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celle des Barthélemi, des Dacier, des Saumaise), offre timidement à M, le vicomte une place dans son sein; il fait signe qu'il acceptera, et le voilà nommé tout d'une voix. Rien n'est plus simple que cela : un gentilhomme de nom et d'armes, un homme comme M. le vicomte, est militaire sans faire la guerre, de l'Académie sans savoir hre. La coutume de France ne veut pas, dit Molière, qu'un gentilhomme sache rien faire, et la même coutume veut que toute place lui soit dévolue, même celle de l'Académie.

Napoléon, génie, dieu tutélaire des races antiques et nouvelles, restaurateur des titres, sauveur des parchemins, sans toi la France perdait l'étiquette et le blason, sans toi..... Qui, Messieurs, ce grand homine aimait comme vous la noblesse, prenait des gentilshommes pour en faire ses soldats, ou bien de ses soldats faisait des gentilhommes. Sans lui, les vicomtes que seraient-ils ? pas même académiciens.

Vous voyez bien, Messieurs, que je ne vous en veux point. Je cause avec vous; et de fait, si j'avais à me plaindre ce serait de moi, non pas de vous. Qui diantre me poussait à vouloir être de l'Académie, et qu'avais-je besoin d'une patente d'érudit, moi qui, sachant du grec autant qu'homme de France, étais connu et célébré par tous les doctes de l'Allemagne sous les noms de Correrius, Courierus, Hemerodromus, Cursor, avec les épithètes de vir ingeniosus, vir acutissimus, vir præstantissimus, c'est-à-dire homme d'érudition, homme de capacité,

comme le docteur Pancrace. J'avais étudié pour savoir, et j'y étais parvenu, au jugement des experts. Que me fallait-il davantage? Quelle bizarre fantaisie à moi, qui m'étais moqué quarante ans des cotteries littéraires, et vivais en repos loin de taute cabale, de m'aller jeter au milieu de ces méprisables intrigues!

A vous parler franchement, Messieurs, c'est là le point embarrassant de mon apologie; c'est là l'endroit que je sens faible et que je me voudrais cacher. De raisons, je n'en ai point pour plâtrer cette sottise, ni même d'excuse valable. Alléguer des exemples, ce n'est pas se laver, c'est montrer les taches des autres. Assez de gens, pourrais-je dire, plus sages que moi, plus habiles, plus philosophes (Messieurs, ne vous effrayez pas), ont fait la même faute et bronché en même chemin aussi lourdement. Que prouve cela? quel avantage en puisje tirer, sinon de donner à penser que par là seulement je leur ressemble? Mais, pourtant, Coraï, Messieurs..., parmi ceux qui ont pris pour objet de leur étude les monumens écrits de l'antiquité grecque, Coraï tient le premier rang, nul ne s'est rendu plus célèbre; ses ouvrages nombreux,'sans être exempts de fautes, font l'admiration de tous ceux qui sont capables d'en juger; Coraï, heureux et tranquille à la tête des hellénistes, patriarche, en un mot, de la Grèce savante, et partout révéré de tout ce qui sait lire alpha et oméga; Coraï une fois a voulu être de l'Académie. Ne me dites point, mon cher maître,

ce que je sais comme tout le monde, que vous l'avez bien peu voulu, que jamais cette pensée ne vous fût venue sans les instances de quelques amis moins zélés pour vous peut-être que pour l'Académie, et qui croyaient de son honneur que votre nom parût sur la liste, que vous cédâtes avec peine, et ne fûtes prompt qu'à vous retirer. Tout cela est vrai et vous est commun avec moi, aussi bien que le succès. Vous avez voulu comme moi, votre indigne disciple, être de l'Académie : c'était sans contredit aspirer à descendre. Il vous en a pris comme à moi, c'est-à-dire qu'on se moque de nous deux. Et plus que moi, vous avez, pour faire cette demande, écrit à l'Académie, qui a votre lettre et la garde. Rendez-la lui, Messieurs, de grâce, ou ne la montrez pas du moins. Une coquette montre les billets de l'amant rebuté, mais elle ne va pas se prostituer à Jomard.

