Page images
PDF
EPUB

de coutel, couteau ; de hamel, hameau; de damoifel, damoifeau, de jouvencel jouvenceau; & cela fans que l'on voye gueres ce que la langue Françoife gagne à ces differences & à ces changemens. Eft-ce donc faire pour le progrés d'une langue que de déferer à l'ufage? feroit-il mieux de fecouer le joug de fon empire fi defpotique? faudroit-il dans une langue vivante écouter la feule raifon qui prévient les equivoques, fuit la racine des mots, & le rapport qu'ils ont avec les langues originaires dont ils font fortis, fi la raifon d'ailleurs veut qu'on fuive Pufage?

Si nos Ancétres ont mieux écrit que nous, ou finous l'emportons fur eux par le choix des mots, par le tour & l'expreffion, par la clarté & la brieveté du difcours, c'eft une question fouvent agitée, toûjours indecife: on ne la terminera point, en comparant, comme l'on fait quelquefois, un froid Ecrivain de l'autre fiecle aux plus celebres de celui-cy, ou les vers de Laurent payé pour ne plus écrire, à ceux de MAROT & de DESPORTES. I

faudroit pour prononcer jufte fur cette matiere oppofer liecle à fiecle & excellent ouvrage à excellent ouvrage, par exemple les meilleurs rondeaux de BENSERADE OU de VOITURE à ces deux-cy, qu'une tradition nous a confervez, fans nous en marquer le temps nil'Auteur.

Blen à propos s'en vint Ogier en France
Pour le pais de mefcreans monder:
Fan'eft befoin de conter fa vaillance,

Puifqu'ennemis n'ofoient le regarder.
Or quand il eur tout mis en aßurance,
De voyager il voulut s'enharder,
En Paradis trouva l'eau de jouvance,
Dont il fe fçut de viellesse engarder
Bien à propos.

Puis par cette eau fon corps tout decrepite, Tranfmué fut par maniere fubite Enjeunegars, frais, gracieux & droit.

Grand dommage eft que cecy foit fornettes,
Filles connois qui ne font pas jeunettes,
A qui cette eau de jouvance viendroit
Bien à propos.

E bettuy preux-maints grands clercs ont
écrit,

Qu'oncques dangier n'étonna fon courage,
Abufe fut par le malin efprit

Qu'ilepoufa fous feminin vifage.

Sipiteux cas à la fin découvrit

Sans un feul brin de peur ny de dommage, Dont grand renom par tout le monde acquit, Si qu'on tenoit tres bonneste langage

De cettuy preux,

[ocr errors]

Bien-toft aprés fille de Roy s'éprit
De fon amour, qui voulentiers s'offrit
Aubon Richard en fecond mariage.

Donc s'il vaut mieux ou diable ou femme
avoir,

Et qui des deux bruit plus en menage,
Ceulx qui voudront, file pourront fçavoir
De cettuy preux.

DE LA CHAIR E.

LE difcours Chrétien eft devenu un fpectacle; cette trifteffe Evangelique qui en eft l'ame ne s'y remarque plus; elle eft fuppléée par les avantages de la mine, par les inflexions de la voix, par la regularité du gefte, par le choix des mots, & par les longues enumerations: on n'écoute plus ferieufement la parole fainte; c'eft une forte d'amufement entre mille autres, c'eft un jeu où il y a de l'emulation & des parieurs.

L'Eloquence profane eft tranfpofée,pour ainfi dire, du Barreau, où LE MAITRE,PUCELLE & FOUR CROY l'ont fait regner, & où elle n'eft plus d'ufage, à la Chaire où elle ne doit pas étre.

L'on fait affaut de l'eloquence jufqu'au pied de l'Autel, & en la prefence des My

fteres:

fteres: celui qui écoute s'établit Juge de celui qui preche, pour condamner ou pour applaudir; & n'eft pas plus converti par le difcours' qu'il favorife, que par celui auquel il eft contraire. L'Orateur plaît aux uns, déplaît aux autres, & convient avec tous en une chofe; que comme il ne cherche point à les rendre meilleurs, ils ne penfent pas auffi à le devenir.

Un apprentif eft docile, il écoute fon maître; il profite de fes leçons, il devient maître l'homme indocile critique le difcours du Predicateur, comme le livre du Philofophe, & il ne devient ni Chrétien, ni raisonnable.

Tourneur

* Jufqu'à ce qu'il revienne un homme, qui avec un style nourri des faintes Ecritu- Mr. Le res, explique au peuple la parole divine uniment & familierement, les Orateurs & les quelques Declamateurs feront fuivis.

*Les citations profanes, les froides allufions, le mauvais pathetique, les antithefes, les figures outrées ont fini; les. portraits finiront, & feront place à une fimple explication de l'Evangile, jointe aux mouvemens qui infpirent la converfi

on.

*Cet homme que je fouhaittois impatiemment, & que je ne daignois pas efperer de nôtre fiecle, eft enfin venu; les Courtifans à force de goût & de connoître les bienfeances lui ont applaudi, ils ont, L

Tom. II.

cho

années.

chofe incroiable! abandonné la Chapelle du Roi, pour venir entendre avec le peuple la parole de Dieu annoncée par cet Ler. Se-homme Apoftolique *: la ville n'a pas été raph. Cap de l'avis de la Cour, où il a preché, les Paroiffiens ont deferté, jufqu'aux Marguilliers ont difparu, les Pafteurs ont tenu ferme, mais les ouailles fe font difperfées, & les Orateurs voifins en ont groffi leur auditoire. Je devois le prévoir, & ne pas dire qu'un tel homme n'avoit qu'à fe montrer pour étre fuivi, & qu'à parler pour étre écouté: ne fçavois-je pas quelle eft dans les hommes & en toutes chofes la force indomptable de l'habitude: depuis trente années on préte l'oreille aux Rheteurs, aux; Declamateurs, aux Enumerateurs, on court ceux qui peignent en grand, ou en mignature; il n'y a pas long-temps qu'ils avoient des chûtes ou des tranfitions ingenieufes, quelquefois méme fi vives & fi aiguës qu'elles pouvoient paffer pour epigrammes, ils les ont adoucies, je l'avoue, & ce ne font plus que des madrigaux: ils ont toûjours d'une neceffité indifpenfable & geometrique trois fujets admirables de vos attentions; ils prouveront une telle chofe dans la premiere partie de leur difcours, cette autre dans la feconde partie, & cette autre encore dans la troifieme; ainfi vous ferez convaincu d'abord d'une cer

« PreviousContinue »