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Vous auriez dit, comme Archimède: Je l'ai trouve. Vous et M. Furia, vous alliez vous parer de mes plus belles plumes, et je restais avec ma tache d'encre, que personne ne me contestait. J'avais pensé faire deux parts; le profit pour vous, l'honneur pour moi: vous vouliez avoir l'un et l'autre, et ne me laisser que le pâté. Une pareille prétention rompait tous nos arrangemens.

A MESSIEURS

DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

ET BELLES-LETTRES.

MESSIEURS,

C'EST avec grand chagrin, avec une douleur extrême, que je me vois exclu de votre Académie, puisque enfin vous ne voulez point de moi. Je ne m'en plains pas toutefois. Vous pouvez avoir, pour cela, d'aussi bonnes raisons que pour refuser Coraï et d'autres qui me valent bien. En me mettant avec eux, vous ne me faites nul tort; mais d'un autre côté, on se moque de moi. Un auteur de journal, heureusement peu lu, imprime : « Mon» sieur Courier s'est présenté, se présente el se présentera aux élections de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, qui le rejette unani» mement. Il faut, pour être admis dans cet il» lustre corps, autre chose que du grec. On vient

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d'y recevoir le vicomte Prevost d'Irai, gentil» homme de la chambre; le sieur Jomard, le che

valier Dureau de La Malle, gens qui, à dire

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vrai, ne savent point de giec, mais dont les principes sont connus. »

Voilà les plaisanteries qu'il me faut essuyer. Je saurais bien que répondre; mais ce qui me fâche le plus, c'est que je vois s'accomplir cette prédiction que me fit autrefois mon père : Tu ne seras jamais rien. Jusqu'à présent, je doutais (comme il Ꭹ a toujours quelque chose d'obscur dans les oracles), je pensais qu'il pouvait avoir dit : Tu ne feras jamais rien; ce qui m'accommodait assez, et me semblait même d'un bon augure pour mon avancement dans le monde; car en ne faisant rien, je pouvais parvenir à tout, et singulièrement à être de l'Académie; je m'abusais. Le bonhomme sans doute avait dit, et rarement il se trompa: Tu ne seras jamais rien, c'est-à-dire, tu ne seras ni gendarme, ni rat-de-cave, ni espion, ni duc, ni laquais, ni académicien. Tu seras Paul-Louis pour tout potage, id est, rien. Terrible mot!

C'est folie de lutter contre sa destinée. Il y avait trois places vacantes à l'Académie, quand je me présentai pour en obtenir une. J'avais le mérite requis; on me l'assurait, et je le croyais, je vous l'avoue. Trois places vacantes, Messieurs! et, notez ceci, je vous prie, personne pour les remplir. Vous aviez rebuté tous ceux qui en eussent été capables. Coraï, Thurot, Haase, repoussés une fois, ne se présentaient plus. Le pauvre Chardon de la Rochette qui, toute sa vie, fut si simple de croire obtenir, par la science, une place de savant, à peine désabusé, mourut. J'étais donc sans

rivaux que je dusse redouter. Les candidats manquant, vous paraissiez en peine, et aviez ajourné déjà deux élections faute de sujets recevables. Les uns vous sèmblaient trop habiles; les autres trop ignorans; car sans doute vous n'avez pas cru qu'il n'y eût en France personne digne de s'asseoir auprès de Gail. Vous cherchiez cette médiocrité justement vantée par les sages. Que vous dirai-je enfin? Tout me favorisait, tout m'appelait au fauteuil. Visconti me poussait, Millin m'encourageait, Letronne me tendait la main; chacun semblait me dire: Dignus es intrare: je n'avais qu'à me présenter, je me présentai donc, et n'eus pas une voix.

Non, Messieurs, non, je le sais, ce ne fut point votre faute. Vous me vouliez du bien, j'en suis sûr. Il y parut dans les visites que j'eus l'honneur de vous faire alors. Vous m'accueillites d'une façon qui ne pouvait être trompeuse; car pourquoi m'auriez-vous flatté? Vous me reconnûtes des droits. La plupart même d'entre vous se moquèrent un peu avec moi de mes nobles concurrens ; car, tout en les nommant de préférence à moi, vous les savez bien apprécier, et n'êtes pas assez peu instruits pour me confondre avec messieurs de l'OEil-de-Bœuf. Enfin, vous me rendites justice en convenant que j'étais ce qu'il fallait pour une des trois places à remplir dans l'académie. Mais quoi? mon sort est de n'être rien. Vous eûtes beau vouloir faire de moi quelque chose, mon étoile l'emporta toujours, et vos suffrages, détournés par

eet ascendant, tombèrent, Dieu sans doute le voulant, sur le gentilhomme ordinaire.

La noblesse, Messieurs, n'est pas une chimère, mais quelque chose de très-réel, très-solide, trèsbon, dont on sait tout le prix. Chacun en veut tâter; et ceux qui autrefois firent les dégoûtés, ont bien changé d'avis depuis un certain temps. Il n'est vilain qui, pour se faire un peu décrasser, n'aille du roi à l'usurpateur, et de l'usurpateur au roi, ou qui, faute de mieux, ne mette du moins un de à son nom, avec grande raison vraiment. Car voyez ce que c'est, et la différence qu'on fait du gentilhomme au roturier, dans le pays même de l'égalité, dans la république des lettres. Chardon de la Rochette (vous l'avez tous connu), paysan comme moi, malgré ce nom pompeux, n'ayant que du savoir, de la probité, des mœurs, enfin, un homme de rien, abimé dans l'étude, dépense son patrimoine en livres, en voyages; visite les monumens de la Grèce et de Rome, les bibliothèques, les savans, et devenu lui-même un des hommes les plus savans de l'Europe, connu pour tel par ses ouvrages, se présente à l'Académie, qui tout d'une voix le refuse. Non, c'est mal dire: on ne fit nulle attention à lui, on ne l'écouta pas. Il en mourut, grande sottise. Le vicomte Prevost passe sa vie dans ses terres, où, foulant le parfum de ses plantes fleuries, il compose un couplet afin d'entretenir ses douces réveries. L'Académie, qui apprend cela (non pas l'Académie française, où deux vers se comptent pour un ouvrage, mais la vôtre, Messieurs, l'Académie en

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