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*L'honnéte homme tient le milieu entre l'habile homme & l'homme de bien, quoyque dans une diftance inégale de fes deux extrêmes.

Ladistance qu'il y a de l'honnéte homme à l'habile homme s'affoiblit de jour à autre, & eft fur le point de difparoître. L'habile homme eft celuy qui cache fes paffions, qui étend fes interêts, qui y facrifie beaucoup de chofes, quia fçu acquerir du bien, ou en conferver.

L'honnéte homme eft celuy qui ne vole pas fur les grands chemins, & qui netuë perfonne, dont les vices enfin ne font pas fcandaleux.

On connoît affez qu'un homme de bien eft honnéte homme, mais il eft plaisant d'imaginer que tout honnéte homme n'eft pas homme de bien.

❤ Faux de

L'homme de bien eft celuy qui n'eft ny un faint ny un devot*, & qui s'eft borné à vou n'avoir que de la vertu.

*Talent, goût,efprit, bon fens, chofes differentes, nonincompatibles.

Entre le bon fens & le bon goût il y a la difference de la caufe à fon effet.

Entre efprit & talent il y a la proportion du tout à fa partie

Appeleray-je un homme d'efprit, celuy qui borné & renfermé dans quelque art, ou même dans une certaine fcience qu'il exerce dans une grande perfection, ne montre

hors

Mr. De la

hors de là ny jugement, ny memoire, ny vivacité, ny moeurs, ny conduite, qui ne m'entend pas, qui ne penfe point, qui sénonce mal; un Muficien, par exemple, qui aprés m'avoir comme enchanté par fes accords, femble s'étre remis avec fon luth dans un méme étuy, ou n'étre plus fans cet inftrument, qu'une machine démontée, à qui il manque quelque chofe; & dont il n'eft plus permis de rien attendre.

Que diray-je encore de l'esprit du jeu, pourroit-on me le définir? ne faut-il ny prévoyance, ny fineffe, ny habileté pour jouer l'ombre ou les échez? & s'il en faut, pourquoy y voit-on des imbecilles qui y excellent, & detres-beaux genies qui n'ont pû même atteindre la mediocrité; à qui une piece ou une carte dans les mains, trouble la vûë, & fait perdre contenance?

Il y a dans le monde quelque chofe, s'il Fontaine. fe peut, de plus incomprehenfible. Un homme paroit groffier, lourd, ftupide, il ne fçait pas parler, ny raconter ce qu'il vient de voir; s'il fe met à écrire, c'eft le modele des bons contes, il fait parler les animaux, les arbres, les pierres, tout ce qui ne parle point: ce n'eft que legereté, qu'elegance, que beau naturel; & que délicateffe dans les ouvrages.

Mr. Cor. neille l'ai.

né.

Un autre eft fimple, timide, d'une ennuyeuse converfation; il prend un mot pour

pour un autre, & il ne juge de la bonté de fa piece que par l'argent qui luy en revient, il ne fçait pas la reciter my lire fon écriture: laiffez-le s'élever par la composition, il n'eft pas au deffous d'AuGusTE, de POMPE'E, de NICOMEDE, d'HERACLIUS, il eft Roy, & un grand Roy, il eft politique, il elt Philofophe; il entreprend de faire parler des Heros, de les faire agir; il peint les Romains; ils font plus grands & plus Romains dans fes vers, que dans leur hiftoire.

teuil de St.

Victor.

Voulez-vous quelque autre prodige; Mr. Sanconcevez un homme facile, doux, complaifant, traitable, & tout d'un coup violent, colere, fougueux, capricieux ; imaginez-vous un homme fimple, ingenu, credule, badin, volage, un enfant en cheveux gris; mais permettez-luy de fe recueillir, ou plûtôt de fe livrer à un genie, qui agit en luy, j'ofe dire, fans qu'il y prenne part, & comme à fon infçû; quelle verve! quelle élevation ! quelles images! quelle latinité! Parlez-vous d'une même perfonne ? me direz-vous; ouy, du même, de Theodas, & de luy feul. Il crie, il s'agite, il fe roule à terre, il fe releve, tonne, il éclate; & du milieu de cette tempête il fort une lumiere qui brille & qui réjoüit; disons-le fans figure, il parle comme un fou, & pense comme un homme fagc; il dit ridiculeTom. II.

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G

ment

Mr. Pelletier de Soucy.

ment des chofes vrayes; & foliement de chofes fenfées & railonnables; on eft furpris de voir naître & éclore le bon fens du fein de la bouffonnerie, parmi les grimaces & les contorfions: qu'ajoûteray-je davantage, il dit & il fait mieux qu'il ne fçait; ce font en luy comme deux ames qui ne fe connoiffent point, quine dépendent point l'une de l'autre, qui ont chacuneleurs tours, ou leurs fonctions toutes feparées. Il manqueroit un trait à cette peinture fi furprenante, fi j'oublois de dire qu'ileft tout à la fois avide & infatiable de louanges, prêt de fejetter aux yeux de fes critiques, & dans le fond affez docile pour profiter de leur cenfure. Je commence à me perfuader moy-même que j'ay fait le portrait de deux perfonnages tout differens: il ne fe roit pas même impoffible d'en trouver un troifiéme dans Theodas; car il eft bon homme, il eft plaifant, homme, & il eft excellent homme.

* Aprés l'efprit de difcernement, ce qu' il y a au monde de plus rare, ce font les diamans & les perles.

*Tel connu dans le monde par de grands talens, honoré & cheri par tout où il fe trouve, eft petit dans fon dorneftique & aux yeux de fes proches qu'il n'a pû reduire à l'eftimer: tel autre au contraire, le Miniftre prophete dans fon païs jouit d'une vogue qu'il aparmy les fiens; & quieftrefferrée

Son Frere

dans

dans l'enceinte de fa maison; s'applaudit d'un mérite rare & fingulier, qui luy eft accordé par fa famille dont il eft l'idole, mais qu'il laiffe chcz foy toutes les fois qu'il fort, & qu'il ne porte nulle part.

*Tout le monde s'éleve contre un homme qui entre en reputation, à peine ceux qu'il croit fes amis luy pardonnentils un mérite naiffant, & une premiere vogue qui femble l'affocier à la gloire dont ils font déja en poffeffion: l'on ne fe rend qu'à l'extremité, & aprés que le Prince s'eft declaré par les récompenses; tous alors fe rapprochent de luy, & de ce jour-là feulement il prend fon rang d'homme de méri

te.

*Nous affectons fouvent de loücr avec exageration des hommes affez mediocres, & de les élever, s'il fe pouvoit, jufqu'à la hauteur de ceux qui excellent; ou parce que nous fommes las d'admirer toûjours les mêmes perfonnes, ou parce que leur gloire ainfi partagée offense moins nôtre vûë & nous devient plus douce & plus fupportable....

* L'on voit des hommes que le vent de la faveur pouffe d'abord à pleines voiles; ils perdent en un moment la terre de vûë & font leur route;, tout leur rit, tout leur fuccede, action, ouvrage, tout eft comblé d'éloges & de récompenfes, ils ne fe montrent que pour étre embraffez & felicitez:

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