Jomard à la place de Visconti! M. Prevost d'Irai succédant à Clavier! voilà de furieux argumens contre le progrès des lumières, et les frères ignorantins, s'ils ne vous ont eux-mêmes dicté ces nominations, vous en doivent savoir bon gré.

Jomard dans le fauteuil de Visconti! je crois bien qu'à présent, Messieurs, vous y êtes accoutumés; on se fait à tout, et les plus bizarres contrastes, avec le temps, cessent d'amuser. Mais avouez que la première fois cette bouffonnerie vous a réjouis. Ce fut un chose à voir, je m'imagine, que sa réception. Il n'y eût rien manqué de celle de Diafoirus, si le récipiendiaire eût su autant

de latin. Maintenant, essayez ( nature se plaít en diversité*) de mettre à la place d'un âné un savant, un helléniste. A la première vacance peut-être vous en auri z le passe-temps; nommez un de ceux que vous avez refusés jusqu'à présent.

Mais ce M. Jomard, dessinateur, graveur, ou quelque chose d'approchant, que je ne connais point d'ailleurs, et que peu de gens, je crois, connaissent, pour se placer ainsi entre deux gentilshommes, le chevalier et le vicomte, quel homme est-ce donc, je vous prie? Est-ce un gentilhomme qui déroge en faisant quelque chose, ou bien un artiste ennobli comine le marquis de Canova? ou serait-ce seulement un vilain qui pense bien? Les vilains bien pensans fréquentent la noblesse, ils ne parlent jamais de leur père, mais on leur en parle souvent.

M. Jomard toutefois sait quelque chose; il sait graver, diriger au moins des graveurs, et les planches d'un livre font foi qu'il est bon prote en taille-douce. Mais le vicomte, que sait-il? sa généalogie; et quels titres a-t-il ? des titres de noblesse pour remplacer Clavier dans une académie! Chose admirable que parmi quarante que vous étiez, Messieurs, savans ou censés tels, assemblés pour nommer à une place de savant, d'érudit, d'helléniste, pas un ne s'avise de proposer un helléniste, ́un érudit, un savant; pas un seul ne songe à Coraï, nul ne pense à M. Thurot, à M. Haase, à

Mot de Louis XI.

moi, qui en valais un autre pour votre Académie; tous d'un commun accord, parmi tant de héros, vont choisir Childebrand, tous veulent le vicomte. Les compagnies, en général, on le sait, ne rougissent point, et les académies !... Ah! Messieurs, s'il y avait une académie de danse, et que les grands en voulussent être, nous verrions quelque jour, à la place de Vestris, M. de Talleyrand, que l'Académie en corps complimenterait, louerait, et, dès le lendemain, rayerait de sa liste pour peu qu'il parût se brouiller avec les puissances.

Vous faites de ces choses-là. M. Prevost d'Irai n'est pas si grand seigneur, mais il est propre à vos études comme l'autre à danser la gavotte. Et que de Childebrands, bon dieu! choisis par vous, et proclamés unanimement, à l'exclusion de toute espèce d'instruction : Prevost d'Irai, Jomard, Dureau de La Malle, Saint-Martin, non pas tous gentilshommes. Aux vicomtes, aux chevaliers vous mêlez de la roture. L'égalité académique n'en souffre point, pourvu que l'un ne soit pas plus savant que l'autre, et la noblesse n'est pas de rigueur pour entrer à l'Académie, l'ignorance bien prouvée suffit.

Cela est naturel, quoi qu'on en puisse dire. Dans une compagnie de gens faisant profession d'esprit ou de savoir, nul ne veut près de soi un plus habile que soi, mais bien un plus noble, un plus riche; et généralement, dans les corps à talent, nulle distinction ne fait ombrage, si ce n'est celle du talent. Unduc et pair honore l'Académie française

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