Page images
PDF
EPUB

la

il en préfère une, qui lui semble, sinon plus belle que les autres, plus modeste et plus sage, et qu'il épouserait; il en ferait une femme vertueuse, pieuse, n'était le pape. Il la voit chaque jour, rencontre à l'église ou ailleurs, et devant elle assis aux veillées de l'hiver, il s'abreuve, imprudent! du poison de ses yeux.

Or, je vous prie, celle-là, lorsqu'il l'entend venir le lendemain, approcher de ce confessionnal, qu'il reconnaît ses pas et qu'il peut dire, c'est elle; que se passe-t-il dans l'âme du pauvre confesseur? honnêteté, devoir, sages résolutions, ici servent de peu, sans une grâce du ciel toute particulière. Je le suppose un saint; ne pouvant fuir, il gémit apparemment, soupire, se recommande à Dieu; mais si ce n'est qu'un homme, il frémit, il désire, et déjà malgré lui, sans le savoir, peut-être, il espère. Elle arrive, se met à ses genoux, à genoux, devant lui dont le cœur saute et palpite. Vous êtes jeune, monsieur, ou vous l'avez été ; que vous semble entre nous d'une telle situation? Seuls, la plupart du temps, et n'ayant pour témoins que ces murs, que ces voûtes, ils causent; de quoi? hélas ! de tout ce qui n'est pas innocent. Ils parlent, ou plutôt murmurent à voix basse, et leurs bouches s'approchent, leur souffle se confond. Cela dure une heure ou plus, et sc renouvelle souvent.

Ne pensez pas que j'invente. Cette scène a lieu telle que je vous la dépeins, et dans toute la France; chaque jour se renouvelle par quarante

mille jeunes prêtres, avec autant de jeunes fille s qu'ils aiment, parce qu'ils sont hommes, confessent de la sorte, entretiennent tête à tête, visitent, parce qu'ils sont prêtres, et n'épousent point, parce que le pape s'y oppose. Le pape leur pardonne tout, excepté le mariage, voulant plutôt un prêtre adultère, impudique, débauché, àssassin, comme Mingrat, que marié. Mingrat tue ses maîtresses; on le défend en chaire; ici, on prêche pour lui; là, on le canonise. S'il en épousait une, quel monstre! il ne trouverait d'asile nulle part. Justice en serait faite bonne et prompte, comme du maire qui les aurait mariés. Mais quel maire oserait ?

Réfléchissez maintenant, monsieur, et voyez s'il était possible de réunir jamais en une même personne deux choses plus contraires, que l'emploi de confesseur et le vœu de chasteté; quel doit être le sort de ces pauvres jeunes gens, entre la défense de posséder ce que nature les force d'aimer, et l'obligation de converser intimement, confidemment avec ces objets de leur amour; si enfin ce n'est pas assez de cette monstrueuse combinaison pour rendre les uns forcenés, les autres, je ne dis pas coupables, car les vrais coupables sont ceux qui, étant magistrats, souffrent que de jeunes hommes confessent de jeunes filles, mais criminels et tous extrêmement malheureux. Je sais là-dessus leur secret.

J'ai connu à Livourne le chanoine Fortini, qui peut-être vit encore, un des savans hommes

d'Italie, et des plus honnêtes du monde. Lié avec lui d'abord par nos études communes, puis par une mutuelle affection, je le voyais souvent, et ne sais comme un jour je vins à lui demander s'il avait observé son vœu de chasteté. Il me l'assura, et je pense qu'il disait vrai en cela comme en toute au tre chose. Mais, ajouta-t-il, pour passer par les mêmes épreuves, je ne voudrais pas revenir à l'âge de vingt ans. Il en avait soixante-et-dix. J'ai souffert, Dieu le sait, et m'en tiendra compte j'espère; mais je ne recommencerais pas. Voilà ce qu'il me dit, et je notai ce discours si bien dans ma mémoire, que je me rappelle ses propres

mots.

