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independamment de nos fenfations, n'a aucune chaleur, c'eft à dire rien de femblable à ce que nous éprouvons en nous mêmes à fon approche, de peur que quel que jour il ne devienne auffi chaud qu'il a jamais été. J'affuretay auffi peu qu'une ligne droite tombant fur une autre ligne droite fait deux angles droits, ou égaux deux droits, de peur que les hommes venant à y découvrir quelque chofe de plus ou de moins, je ne fois raillé de ma propofition: ainfi dans un autre genre je diray à peine avec toute la France, VAUBAN eft infaillible, on n'en appelle point; qui me garentiroit que dans peu de temps on n'infinuera pas que même fur le fiege, qui eft fon fort & où il decide fouverainement, it erre quelquefois, fujet aux fautes comme Antiphile?

*Si vous en croyez des perfonnes aigries l'une contre l'autre, & que la paffion domine, l'homme docteeft un Sçavantalse, le Magiftrat un Bourgeois ou un Praticien; le Financier un Maltotier, & le Gentil homme un Gentillâtre; mais il eft étrange que de fi mauvais noms que la colere & la haine ont fçû inventer, deviennent familiers, & que le dédain tout froid & tout paifible qu'il eft, ofe s'en fervir.

* Vous vous agitez, vous vous donnez un grand mouvement, fur tout lorfque les ennemis commencent à fuir, & que la vi

&toire n'est plus douteuse, ou devant une ville aprés qu'elle a capitulé: vous aimez dans un combat ou pendant un fiege à paroître en cent endroits pour n'étre nulle part, à prevenir les ordres du General de peur de les fuivre, & à chercher les occafions, plûtôt que de les attendre & les recevoir; vôtre valeur feroit-elle fauffe?

*Faites garder aux hommes quelque pofte où ils puiffent être tuez, & où neanmoins ils ne foient pas tuez: ils aiment l'honneur & la vie.

* A voir comme les hommes aiment la vie, pouvoit-on foupçonner qu'ils aimaf fent quelque autre chofe plus que la vie, ne fût ce fouvent qu'une certaine opinion d'eux-mêmes établie dans l'efprit de mille gens, ou qu'ils ne connoiffent point, ou qu'ils n'eftiment point.

Confeillers

*Ceux qui ny Guerriers ny Courti- *Plufieurs fans vont à la Guerre & fuivent la Cour, & autres qui ne font pas un fiege, mais qui y affi-gens qui ftent, ont bien-tôt épuifé leur curiofité fui allerent au une place de guerre, quelque furprenante Siege de qu'elle foit, fur la tranchée, fur l'effet des bombes & du canon, fur les coups de main, comme fur l'ordre & le fuccés d'une attaque qu'ils entrevoyent; la refiftance continuë, les pluyes furviennent, les fatigues croiffent, on plonge dans la fange, on a à combattre les faifons & l'ennemi, on peut être forcé dans fes lignes & enfermé entre

une

par

une Ville & une Armée; quelles extremitez! on perd courage, on murmure, eftce un fi grand inconvenient que de lever un fiege? Le falut de l'Etat dépend il d'une citadelle de plus ou de moins? ne fautil pas, ajoûtent-i's, fléchir fous les ordres du Ciel qui femble fe declarer contre nous, & remettre la partie à un autre temps? Alors ils ne comprennent plus la fermeté, &, s'ils ofoient dire, l'opiniatreté du General qui fe roidit contre les obftacles, qui s'anime la difficulté de l'entreprise, qui veille fa nuit & s'expofe le jour pour la conduire à fa fin. A-t-on capitulé, ces hommes fi découragez relevent l'importance de cette conquête, en prédifent les fuites, exagerent la neceffité qu'il y avoit de la faire, le peril & la honte qui fuivoient de s'en defifter, prouvent que l'Armée qui nous couvroiz des ennemis étoit invincible; ils reviennent avec la Cour, paffent par les Villes & les Bourgades, fiers d'être regardez de la bourgeoifie qui eft aux fenêtres, comme ceux mêmes qui ont pris la place, ils en triomphent par les chemins, ils fe croient braves; revenus chez eux ils vous êtourdiffent de flancs, de redans, de ravelins, de fauffebraye, de courtinet, & de chemin. couvert; ils rendent compte des endroits où l'envie de voir les a portez, & où il ne laif foit pas d'y avoir du péril, des hazards qu'ils ont couru à leur retour d'être pris ou tuez

par

par l'ennemi ils taifent feulement qu'ils

ont eu peur.

*C'eft le plus petit inconvenient du monde que de demeurer court dans un Sermon ou dans une Harangue; il laiffe à l'Orateur ce qu'il a d'efprit, de bon fens, d'imagination, de mœurs & de doctrine, il ne luy ôte rien; mais on ne laiffe pas de s'étonner que les hommes ayant voulu une fois y attacher une efpece de honte & de ridicule, s'expofent par de longs, & souvent d'inutiles difcours à en courir tout le rifque.

* Ceux qui employent mal leur temps font les premiers à fe plaindre de fa briéveté; comme ils le confument à s'habiller, à manger, à dormir, à de fots difcours, à fe refoudre fur ce qu'ils doivent faire, & fouvent à ne rien faire, ils en manquent pour leurs affaires ou pour leurs plaifirs; ceux au contraire qui en font un meilleur usage, en ont de reste.

Il n'y a point de Miniftre fi occupé qui ne fçache perdre chaque jour deux heures de temps, cela valoin à la fin d'une longue vie; & fi le mal eft encore plus grand dans les autres conditions des hommes, quelle perte infinie ne fe fait pas dans le monde d'une chofe fi précieufe, & dont l'on fe plaint qu'on n'a point affez.

*l y a des creatures de Dieu qu'on apli pelle des hommes, qui ont une ame qui eft

esprit,

efprit, dont toute la vie eft occupée, & toute l'attention eft reünie à fcier du marbre; cela eft bien fimple, c'eft bien peu de chofe: il y en a d'autres qui s'en étonnent, mais qui font entierement inutiles, & qui paffent les jours à ne rien faire; c'eft encore moins que de fcier du mar bre.

*La plupart des hommes oublient fi fort qu'ils ont une ame, & fe répandent en tant d'actions & d'exercices, où il femble qu'elle eft inutile, que l'on croit parler avantageufement de quelqu'un, en difant qu'il penfe, cet éloge même eft devenu vulgaire; qui pourtant ne met cet homme qu'au deffus du chien, ou du cheval.

* Aquoy vous divertiffez-vous ?à quoy paffez-vous le tems? vous demandent les fots & les gens d'efprit: fije replique que c'est à ouvrir les yeux & à voir, à prêter P'oreille & à entendre, & à avoir la fanté, le repos, la liberté, ce n'eft rien dire; les folides biens, les grands biens, les feuls biens ne font pas comptez, ne fe font pas fentir: jouez-vous? mafquez-vous? il faut répondre.

Eft-ce un bien pour l'homme que la liberté, fi elle peut être trop grande & trop étendue, telle enfin qu'elle ne ferve qu'à luy faire defirer quelque chofe, qui eft d'avoir moins de liberté?

La liberté n'eft pas oifiveté, c'eft un ufage

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