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*Cette même Religion que les hommes défendent avec chaleur & avec zele contre ceux qui en ont une toute contraire, ils l'alterent eux-mêmes dans leur esprit par des fentimens particuliers, ils y ajoûtent & ils en retranchent mille chofes fouvent ef fentielles felon ce qui leur convient, & ils demeurent fermes & inebranlables dans cet te forme qu'ils luy ont donnée. Ainfi, parler populairement, on peut dire d'une feule nation, qu'elle vit-fous un même culte; & qu'elle n'a qu'une feule Religion; mais à parler exactement, il eft vray qu'elle ena plufieurs, & que chacun prefque ya la

fienne.

* Deux fortes de gens fleuriffent dans les Cours, & y dominent dans divers temps, les libertins & les hypocrites, ceuxlà gayement, ouvertement, fans art & fans diffimulation, ceux-cy finement, par des artifices, par la cabale: cent fois plus épris de la fortune que les premiers, ils en font jaloux jufqu'a l'excés; ils veulent la gouverner, la poffeder feuls, la partager entr'eux & en exclure tout autre; dignitez, charges, poftes, benefices, penfions, honneurs, tout leur convient & ne convient qu'à eux, le refte des hommes en eft indigne, ils ne comprennent point que fans leur attache on ait l'impu dence de les efperer: une troupe de malques entre dans un bal, ont-ils la main,

ils danfent, ils fe font danfer les uns les autres, ils danfent encore, ils dansent toûjours, ils ne rendent la main à perfonne de l'affemblée, quelque digne qu'elle foit de leur attention; on languit, on feche de les voir danfer & dene danfer point; quelques-uns murmurent, les plus fages pren nent leur party & s'en vont.

*Il y a deux efpeces de libertins; 'les libertins, ceux du moins qui croyent l'être, & les hypocrites ou faux devots, c'eft à dire ceux qui ne veulent pas être crus libertins; les derniers dans ce genre-là font les meilleurs.

Ce faux devot ou ne croit pas en Dieu, ou fe moque de Dieu; parlons de luy obligeamment, il ne croit pas en Dieu.

* Si toute Religion eft une crainte refpectueufe de la Divinité, que penfer de ceux qui ofent la bleffer dans fa plus vive image; qui eft le Prince ?*

Si l'on nous affuroit que le motif fecret de l'Ambaffade des Siamois a été d'exciter le Roy Tres-Chrétien à renoncer au Chriftianifme, à permettre l'entrée de fon Royaume aux Talapoins, qui euffent penetré dans nos maifons, pour perfuader leur Religion à nos femmes, à nos enfans & à nous-mêmes par leurs livres & par leurs entretiens; qui euffent élevé des Pagodes au milieu des Villes, où ils euffent placé des figures de métal être

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pour

ado

adorées; avec quelles rifées & quel étran ge mépris n'entendrions nous pas des chofes fi extravagantes? Nous faifons cependant fix mille lieues de ner pour la converfion des Indes, des Royaumes de Siam, de la Chine & du Japon; c'est-àdire pour faire tres-ferieufement à tous ces. peuples des propofitions qui doivent leur paroître tres-folles & tres-ridicu'es: ils fupportent neanmoins nos Religieux & nos Prêtres: ils les écoutent quelquefois, leur laiffent bâtir leurs Eglifes, & faire leurs miffions: qui fait cela en eux & en nous; ne feroit ce point la force de la ve rité?

* Il ne convient pas à toute forte de perfonnes de lever l'étendard d'aumônier, & d'avoir tous les pauvres d'une Ville af femblez à fa porte, qui y reçoivent leurs portions: qui ne fçait pas au contraire des miferes plus fecrettes, qu'il peut entreprendre de foulager, ou immediatement & par fes fecours, ou du moins par la mediation. De même il n'eft pas donné à tous de monter en Chaire, & d'y diftribuer en Miffionnaire ou en Catechifte la. parole fainte; mais qui n'a pas quelquefois fous fa main un libertin à reduire, & à ramener par de douces & infinuantes converfations, à la docilité. Quand on ne feroit pendant fa vie que l'Apôtre d'un feul homme, ce ne feroit pas être en vain

fur

fur la terre, ny luy étre un fardeau inutile.

*Il y a deux mondes; l'un où l'on féjourne peu, & dont l'on doit fortir pour n'y plus rentrer; l'autre où l'on doit bien tôt entrer pour n'en jamais fortir: la faveur, l'autorité, les amis, la haute repu tation, les grands biens fervent pour le premier monde; le mépris de toutes ces chofes fert pour le fecond. Il s'agit de choisir.

* Qui a vécu un feul jour, a vécu un fiecle; même foleil, même terre, même monde, mêmes fenfations, rien ne reffemble mieux à aujourd'huy que demain: il y auroit quelque curiofité à mourir, c'eftà-dire à n'etre plus un corps, mais à être feulement efprit. L'homme cependant impatient de la nouveauté n'eft point curieux fur ce feul article; né inquiet & qui s'ennuye de tout, il ne s'ennuye point de vivre, il confentiroit peut-être à vivre toûjours: ce qu'il voit de la mort le frappe plus violemment que ce qu'il en fçait, la maladie, la douleur, le cadavre le dégoûtent de la connoiffance d'un autre monde: il faut tout le ferieux de la Religion pour le reduire.

*Si Dieu avoit donné le choix ou de mourir ou de toûjours 'vivre: aprés avoir medité profondement ce que c'eft que voir nulle fin à la pauvreté, à la dépendan

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de

ce,

ce, à l'ennuy, à la maladie; ou de n'effayer des richeffes, de la grandeur, des plaifirs & de la fanté, que pour les voir changer inviolablement, & par la revolution des temps en leurs contraires, & être ainfi le jouet des biens & des maux, l'on ne fçauroit gueres à quoy fe refoudre. Le nature nous fixe & nous ôte l'embarras de choifir; & la mort qu'elle nous rend neceffaire, eft encore adoucie par la Religi

on.

*Si ma Religion étoit fauffe, je l'a voue, voilà le piege le mieux dreffé qu'il foit poffible d'imaginer, il étoit inévitable de ne pas donner tout au travers, & de n'y être pas pris : quelle Majefté, quel éclat des myfteres! quelle fuite & quel enchaînement de toute la doctrine! quelle raifon éminente! quelle candeur, quelle innocence de mœurs! quelle force invincible & accablante des témoignages rendus fucceffivement & pendant trois fiecles entiers par des millions de perfonnes les plus fages, les plus moderez qui fuffent alors fur la terre, & que le fentiment d'une même verité foûtient dans l'exil, dans les fers, contre la vûë de la mort & du dernier fupplice! prenez l'histoire, ouvrez, remontez jufques au commencement du monde, jufques à la veille de fa naiffance, y a-t-il eu rien de femblable dans tous les temps? Dieu même

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