud, le bon apôtre (190); Triste-oiseau, le hibou (324); Ronge-maille, le rat (ibidem; III, 282); Caquet bon-bec, ma mie (244); ainsi Que-si-que-non, frère de la Discorde, « avecque Tien-et-Mien, son père» (II, 69); le médecin Tant-pis, le médecin Tant-mieux (I, 403); ainsi traîne-malheur (V, 501); ces happe-chair (VII, 395);

Puis, avec le préfixe porte: porte-bourdon (V, 262); porteécaille (316); porte-écarlate (IX, 383); porte-laine (VIII, 478); porte-lumière (VII, 279); porte-maison (III, 284); porte-sonnette (257); etc.

Enfin, avec prépositions: contre-échange, plus fort de nuance qu'échange (IV, 274); deux entre-temps, dont l'un (V, 523), au sens de période, d'intervalle quelconque, l'autre (VI, 103), d'entre-saison, le printemps et l'automne; entresuivi, entre-suivie (II, 297; et passim); le verbe entr'ouïr, actif (V, 564); plus les pronominaux s'entre-baiser (I, 176); s'entre-battre (III, 40); s'entre-dire (V, 330); s'entre-donner

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