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il y a un rocher immobile qui s'éleve fur une côte, les flots fe brifent au pied; la puiffance, les richeffes, la violence, la flatterie, l'autorité, la faveur, tous les vents ne l'ébranlent pas, c'eft le public, où ces gens échouent.

*Il eft ordinaire & comme naturel de juger du travail d'autruy, feulement par rapport à celuy qui nous occupe. Ainli le Poëte rempli de grandes & fublimes idées eftime peu le difcours de l'Orateur, qui ne s'exerce fouvent que fur de fimples faits: & celuy qui écrit l'hiftoire de fon païs ne peut comprendre, qu'un efprit raisonnable employe fa vie à imaginer des fictions & à trouver une rime: de même le Bachelier plongé dans les quatre premiers fiecles traite toute autre doctrine de science triste, vaine & inutile; pendant qu'il eft peut-être méprifé du Geometre.

*Tel a affez d'efprit pour exceller dans une certaine matiere & en faire des leçons, qui en manque pour voir qu'elle doit fe taire fur quelque autre dont il n'a qu'une foible connoiffance; il fort hardiment des limites de fon genie, mais il s'égare, & fait que l'homme illuftre parle comme un

fot.

-*Herille foit qu'il parle, qu'il harangue ou qu'il écrive, veut citer: il fait dire au Prince des Philofophes, que le vin enyvre, & à l'Orateur Romain que l'eau le tempe

re;

pas

re; s'il fe jette dans la morale, ce n'elt
luy, c'eft le divin Platon qui affure que la
vertu eft aimable, le vice odieux, où que
l'un & l'autre se tournent en habitude: les
chofes les plus communes, les plus trivia-
les, & qu'il eft même capable de penfer, il
veut les devoir aux Anciens, aus Latins,
aux Grecs: ce n'eft ny pour donner plus
d'autorité à ce qu'il dit, ny peut-être pour
fe faire honneur de ce qu'il fçait. Il veut

citer.

*C'eft fouvent hazarder un bon mot & vouloir le perdre, que de le donner pour fien; il n'eft pas relevé, il tombe avec des gens d'efprit ou qui fe croyent tels, qui ne Pont pas dit, & qui devoyent le dire. C'eft au contraire le faire valoir, que de le rapdele porter comme d'un autre; ce n'eft qu'un fait, & qu'on ne fe croit pas obligé de fçavoir; il eft dit avec plus d'infinuation, & reçû avec moins de jaloufie, perfonne n'en fouffre on rit s'il faut rire, & s'il faut admirer, on adinire.

Mr. de la

*On a dit de SOCRATE † qu'il étoit en delire, & que c'étoit un fou tout Bruyere. plein d'efprit; mais ceux des Grecs qui parloient ainfi d'un homme fi fage paffoient pour fous. Ils difoient, quels bizarres portraits nous fait ce Philofophe! quelles mœurs étranges & particulieres ne décritil point! où a-t-il rêvé, creufé, raffemblé des idées fi extraordinaires? quelles G 3

cou

couleurs, quel pinceau! ce font des chimeres; ils le trompoient, c'étoient des monftres c'étoient des vices, mais peints au naturel, on croyoit les voir, ils

faifoient peur. Socrate s'éloignoit du Cinique, il épargnoit les perfonnes, & blâmoit les mœurs qui étoient mauvaifes.

*Celuy qui eft riche par fon fçavoir fai re, connoît un Philofophe, fes preceptes, fa morale & fa conduite; & n'imaginant pas dans tous les hommes une autre fin de routes leurs actions, que celle qu'il s'eft propofé luy-même toute la vie, dit en fon cœur; je le plains, je le tiens échoué ce rigide cenfeur, il s'égare & il eft hors de route, ce n'eft. pas ainfi que l'on prend le vent, & que l'un arrive au délicieux port de la fortune: & felon fes principes il raifonne jufte.

Jepardonne, dit Antifthius, à ceux que j'ay loüez dans mon ouvrage, s'ils m'oublient: qu'ay-je fait pour eux, ils étoient louables: Je le pardonnerois moins à tous ceux dont j'ay attaqué les vices fans toucher à leurs perfonnes, s'ils me doivent un auffi grand bien que celuy d'être corrigez; mais comme c'eft un évenement qu'on ne voit point, il fuit delà que ny les uns ny les autres ne font tenus de me faire du bien.

L'on peut, adjoûte ce Philofophe, envier

ou

ou refufer à mes écrits leur recompenfe; on ne fçauroit en diminuer la reputation; & fi on le fait, qui m'empêchera de le méprifer?

pas

* Il eft bon d'être Philofophe, il n'eft gueres utile de paffer pour tel; il n'eft permis de traiter quelqu'un de Philofophe; ce fera toûjours luy dire une injure, jufqu'à ce qu'il ait plû aux hommes d'en ordonner autrement, & en reftituant à un fi beau nom fon idée propre & convenable, de luy concilier toute l'eftime qui luy elt dûë.

*Il y a une Philofophie qui nous éleve au deffus de l'ambition & de la fortune, qui nous égale, que dis-je qui nous place plus haut que les riches, que les grands, & que les puiffans; qui nous fait negliger les poites, & ceux qui les procurent; qui nous exempte de defirer, de dema der, de prier, de folliciter, d'importuner; & qui nous fauve même l'émotion & l'exceffive joye d'étre exaucez. Il y a une autre Philofophie qui nous foûmet & nous affujettit à toutes ces chofes en faveur de nos proches ou de nos amis: c'eft la meilleure.

*C'eft abreger, & s'épargner mille difcuffions, que de penfer de certaines gens, qu'ils font incapables de parler jufte; & de condamner ce qu'ils difent, ce qu'ils ont dit, & ce qu'ils diront.

*Nous n'approuvons les autres que

par les rapports que nous fentons qu'ils ont avec nous-mêmes; & il femble qu'eftimer quelqu'un, c'eft l'égaler à foy.

**Les mêmes defauts qui dans les autres font lourds & infupportables, font chez nous comme dans leur centre, ils ne pesent plus, on ne les fent pas tel parle d'un autre, & en fait un portrait affreux, qui ne voit pas qu'il fe peint luy-même.

Rien ne nous corrigeroit plus promptement de nos défauts , que fi nous étions capables de les avoüer & de les reconnoître dans les autres; c'eft dans cette jufte diftance, que nous paroiffant tels qu'ils font, ils fe feroient hair autant qu'ils le méritent.

* La fage conduite roule fur deux pivots, le paffé & l'avenir : celuy qui a la memoire fidele & une grande prévoyance, eft hors du peril de cenfurer dans les autres ce qu'il a peut-être fait luy-même ou de condamner une action dans un pareil cas, & dans toutes les circonftances, où elle luy fera un jour inévitable.

* Le guerrier & le politique non plus que le joueur habile, ne font pas le hazard; mais ils le préparent, ils l'attirent, & femblent prefque le déterminer : non feulement ils fçavent ce que le fot & le poltron ignorent, je veux dire, fe fervir du hazard quand il arrive; ils fçavent même profiter par leurs precautions & leurs

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