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C'est dans cet esprit de valetaille que chez >> vous chacun craint d'être appelé pamphlétaire. » Les maîtres n'aiment point que l'on parle au pu»blic ni de quoi que ce soit, sottise de Rovigo qui, » voulant de l'emploi, fait, au lieu d'un placet, un pamphlet, où il a beau dire: comme j'ai servi je servirai, on ne l'écoute seulement pas, et le voilà » sur le pavé. Le vicomte pamphlétaire est placé, » mais comment? Ceux qui l'ont mis et maintien» nent là n'en voudraient pas chez eux. Il faut des » gens discrets dans la haute livrée, comme dans » tout service, et n'est pire valet que celui qui rai- sonne; pensez donc s'il imprime, et des brochu>> res encore ! Quand M. de Broë vous appela pamphlétaire, c'était comme s'il vous eût dit : Malheureux ! qui n'auras jamais ni places ni ga» ges; misérable! tu ne seras dans aucune antichambre, de la vie n'obtiendras une faveur, une grâce, un sourire officiel, ni un regard auguste. Voilà ce qui fit frissonner et fut cause qu'on s'éloigna de vous quand on entendit ce mot.

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En France, vous êtes tous honnêtes gens, trente millions d'honnêtes gens, qui voulez gouverner » le peuple par la morale et la religion. Pour le gouverner, on sait bien qu'il ne faut

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pas

lui dire » vrai. La vérité est populaire, populace même, s'il » se peut dire, et sent tout-à-fait la canaille, étant l'antipode du bel air, diamétralement opposée au » ton de la bonne compagnie. Ainsi le véridique » auteur d'une feuille ou d'une brochure un peu lue a contre lui de nécessité tout ce qui ne veut

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» pas être peuple, c'est-à-dire tout le monde chez » vous. Chacun le désavoue, le renie. Si s'en » trouve toujours néanmoins, par une permission » divine, c'est qu'il est nécessaire qu'il y ait du » scandale. Mais, malheur à celui par qui le scan■ dale arrive, qui, sur quelque sujet important et » d'un intérêt général, dit au public la vérité. En » France, excommunié, maudit, enfermé par fa» veur à Sainte-Pélagie, mieux lui vaudrait n'ètre » pas né.

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D

» Mais c'est là ce qui donne créance à ses paroles, » la persécution. Aucune vérité ne s'établit sans martyrs, excepté celles qu'enseigne Euclide. On »ne persuade qu'en souffrant pour ses opinions; » et saint Paul disait: Croyez-moi, car je suis sou» vent en prison. S'il eût vécu à l'aise et se fût en>> richi du dogme qu'il prêchait, jamais il n'eût » fondé la religion du Christ. Jamais F.... ne fera de » ses homélies que des emplois et un carrosse. Toi » donc, vigneron, Paul-Louis, qui seul en ton » pays consens à être homme du peuple, ose en» core être pamphlétaire et le déclarer hautement. Ecris, fais pamphlet sur pamphlet, tant que la » matière ne te manquera; monte sur les toits, prêche l'évangile aux nations et tu seras écouté, si » l'on te voit persécuté; car il faut cette aide, et tu » ne ferais rien sans M. de Broë: c'est à toi de par» ler et à lui de montrer par son réquisitoire la vé» rité de tes paroles. Vous entendant ainsi et secondant l'un l'autre, comme Socrate et Anytus, pouvez convertir le monde. »

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Voilà l'épitre que je reçois de mon tant bon ami sir John, qui, sur les pamphlets, pense et me conseille au contraire de M. Arthus-Bertrand. Celuici ne voit rien de si abominable, l'autre rien de si beau. Quelle différence! et remarquez, le Français léger ne fait cas que des lourds volumes, le gros Anglais veut mettre tout en feuilles volantes; contraste singulier, bizarrerie de nature! Si je pouvais compter que de là l'Océan les choses sont ainsi qu'il me les représente, j'irais; mais j'entends dire que là, comme en Europe, il y a des Excellences, et bien pis, des héros. Ne partons pas, mes amis, n'y allons point encore peut-être, Dieu aidant, peut-être aurons-nous ici autant de liberté, à tout prendre, qu'ailleurs, quoi qu'en dise sir John. Bonhomme en vérité ! j'ai peur qu'il ne s'abuse, me croyant fait pour imiter Socrate jusqu'au bout. Non, détournez le calice; la ciguë est amère, et le monde de soi se convertit assez sans que je m'en mêle, chétif. Je serais la mouche du coche, qui se passera bien de mon bourdonnement. Il va, mes chers amis, et ne cesse d'aller. Si sa marche nous paraît lente, c'est que nous vivons un instant. Mais que de chemin il a fait depuis cinq ou six siècles! A cette heure, en plaine roulant, rien ne le peut plus arrêter.

AVERTISSEMENT

SUR

LA LETTRE A M. RENOUARD.

POUR l'intelligence de ce qui suit, il faut premièrement savoir que Paul-Louis, auteur de cette lettre, ayant découvert à Florence, chez les moines du Mont-Cassin, un manuscrit complet des Pastorales de Longus, jusque là mutilées dans tous les imprimés, se préparait à publier le texte grec et une traduction de ce joli ouvrage, quand il reçut la permission de dédier le tout à la princesse ainsi appelait-on, en Toscane, la sœur de Bonaparte, Elisa. Cette permission, annoncée par le préfet même de Florence, et devant beaucoup de gens, à Paul-Louis, le surprit. Il ne s'attendait à rien moins, et refusa d'en profiter, disant pour raison que le public se moquait toujours de ces dédicaces; mais l'excuse parut frivole : le public, en ce temps-là, n'était rien, et Paul-Louis passa pour un homme peu dévoué à la dynastie qui devait remplir tous les trônes. Le voilà noté philosophe, indépendant, ou pis encore, et mis hors de la protection du gouvernement. Aussitôt on l'attaque; les gazettes le dénoncent comme philo

sophe d'abord, puis comme voleur de grec. Un signor Puccini, chambellan italien de l'auguste Elisa, quelque peu clerc, écrit en France, en Allemagne ; cette vertueuse princesse elle-même mande à Paris qu'un homme, ayant trouvé par hasard, déterré un morceau de grec précieux, s'en était emparé pour le vendre aux Anglais. Cela voulait dire qu'il fallait fusiller l'homme et confisquer son grec, s'il y eût eu moyen; car déjà les savans étaient en possession du morceau déterré qui complétait Longus, de ce nouveau fragment en effet très-précieux, imprimé, distribué gratis avec la version de Paul-Louis.

Un autre Florentin, un professeur de grec, appelé Furia, fort ignorant en grec et en toute langue, fâché de l'espèce de bruit que faisait cette découverte parmi les lettrés d'Italie, met la main à la plume, comme feu Janotus, et compose une brochure. Les brochures étaient rares sous le grand Napoléon; celle-ci fut lue delà les monts, et même parvint à Paris. M. Renouard, libraire, accusé dans ce pamphlet de s'entendre avec PaulLouis pour dérober du grec aux moines, répondit seul; Paul-Louis pensait à autre chose.

Il parut aussi des estampes, dont une le représentait dans une bibliothèque, versant toute l'encre de son cornet sur un livre ouvert; et ce livre, c'était le manuscrit de Longus : car il y avait fait, en le copiant, comme il est expliqué dans l'écrit qu'on va lire, une tache, unique prétexte de la persécution et de tant de clameurs élevées contre lui. On

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