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anciens, s'il y en eut; car le premier qui composa mit dans son style des archaïsmes. Cet ionien si suave n'est autre chose que le vieux attique auquel il mêle, comme avaient fait tous ses devanciers prosateurs, le plus qu'il peut des phrases d'Homère et d'Hésiode. La Fontaine, chez nous, empruntant les expressions de Marot, de Rabelais, fait ce qu'ont fait les anciens Grecs, et aussi est plus grec cent fois que ceux qui traduisaient du grec. De même Pascal, soit dit en passant, dans ses deux ou trois premières lettres, a plus de Platon, quant au style, qu'aucun traducteur de Platon.

Que ces conteurs des premiers âges de la Grèce aient conservé la langue poétique dans leur prose, on n'en saurait douter après le témoignage des critiques anciens, et d'Hérodote qu'il suffit d'ouvrir seulement pour s'en convaincre. Or, la langue poétique partout, si ce n'est celle du peuple, en est tirée du moins. Malherbe, homme de cour, disait J'apprends tout mon français à la place Maubert; et Platon, poëte s'il en fut, Platon, qui n'aimait pas le peuple, l'appelle son maître de langue. Demandez le chemin de la ville à un paysan de Varlungo ou de Peretola, il ne vous dira pas un mot qui ne semble pris dans Pétrarque, tandis qu'un cavalier de San-Stephano parle l'italien francisé (infrancesato, comme ils disent) des antichambres de Pitti. Ariane, ma sœur, de quel amour blessée, n'est point une phrase de marquis; mais nos laboureurs chantent : feru de ton amour, je ne

dors nuit ni jour. C'est la même expression. L'autre, qui dit de Jeanne :

Sentant sou cœur faillir, elle baissa la tête

Et se prit à pleurer *,

n'a point trouvé cela certes dans les salons; il s'exprime en poëte: pouvait-il mieux? jamais, ni avec plus de grâce, de douceur, d'harmonie. C'est la langue poétique, antique; et mes voisins allant vendre un âne à la foire de Chousé, ne causent pas autrement, n'emploient point d'autres mots. Il continue de même, c'est-à-dire très-bien, qui t'inspira, jeune et faible bergère..., et non pas, qui vous conseilla, mademoiselle, de quitter monsieur votre père, pour aller battre les Anglais? Le ton, le style du beau monde sont ce qu'il y a de moins poétique dans le monde. Madame Dacier commençant : Déesse, chantez, je devine ce que doit être tout le reste. Homère a dit grossièrement : Chante, déesse, le courroux.....

Par tout ceci, on voit assez que penser traduire, Hérodote dans notre langue académique, langue de cour, cérémonieuse, raide, apprêtée, pauvre d'ailleurs, mutilée par le bel usage, c'est étrangement s'abuser; il y faut employer une diction naïve, franche, populaire et riche, comme celle de La Fontaine. Ce n'est pas trop assurément de tout notre français pour rendre le grec d'Hérodote,

Casimir Delavigne.

d'un auteur que rien n'a gêné, qui, ne connais sant ni ton, ni fausses bienséances, dit simplement les choses, les nomme par leur nom, fait de son mieux pour qu'on l'entendre, se reprenant, se répétant de peur de n'être pas compris, et faute d'avoir su son rudiment par cœur, n'accorde pas toujours très-bien le substantif et l'adjectif. Un abbé d'Olivet, un homme d'académie ou prétendant à l'être, ne se peut charger de cette besogne. Hérodote ne se traduit point dans l'idiome des dédicaces, des éloges, des complimens.