A Rocca di Papa, je logeais chez le vicaire, où je tombai malade. Il eut grand soin de moi, et prit cette occasion pour me parler de Dieu, auquel je pensais plus que lui et plus souvent, mais autrement. Il voulait me convertir, me sauver disait-il. Je l'écoutais volontiers; car il parlait toscan, et s'exprimait des mieux dans ce divin langage. A la fin je guéris; nous devînmes amis; et, comme il me prêchait toujours, je lui dis : Cher abbé, demain je me confesse, si tu veux te marier et vivre heureux. Tu ne peux l'être qu'avec une femme, et je sais celle qu'il te faut. Tu la vois chaque jour, tu l'aimes, tu péris. Il me mit la main sur la bouche, et je vis que ses yeux se remplissaient de pleurs. J'ai ouï conter de lui depuis des choses fort étranges, et qui me rappelèrent ce qu'on lit d'Origènes. Voilà où les réduit le malheur de leur état. Mais

pourquoi, me direz-vous, quand on est susceptible de telles impressions, se faire prêtre? Eh! monsieur, se font-ils ce qu'ils sont? Dès l'enfance, élevés par la milice papale, séduits, on les enrôle; ils prononcent ce vœu abominable, impie, de n'avoir jamais femme, famille ni maison à peine sachant ce que c'est, novices, adolescens, excusables par là; car un vœu de la sorte, celui qui le ferait avec une pleine connaissance, il le faudrait saisir, séquestrer en prison, ou reléguer au loin dans quelque île déserte. Ce vœu fait, ils sont oints, et ne s'en peuvent dédire; que si l'engagement était à terme, certes peu le renouvelleraient. Aussitôt on leur donne filles, femmes à gouverner. On approche du feu le soufre et le bitume; car ce feu a promis, dit-on, de ne point brûler. Quarante mille jeunes gens ont le don de continence pris avec la soutane, et sont dès-lors comme n'ayant plus ni sexe ni corps. Le croyez-vous? De sages il en est, si sage se peut dire qui combat la nature. Quelques-uns en triomphent, mais combien, au prix de ceux que la grâce abandonne dans ces tentations? la grâce est pour peu d'hommes, et manque même au plus juste. Comment auraient-ils, eux, ce don de continence, jeunes, dans l'ardeur de l'âge, quand les vieux ne l'ont pas !

Ce curé de Paris, que Vautrain, tapissier, le trouvant avec sa femme, tua et jeta par la fenêtre, il y a peu d'années ( l'aventure est connue dans le quartier du Temple; on n'en fit point de bruit à cause du clergé ); ce curé avait soixante ans, et

celui de Pezai en a soixante-huit, qui ne l'ont pas de prendre dans empêché, dernièrement encore, les boues une fille mendiante et tombant du hautmal. Il en fit sa maîtresse: autre affaire étouffée par le crédit des oints; car le père se plaignit, voyant sa fille grosse ; mais l'église intervint. Celui qui ne peut à cet âge s'abstenir d'un objet horrible et dégoûtant, que pensez-vous qu'il ait fait à vingt ou vingt-cinq ans, gouverneur d'innocentes et belles créatures? Si vous avez une fille, envoyez-la, monsieur, au soldat, au hussard qui pourra l'épouser, plutôt qu'à l'homme qui a fait vœu de chasteté, plutôt qu'à ces séminaristes. Combien d'affaires à étouffer, si tout ce qui se passe en secret avait des suites évidentes, ou s'il y avait beaucoup de maires comme celui de SaintQuentin! Que d'horreurs laissent entrevoir ces faits qui transpirent malgré la connivence des magistrats, les mesures prises pour arrêter toute publicité, le silence imposé sur de telles matières ! et, sans même parler des crimes, quelles sources d'impuretés, de désordres, de corruption, que ces deux inventions du pape, le célibat des prètres et la confession nommée auriculaire! Que de mal elles font! que de bien elles empêchent ! Il le faut voir et admirer là où la famille du prêtre est le modèle de toutes les autres; où le pasteur n'enseigne rien qu'il ne puisse montrer en lui, et, parlant aux pères, aux époux, donne l'exemple avec le précepte. Là les femmes n'ont point l'impudence de dire à un homme leurs péchés ; le clergé n'est

« PreviousContinue »