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memoire ne leur fert souvent qu'à s'en éloigner.

La fonction de l'Avocat eft penible, laborieufe, & fuppofe dans celuy qui l'exerun riche fond & de grandes reffour

ce,

ces; il n'eft pas feulement chargé comme

le Predicateur d'un certain nombre d'oraifons compofées avec loifir recitées de memoire, avec autorité, fans contradicteurs, & qui avec de mediocres changemens luy font honneur plus d'une fois; il prononce de graves plaidoyez devant des Juges qui peuvent luy impofer filence, & contre des adverfaires quil'interrompent, il doit être prêt fur la replique, il parle en un même jour, dans divers Tribunaux, de differentes affaires; fa maifon n'eft pas pour luy un lieu de repos & de retraite, ny un afyle contre les plaideurs; elle eft ouverte à tous ceux qui viennent l'accabler de leurs questions & de leurs doutes; il ne 'fe met pas au lit, on ne l'effuye point, on ne luy prépare point des raffraîchiffemens, il ne fe fait point dans fa chambre un concours de monde de tous les états & de tous les fexes, pour le feliciter fur l'agréement & fur la politeffe de fon langage., luy remettre l'efprit fur un endroit où il a couru rifque de demeurer court, ou fur un fcrupule qu'il a fur le chevet d'avoir plaidé moins vivement qu'à l'ordinaire il fe delaffe d'un long difcours par de plus L 7

t

:

longs

longs écrits, il ne fait que changer de travaux & de fatigues: j'ofe dire qu'il eft dans fon genre, ce qu'étoient dans le leur les premiers hommes Apoftoliques. <

Quand on a ainfi diftingué l'éloquence du Barreau de la fonction de l'Avocat, & l'éloquence de la Chaire du miniftere 'du Predicateur, on croit voir qu'il eft plus aifé de prêcher que de plaider, & plus difficile de bien prêcher que de bien plaider.

* Quel avantage n'a pas un difcours prononcé fur un ouvrage qui eft écrit ! Les hommes font les duppes de l'action & de la parole, comme de tout l'appareil de l'Auditoire pour peu de prévention qu'ils ayent en faveur de celuy qui parle, ils l'admirent, & cherchent enfuite à le comprendre; avant qu'il ait commencé ils s'écrient qu'il va bien faire, ils s'endorment bien-tôt : & le difcours fini ils fe réveillent pour dire qu'il a bien fait. On fe paffionne moins pour un Auteur: fon ouvrage eft lû dans le loifir de la campagne, ou dans le filence du cabinet, il n'y a point de rendez-vous publics pour luy applaudir, encore moins de cabinet pour luy facrifier tous fes rivaux, & pour l'élever à la Prelature; on lit fon livre,

quelque excellent qu'il foit dans l'efprit

de le trouver mediocre; on le feuillette, on le difcute, où le confronte, ce ne font pas des fons qui fe perdent en l'air, & qui

s'ou

s'oublient, ce qui eft imprimé demeure impriméon l'attend quelquefois plufieurs jours avant l'impreffion pour le décrier, & le plaifir le plus délicat que l'on en tire, vient de la critique qu'on en fait; on est piqué d'y trouver à chaque page des traits qui doivent plaire, on va méme souvent jufqu'à apprehender d'en étre diverti, on ne quitte ce livre que parce qu'il eft bon. Tout le monde ne fe donne pas pour rateur, les phrafes, les figures, le don de la memoire, la robe ou l'engagement de celuy qui préche, ne font pas des chofes qu'on ofe ou qu'on veuille toûjours s'approprier chacun au contraire croit penfer bien & écrire encore mieux ce qu'il a penfé; il en eft moins favorable a celuy qui penfe & qui écrit auffi-bien que luy, en un mot le Sermoneur est plûtôt Evêque que le plus folide Ecrivain n'eft revêtu d'un Prieuré fimple, & dans la diftribution des graces, de nouvelles font accordées à celuy-là, pendant que P'Auteur grave fe tient heureux d'avoir fes reftes.

*S'il arrive que les méchans vous haïffent & vous perfecutent, les gens de bien vous conseillent de vous humilier devant Dieu, pour vous mettre en garde contre la vanité qui pourroit vous venir de déplaire à des gens de ce caractere, de même fi cer tains hommes fujets à fe récrier fur-le me

dio

diocre defaprouvent un ouvrage que vous aurez écrit, ou un difcours que vous venez de prononcer en public, foit au Barreau, foit dans la Chaire, ou ailleurs, humiliezvous, on ne peut gueres être expofé à une tentation d'orgueil plus delicate & plus pro

chaine.

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*11 me femble qu'un Predicateur de vroit faire choix dans chaque difcours d'u ne verité unique, mais capitale, terrible ou inftructive, la manier à fond & l'épui fer; abandonner toutes ces divifions firecherchées, fi retournées, fi remaniées & fi differentiées, ne point fuppofer ce qui eft faux, je veux dire que le grand ou le beau monde fçait fa Religion & fes devoirs, & ne pas apprehender defaire ou à ces bonnes têtes ou à ces efprits fit raffinez des catechifmes; ce temps fi long que l'on use à compofer un long ouvrage, l'employer à fe rendre fi maître de fa matiere, que le tour & les expreffions naiffent dans l'a ction,& coulent de fource; fe livrer aprés une certaine preparation à fon genie & aux mouvemens qu'un grand fujet peut infpirer: qu'il pourroit enfin s'épargner ces prodigieux efforts de mémoire qui reffemblent mieux à une gageure qu'à une affaire ferieufe, qui corrompent le gefte & défigurent le vifage, jetter au contraire par un bel entoufiafme la perfua flon dans les efprits & l'allarme dans le

cœur ;

cœur; & toucher fes Auditeurs d'une toute autre crainte que celle de le voir demeu

rer court.

*Que celuy qui n'eft pas encore affez parfait pour s'oublier foy-même dans le miniftere de la parole fainte, ne fe décourage point par les regles aufteres qu'on luy prefcrit, comme fielles luy ôtoient les moyens de faire montre de fon efprit, & de monter aux dignitez où ilafpire quel plus beau talent que celuy de prêcher apoftoliquement, & quel autre merite mieux un Evêché ? FENELON en étoit-il indigne? auroit-il pû échaper au choix du Prince, que par un autre choix?

L

DES ESPRITS FORTS.

Es Efprits fort fçavent-ils qu'on les appelle ainfi par ironie? quelle plus grande foibleffe que d'être incertains quel eft le principe de fon être, de fa vie, de fes fens, de fes connoiffances, & quelle en doit être la fin? Quel dêcouragement plus grand que de douter fi fon ame n'eft point matiere comme la pierre & le reptile, & fi elle n'est point corruptible comme ces viles creatures? N'y a-t-il pas plus de force & de grandeur à recevoir dans nôtre efprit l'idée d'un Etre fuperieur à tous les Etres, quiles atous faits, & à qui tous fe doivent rap

por

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