C'est pourtant ce qu'ont essayé de fort honnêtes gens d'ailleurs, qui sans doute n'ont point connu le caractère de cet auteur, ou peut-être ont cru l'honorer en lui prêtant un tel langage, et nous le présentant sous les livrées de la cour, en habit habillé : au moins est-il sûr qu'aucun d'eux n'a même pensé à lui laisser un peu de sa façon simple, grecque et antique. Saisissant, comme ils peuvent, le sens qu'il a eu dessein d'exprimer, ils le rendent à leur manière, toujours parfaitement polie et d'une décence admirable. Figurez-vous un truchement qui, parlant au sénat de Rome pour le paysan du Danube, au lieu de ce début,

Romains, et vous Sénat, assis pour m'écouter,

commencerait : Messieurs, puisque vous me faites l'honneur de vouloir bien entendre votre humble serviteur, j'aurai celui de vous dire..... Voilà exactement ce que font les interprètes d'Hérodote. La version de Larcher, pour ne parler que de celle

qui est la plus connue, ne s'écarte jamais de cette civilité : on ne saurait dire que ce soit le laquais de madame de Sévigné, auquel elle compare les traducteurs d'alors; car celui-là rendait, dans son lans gage bas, le style de la cour, tandis que Larcher, aú contraire, met en style de cour ce qu'a dit l'homme d'Halicarnasse. Hérodote, dans Larcher, ne parle que de princes, de princesses, de seigneurs et de gens de qualité; ces princes montent sur le trône, s'emparent de la couronne, ont une cour, des ministres et de grands officiers, faisant, comme on peut croire, le bonheur des sujets; pendant que les princesses, les dames de la cour, accor dent leurs faveurs à ces jeunes seigneurs. Or est-il qu'Hérodote ne se douta jamais de ce que nous appelons prince, trône et couronne, ni de ce qu'à l'Académie on nomme faveurs des dames et bonheur des sujets. Chez lui, les dames, les princesses mènent boire leurs vaches ou celle du roi leur père, à la fontaine voisine, trouvent là des jeunes gens, et font quelque sottise, toujours exprimée dans l'auteur avec le mot propre : on est esclave ou libre, mais on n'est point sujet dans Hérodote. Cependant, en si bonne et noble compagnie, Larcher a fort souvent des termes qui sentent un peu l'antichambre de madame de Sévigné; comme quand il dit, par exemple : Ces seigneurs mangeaient du mouton ; il prend cela dans la chanson de M. Jourdain. Le grand roi bouchant les derrières aux Grecs à Salamine, est encore une de ses phrases; et il en a bien d'autres peu séantes à un homme comme

son Hérodote, qui parle congruement, et surtout noblement; il ne nommera pas le boulanger de Crésus, le palefrenier de Cyrus, le chaudronnier Macistos; il dit grand panetier, écuyer, armurier, avertissant en note que cela est plus noble.

Cette rage d'ennoblir, ce jargon, ce ton de cour, infectant le théâtre et la littérature sous Louis XIV et depuis, gâtèrent d'excellens esprits, et sont encore cause qu'on se moque de nous avec juste raison. Les étrangers crèvent de rire quand ils voient dans nos tragédies le seigneur Agamemnon et le seigneur Achille qui lui demande raison, aux yeux de tous les Grecs; et le seigneur Oreste brùlant de tant de feux pour madame sa cousine. L'imitation de la cour est la peste du goût aussi bien que des mœurs. Un langage si poli, adopté par tous ceux qui, chez nous, se sont mêlés de traduire les anciens, a fait qu'aucun ancien n'est traduit, à vrai dire, et qu'on n'a presque point de versions qui gardent quelques traits du texte original. Une copie de l'antique, en quelque genre que ce soit, est peut-être encore à faire. La chose passe pour difficile, à tel point que plusieurs la tiennent impossible. Il y a des gens persuadés que le style ne se traduit pas, ni ne se co, ie d'un tableau. Ce que j'en puis dire, c'est qu'ayant réfléchi là-dessus, aidé de quelque expérience, j'ai trouvé cela vrai jusqu'à un certain point. On ne fera sans doute jamais une traduction tellement exacte et fidèle, qu'elle puisse en tout tenir lieu de l'original, et qu'il devienne indifférent de lire

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