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multiplient leurs rides, & font mieux voir leur caducité.

*Un vieillard eft fier, dédaigneux, & d'un commerce difficile, s'il n'a beaucoup d'efprit.

Un vieillard qui a vécu à la Cour, qui a un grand fens & une memoire fidelle, eft un tréfor inestimable; il eft plein de faits & de maximes; l'on y trouve l'hiftoite du fiecle, revétuë de circonftances tres-curieuses, & qui ne fe lifent nulle part; l'on y apprend des regles pour la con duite & pour les moeurs, qui font toû jours feures, parce qu'elles font fondées fur Pexperience.

*Les jeunes gens à caufe des paffions qui les amufent, s'accommodent mieux de la folitude que les vieillards.

*Philippe déja vieux raffine fur la pro-L'abbé preté & fur la molleffe, il paffe aux peti-Dance. tes delicateffes; il s'eft fait un art du boire, du manger, du repos & de l'exercice; les petites régles qu'il s'eft prefcrites, & qui tendent toutes aux aifes de fa perfonne, il les obferve avec fcrupule, & ne les romproit pas pour une maîtreffe, fi le regime lui avoit permis d'en retenir; il s'eft accablé de fuperfluitez, que l'habitude enfin lui rend neceffaires : ildouble ainfi & renforce les liens qui l'attachent à la vie, & il veut employer ce qui lui en reste à en rendre la perte plus douloureufe; n'ap E 4

pre

* Legros Givry ou

de Sablé.

prehendoit-il pas affez de mourir.
*Gnathon ne vit que pour foy, & tous

le Marquis les hommes enfemble font à fon égard comme s'ils n'étoient point: non content de remplir à une table la premiere place, il occupe lui feul celle de deux autres; il oublie que le repas eft pour lui & pour toute la compagnie, il fe rend maître du plat, & fait fon propre de chaque fervice; il ne s'attache à aucun des mets, qu'il n'ait achevé d'effayer de tous, il voudroit pouvoir les favourer tous, tout à la fois : il ne fe fert à table que de fes mains, il manie les viandes, les remanie, démembre, déchire, & en ufe de maniere qu'il faut que les conviez, s'ils veulent manger, mangent fes reftes: il ne leur épargne aucune de ces malpropretez dégoûtantes, capables d'o ter l'appetit aux plus affamez, le jus & les fauffes lui dégouttent du menton & de la barbe; s'il enleve un ragoût de deffus un plat, il le répand en chemin dans un autre plat & fur la nappe, on le fuit à la trace; il mange haut & avec grand bruit, il roule les yeux en mangeant, la table eft pour lui un ratelier; il écure fes dents, & il continue à manger. Ille fait, quelque part où il fe trouve, une maniere d'établiffement, & ne fouffre pas d'étre plus preffé au Sermon ou au theatre que dans fa chambre il n'y a dans un caroffe que les places du fond qui lui coviennent

dans

dans toute autre, fi on veut l'en croire, il pâlit & tombe en foibleffe: s'il fait un voyage avec plufieurs, il les prévient dans les hôtelleries, & il fçait toûjours fe conferver dans la meilleure chambre le meilleur lit: il tourne tout à fonufage, fes valets, ceux d'autruy courent dans le même temps pour fon fervice; tout ce qu'il trouve fous fa main lui eft propre, hardes, équipages: il embaraffe tout, le monde, ne fe contraint pour perfonne, ne plaint perfonne, ne connoît de maux que les fiens, que fa repletion & sa bile; ne pleure point la mort des autres, n'apprehende que la fienne, qu'il racheteroit volontiers de l'extinction du

genre hu

4

Feu Mr.

Brouffin.

main, Cliton n'a jamais eu toute la vie que Dolonne deux affaires, qui eft de diner le matin & Du & de fouper le foir, il ne femble né que pour la digeftion; il n'a de même qu'un entretien, il dit les entrées qui ont été fervies au dernier repas où il s'eft trouvé, il dit combien il y a eu de potages, & quels potages, il place enfuite le roft & les entremets, il fe fouvient exactement de quels plats on a relevé le premier Mervice, il n'oublie pas les hors d'oeuvre le fruit & les affiettes, il nomme tous les vins & toutes les liqueurs dont il a bû, il poffede le langage des cuifines autant qu'il peut s'étendre, & il me fait en

vie de manger à une bonne table où il ne foit point; il a fur tout un palais fûr, qui ne prend point le change, & il ne s'est jamais vû expofé à l'horrible inconvenient de manger un mauvais ragoût, ou de boire d'un vin mediocre : c'eft un perfonnage illuftre dans fon genre, & quia porté le talent de fe bien nourrir jufques où il pouvoit aller, on ne reverra plus un homme qui mange tant & qui mange fi bien; auffi eft-il l'arbitre des bons morceaux, & il n'eft gueres permis d'avoir du goût pour ce qu'il defapprouve. Mais il n'eft plus, (il s'eft fait du moins porter à table jufqu'au dernier foûpir: il donnoit à manger le jour qu'il eft mort, quelque part où il foit il mange, & s'il revient au monde, c'eft pour

manger.

*Ruffin commence à grifonner; mais il eft fain il a un vifage frais & un œil vif qui lui promettent encore vingt années de vie; il eft gay, jovial, familier, indifferent; il rit de tout fon cœur, & il rit tout feul & fans fujet; il eft content de foy, des fiens, de fa petite fortune, il dit qu'il eft heureux; il perd fon fils unique, jeune homme de grande efperance, & qui pouvoit un jour étre l'honneur de fa famille; il remet fur d'autres le foin de pleurer, il dit, Mon fils eft mort; cela fera mourir fa mere, & il eft confolé : il n'a point de paffions, il n'a ny amis ny enne

mis, perfonne ne l'embaraffe, tout le monde lui convient, tout lui eft propre, il parle à celui qu'il voit une premiere fois avec la même liberté, & la même confiance, qu'à ceux qu'il apelle de vieux amis, & il lui fait part bien-tôt de fes quolibets & de fes hiftoriettes, on l'aborde, on le quitte fans qu'il y faffe attention; & le même conte qu'il a commencé de faire à quelqu' un, il l'acheve à celui qui prend fa pla

ce.

*N** eft moins affoibli par l'âge que par la maladie, car il ne car il ne paffe point foixante-huit ans, mais il a la goutte, & il eft fujet à une colique nephretique, ila le vifage décharné, le teint verdâtre, & qui menace ruine il fait marner fa terre, & il compte que de quinze ans entiers il ne fera obligé de la fumer il plante un jeune bois, & il efpere qu'en moins de vingt années il lui donnera un beau couvert. Il fait bâtir dans la rue** une maifon de pierre de taille, rafermie dans les encognures, par des mains de fer, & dont il affure en touffant & avec une voix frele & debile, qu'on ne verra jamais la fin; il fe promene tous les jours dans fes ateliers fur le bras d'un valet qui le foulage, il montre à fes amis ce qu'il a fait, & il leur dit ce qu'il a deffein de faire. Ce n'eft pas pour fes enfans qu'il bâtit, car il n'en a point, ny pour fes heritiers, perfonnes viles, & qui fe font brouilE 6

lées

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