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*Il ya des hommes fuperbes que l'élevation de leurs rivaux humilie & apprivoife; ils en viennent par cette difgrace jufqu'à rendre le falut: mais le temps qui adoucit toutes chofes, les remet enfin dans leur naturel.

* Le mépris que les Grands ont pour le peuple, les rend indifferens fur les flatteries ou fur les louanges qu'ils en reçoivent, & tempere leur vanité. De même les Princes loüez fans fin & fans relâche des grands ou des Courtifans, en feroient plus vains, s'ils eftimoient davantage ceux qui les loüent;

*Les Grands croyent étre feuls parfaits, n'admettent qu'à peine dans les au tres hommes la droiture d'efprit, l'habileté, la délicateffe, & s'emparent de ces riches talens, comme de chofes dûës à leur naiffance: c'eft cependant en eux une erreur groffiere de fe nourrir de fi fauffes préventions; ce qu'il ya jamais eu de mieux penfé, de mieux dit, de mieux écrit, & peutétre d'une conduite plus délicate ne nous eft pas toujours venu de leur fond: ils ont de grands domaines, & vne longue fuite d'Ancêtres, cela ne leur peut étre contefté.

* Avez-vous de l'efprit, de la gran- Mr. dela deur, de l'habilété, du goût, du difcerne- Feuillade. en croiray-je la prévention & la

ment?

Alatterie qui publient hardiment vôtre me-
A 4

rite?

Prud

homme.

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&

rite? elles me font fufpectes, je les recufe: me laifferay-je ébloüir par un air de capacité ou de hauteur qui vous met au deffus de tout ce qui fe fait, de ce qui fe dit & de ce qui s'écrit ; qui vous rend fec fur les louanges empêche qu'on ne puiffe arracher de vous la moindre approbation? je conclus de la plus naturellement, que vous avez de la faveur, du credit & de grandes richeffes: quel moyen de vous definir, Telephon, on n'approche de vous que comme du feu, & dans une certaine diftance, & il faudroit vous développer, vous manier, vous confronter avec vos pareils, pour porter de vous un jugement fain & raifonnable: vôtre homme de confiance , qui eft dans vôtre familiarité dont vous prenez confeil, pour qui vous quittez Socrate & Ariftide, avec qui vous riez, &quirit plus haut que vous, Dave enfin m'eft trés-connu; feroit-ce affez pour vous bien connoître?

*

* Ily ena de tels, que s'ils pouvoient connoître leurs fubalternes & fe connoître eux-mêmes, ils auroient honte de primer.

* S'il y a peu d'excellens Orateurs, y a-t-il bien des gens qui puiffent les entendre? S'il n'y a pas affez de bons Ecrivains, où font ceux qui fçavent lire? De même on s'eft toûjours plaint du petit nombre de perfonnes capables de confeiller les Rois,

& de

& de les aider dans l'administration de leurs affaires mais s'ils naiffent enfin ces hommes habiles & intelligens, s'ils agiffent felon leurs vûës & leurs lumieres, font-ils aimez, font ils eftimez autant qu'ils le meritent? font-ils louez de ce qu'ils penfent & do ce qu'ils font pour la patrie? Ils vivent, il fuffit, on les cenfure s'ils échoüent, & on les envie s'ils réüffiffent: blâmons le peuple ou il feroit ridicule de vouloir l'excufer; fon chagrin & fa jaloufie regardez des Grands ou des Puiffans commeinévitables, les ont conduits infenfiblement à le compter pour rien, & à negliger fes fuffrages dans toutes leurs entreprises, à s'en faire même une régle de politique.

ฟัง Les petits fe haiffent les uns les autres lorfqu'ils fe nuifent reciproquement, Les Grands font odieux aux petits par le mal qu'ils leur font, & par tout le bien qu'ils ne leur font pas: ils leur font refponfables de leur obfcurité, de leur pauvreté, & de leur infortune; ou du moins ils leur paroiffenttels,

C'est déja trop d'avoir avec le peuple Plufieurs une même Religion & un même Dieu; grands Seigneurs quel moyen encore de s'appeller Pierre, quiportens Jean, Jacques, comme le Marchand ou le les noms Laboureur: évitons d'avoir rien de com- Hercules, mun avec la multitude, affectons au con- Achilles,

de Cezar,

traire toutes les diftinctions qui nous en Phoebuss feparent'; qu'elle s'approprie les douze A. AS pôtres,

pôtres, leurs difciples, les premiers Martyrs (telles gens, tels Patrons,) qu'elle voye avec plaisir revenir toutes les années ce jour particulier que chacun celebre comme fa fête. Pour nous autres Grands, ayons recours aux noms profanes, faifons nous baptifer fous ceux d'Annibal, de Céfar, & de Pompée, c'étoient de grands hommes; fous celui de Lucrece, c'étoit une illuftre Romaine, fous ceux de Renaud, de Roger, d'Olivier & de Tancrede, c'é toient des paladins, & le Roman n'a point de Heros plus merveilleux; fous ceux d'Hector, d'Achilles, d'Hercules, tous demy-Dieux; fous ceux même de Phoebus & de Diane: & qui nous empêchera de nous faire nommer Jupiter ou Mercure, ou Venus, ou Adonis?

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*Pendant que les Grands negligent de rien connoître, je ne dis pas feulement aux interêts des Princes & aux affaires publi ques, mais à leurs propres affaires, qu'ils ignorent l'economie & la fcience d'un pere de famille, & qu'ils fe loüent eux-mêmes de cette ignorance; qu'ils le laiffent appauvrir & maîtrifer par des intendans; qu'ils fe contentent d'étre gourmets ou coteaux, d'aller chez Thais ou chez Phryné, de parler de la meute & de la vieille meute de dire combien il y a de postes de Paris à Befançon, ou à Philisbourg: des Citoyens s'inftruifent du dedans & da dehors d'un

Ro

Royaume, étudient le gouvernement, deviennent fins & politiques, fçavent le fort & le foible de tout un Etat, fongent à fe mieux placer, fe placent, s'élevent, deviennent puiffans, foulagent le Prince d'u ne partie des foins publics; les Grands qui les dédaignoient les reverent, heureux s'ils deviennent leurs gendres.

* Si je compare enfemble les deux conditions des hommes les plus oppofées, je veux dire les Grands avec le peuple, cedernier me paroît content du neceffaire, & les autres font inquiets & pauvres avec le fuperflu. Un homme du peuple ne fçauroit faire aucun mal; un Grand ne veut faire aucun bien & eft capable de grands maux: Pun ne le forme & ne's'exerce que dans les chofes qui font utiles; l'autre y joint les pernicieufes là fe montrent ingenuement la groffiereté & la franchife; icy fe cache une feve maligne & corrompue fous l'écorce de la politeffe, le peuplen'agueres d'efprit, & les Grands n'ont point d'ame, celui-là a bon fond & n'a point de dehors; ceux-cy n'ont que des dehors & qu'une fimple fuper ficie. Faut-il opter, je ne balance pas, je veux étre peuple.

*Quelque profonds que foient les Grands de la Cour, & quelque art qu'ils ayent pour paroître ce qu'ils ne font pas, & pour ne point paroître ce qu'ils font, ils ne peuvent cacher leur malignité, leur extré.

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