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*Il n'y a pour l'homme qu'un vray malheur, qui eft de fe trouver en faute, & d'avoir quelque chofe à fe reprocher.

*La plupart des hommes pour arriver à leurs fins font plus capables d'un grand effort, que d'une longue perfeverance: leur pareffe ou leur inconftance leur fait perdre le fruit des meilleurs commencemens; ils fe laiffent fouvent devancer par d'autres qui font partis aprés eux, & qui marchent lentement, mais conftam.

ment.

*J'ofe prefque affurer que les hommes fçavent encore mieux prendre des mefures que les fuivre, refoudre ce qu'il faut faire & ce qu'il faut dire, que de faire ou de dire ce qu'il faut: on fe propofe fermement dans une affaire qu'on negocie, de taire une certaine chofe, & enfuite ou par paffion, ou par une intemperance de langue, ou dans la chaleur de l'entretien, c'est la premiere qui échape.

Les hommes agiffent mollement dans les chofes qui font de leur devoir, pendant qu'ils fe font un mérite, ou plûtôt une vanité de s'empreffer pour celles qui leur font étrangeres, & qui ne conviennent ny à leur état, ny à leur caractere.

*La difference d'un homme qui fe revêt d'un caractere étranger à lui-même, quand il rentre dans le fien, eft, celle d'un mafque à un vifage.

* Te

*Telephe a de l'efprit, mais dix fois moins, de compte fait, qu'il ne prefume d'en avoir: il eft donc dans ce qu'il dit, dans ce qu'il fait, dans ce qu'il medite, & ce qu'il projette; dix fois au delà de ce qu'il a d'efprit, il n'eft donc jamais dans ce qu'il a de force & d'étendue; ce raisonnement eft jufte: il a comme une barriere qui le ferme, & qui devroit l'avertir de sarréter en decà; mais il paffe outre, il fe jette hors de fa fphere; il trouve luimême fon endroit foible; & fe montre par cet endroit ; il parle de ce qu'il ne fait point, ou de ce qu'il fçait mal; il entreprend au deffus de fon pouvoir, il defire au delà de fa portée; il s'egale à ce qu'il y a de meilleur en tout genre: il a du bon & du louable qu'il offufque par l'affectation du grand ou du merveilleux; on voit clai rement ce qu'il n'eft pas, & il faut deviner ce qu'il eft en effet. C'est un homme qui ne fe mesure point, qui ne fe connoit point: fon caractere eft de ne fçavoir pas fe renfermer dans celuy qui lui eft propre, & qui eft le fien.

il

* L'homme du meilleur efprit eft inégal, il fouffre des accroiffemens & des diminutions, il entre en verve, mais il en fort: alors s'il eft fage, il parle peu, n'écrit point, il ne cherche point à imaginer ny à plaire. Chante-t-on avec un rhume? ne faut-il pas attendre que la voix re

vienne?

Le

Le fot eft Automate, il eft machine, il eft reffort, le poids l'emporte, le fait mouvoir, le fait tourner, & toûjours, & dans le même fens, & avec la même égalité; il eft uniforme, il ne fe dément point, qui Pavû une fois, l'a vû dans tous les inftans & dans toutes les periodes de fa vie; c'eft tout au plus le boufqui mengle ou le merle qui fifle, il eft fixé & déterminé, par fa nature, & j'ofe dire par fon efpece: ce qui paroit le moins en lui, c'eft ion ame, elle n'agit point, elle ne s'exerce point, elle ferepofe.

** Le fot ne meurt point; ou fi cela lui arrive felon nôtre maniere de parler, il eft vray de dire qu'il gagne à mourir, & que dans ce moment où les autres meurent, il commence à vivre: fon ame alors pense; raifonne, infere, conclut, juge, prévoit, fait précisement tout ce qu'elle ne faifoit point; elle fe trouve dégagée d'une maffe de chair, où elle étoit comme ensevelie fans fonction, fans mouvement, fans aucun du moins qui fût digne d'elle: je dirois prefque qu'elle rougit de fon propre corps, & des organes brutes & imparfaits, aufquels elle s'eft vûe attachée filong-temps, & dont elle n'a pu faire qu'un fot ou qu'un ftupide: elle va d'égal avec les grandes ames, avec celles qui font les bonnes létes ou les hommes d'efprit. L'ame d'Alain ne fe dérnele plus d'avec celles du grand

CON

CONDE', de RICHELIEU, de PASCALI de LINGENDES.

*La fauffe délicateffe dans les actions libres, dans les mœurs ou dans la conduite n'eft pas ainfi nommée, parce qu'elle eft feinte; mais parce qu'en effet elle s'exerce fur des choses & en des occafions qui n'en méritent point. La fauffe délicateffe de goût & de complexion n'eft telle au contraire que parce qu'elle eft feinte ou affeEtée: c'eft Emilie qui crie de toute fa force fur un petit peril qui ne lui fait pas de peur: c'eft une autre qui par mignardise pâlit à la vue d'une fouris, ou qui veut aimer les violettes, & s'évanouir aux tubereuses.

* Qui oferoit fe promettre de contenter les hommes? Un Prince, quelque bon & quelque puiffant qu'il fût, voudroit-il l'entreprendre? qu'il l'effaye. Qu'il fe faffe lui-même une affaire de leurs plaifirs, qu'il ouvre fon Palais à fes Courtifans, qu'il les admette jufques dans fon domeftique, que dans des lieux dont la vûë feule eft un fpectacle, il leur faffe voir d'autres fpectacles, qu'il leur donne le choix des jeux, des concerts & de tous les rafraichiffemens, qu'il y ajoûte une chere fplendi de & une entiere liberté; qu'il entre avec eux en focieté des mêmes amusemens, que le grand homme devienne aimable, & que le Heros foit humain & familer, il n'aura pas affez fait. Les hommes s'ennuyent

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enfin des mêmes chofes qui les ont charmez dans leurs commencemens, ils deferteroient la table des Dieux, & le Nectar avec le tems leur devient infipide: ils n'hefitent pas de critiquer des chofes qui font parfaites; il y entre de la vanité & une mauvaise délicateffe; leur goût, fi on les en croit, eft encore au delà de toute l'affectation qu'on auroit à les fatisfaire, & d'une depenfe toute roiale que l'on feroit pour y réüffir, il s'y méle de la malignité qui va jufques à vouloir affoiblir dans les autres la joye qu'ils auroient de les rendre contens. Ces mêmes gens pour l'ordinaire fi flatteurs & fi complaifans peuvent le démentir; quelquefois on ne les reconnoît plus, & l'on voit l'homme jusques dans le Courtifan.

L'affectation dans le gefte, dans le parler, & dans les manieres elt fouvent une fuite de l'oifiveté, ou de l'indifference; & il femble qu'un grand attachement ou de ferieuses affaires jettent l'homme dans fon naturel.

* Les hommes n'ont point de caracte res, ou s'ils en ont, c'eft celui de n'en a voir aucun qui foit fuivi, qui ne fe démente point, & où ils foient reconnoiffa bles: ils fouffrent beaucoupà être toûjours les mêmes, à perfeverer dans le defordre, & s'ils fe délaffent quelquefois d'une vertu par une autre vertu, ils fe dégoûtent plus

fouvent

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