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mentent à tout venant, trahissent, manquent de foi, et tiendraient à grand déshonneur d'avoir dit vrai dans un écrit de quinze ou seize pages; car tout le mal est dans ce peu. Seize pages, vous êtes pamphlétaire, et gare Sainte-Pélagie. Faites-en seize cents, vous serez présenté au roi : malheureusement je ne saurais. Lorsqu'en 1815, le maire de notre commune, celui-là même d'à présent, nous fit donner de nuit l'assaut par ses gendarmes, et du lit traîner en prison de pauvres gens qui ne pouvaient mais de la révolution, dont les femmes ; les enfans périrent, la matière était ample à fournir des volumes, et je n'en sus tirer qu'une feuille, tant l'éloquence me manqua. Encore m'y pris-je à rebours. Au lieu de décliner mon nom, et de dire d'abord comme je fis: mes bons messieurs, je suis Tourangeau, si j'eusse commencé : Chrétiens, après les attentats inouïs d'une infernale révolution...... dans le goût de l'abbé de la Mennais, une fois monté à ce ton, il m'était aisé de continuer et mener à fin mon volume sans fàcher le procureur du roi. Mais je fis seize pages d'un style à peu près comme je vous parle, et je fus pamphlétaire insigne; et depuis, coutumier du fait, quand vint la souscription de Chambord, sagement il n'en fallait rien dire ; ce n'était matière à traiter en une feuille ni en cent; il n'y avait là ni pamphlet, ni brochure; ni volume à faire, étant malaisé d'ajouter aux flagorneries, et dangereux d'y contredire, comme je l'éprouvai. Pour avoir voulu dire là dessus ma pen, sée en peu de mots, sans ambages ni circonlocu

tions; pamphlétaire encore, en prison deux mois à Sainte-Pélagie. Puis, à propos de la danse qu'on nous interdisait,j'opinai de mon chef, gravement; entendez-vous, à cause de l'église intéressée làdessus, longuement, je ne puis; je retombai dans le pamphlet. Accusé, poursuivi, mon innocent langage et mon parler timide trouvèrent grâce à peine; je fus blàmé des juges. Dans tout ce qui s'imprime, il y a du poison plus ou moins délayé, selon l'étendue de l'ouvrage, plus ou moins malfaisant; mortel. De l'acétate de morphine, un grain dans une cuve se perd, n'est point senti, dans une tasse fait vomir, en une cuillerée tue, et voilà le pamphlet.

Mais, d'autre part, mon bon ami sir John Bickerstaff, écuyer, m'écrit ce que je vais tout-àl'heure vous traduire, Singulier homme, philosophe, lettré autant qu'on saurait être, grand partisan de la réforme non parlementaire seule ment, mais universelle, il veut refaire tous les gouvernemens de l'Europe, dont le meilleur, ditil, ne vaut rien. Il jouit dans son pays d'une fortune honnête. Sa terre n'a d'étendue que dix lieues en tout sens, un revenu de deux ou trois millions au plus; mais il s'en contente, et vivait dans cette médiocrité, quand les ministres le voyant homme à la main, d'humeur facile, comme sont les savans, comme était Newton, le firent entrer au parlement. Il n'y fut pas, que voilà qu'il tonne, tempête contre les dépenses de la cour, la corruption, les sinécures. On crut qu'il en voulait sa part, et les

ministres lui offrirent une place qu'il accepta, et une somme qu'il toucha, proportionnée à sa fortune, selon l'usage des gouvernans de donner plus à qui plus a. Nanti de ces deniers, il retourne à sa terre, assemble les paysans, les laboureurs et tous les fermiers du comté, auxquels il dit : J'ai rattrapé le plus heureusement du monde une partie de ce qu'on vous prend pour entretenir les fripons et les fainéans de la cour. Voici l'argent dont je veux faire une belle restitution. Mais commençons par les plus pauvres. Toi, Pierre, combien as-tu payé cette année-ci? Tant; le voilà. Toi, Paul; vous, Isaac et John, votre quote? Et il la leur compte; et ainsi tant qu'il en resta, Cela fait, il retourne à Londres, où, prenant possession de son nouvel emploi, d'abord il voulait élargir tous les gens détenus pour délits de paroles, propos contre les grands, les ministres, les Suisses, et l'eût fait, car sa place lui en donnait le pouvoir, si on ne l'eût promptement révoqué.

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Depuis, il s'est mis à voyager, et m'écrit de Rome; « Laissez dire, laissez-vous blâmer, con» damner, emprisonner; laissez-vous pendre, » mais publiez votre pensée. Ce n'est pas un droit, c'est un devoir, étroite obligation de quiconque » a une pensée de la produire et mettre au jour » pour le bien commun. La vérité est toute à tous. » Ce que vous connaissez utile, bon à savoir pour » un chacun, vous ne le pouvez taire en con» science. Jenner, qui trouva la vaccine, eût été franc scélérat d'en garder une heure le secret;

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» et comme il n'y a point d'homme qui ne croie »ses idées utiles, il n'y en point qui ne soit tenu de les communiquer et répandre par tous » moyens à lui possibles. Parler est bien, écrire » est mieux; imprimer est excellente chose. Une pensée déduite en termes courts et clairs, avec >> preuves, documens, exemples, quand on l'imprime, c'est un pamphlet, et la meilleure action, >> courageuse souvent, qu'homme puisse faire au » monde. Car, si votre pensée est bonne, on en profite, mauvaise, on la corrige, et l'on profite > encore. Mais l'abus... sottise que ce mot; ceux qui l'ont inventé, ce sont eux qui vraiment abu>> sent de la presse, en imprimant ce qu'ils veulent, trompant, calomniant et empêchant de répondre. Quand ils crient contre les pamphlets, journaux, brochures, ils ont leurs raisons ad» mirables. J'ai les miennes, et voudrais qu'on en » fit davantage, que chacun publiât tout ce qu'il > pense et sait ! Les jésuites aussi criaient contre » Pascal et l'eussent appelé pamphlétaire, mais le >> mot n'existait pas encore; ils l'appelaient tison d'enfer, la même chose en style cagot. Cela si• gnifie toujours un homme qui dit vrai et se fait » écouter. Ils répondirent à ses pamphlets par » d'autres d'abord, sans succès, puis par des let» tres de cachet qui leur réussirent bien mieux. » Aussi était-ce la réponse que faisaient d'ordinaire aux pamphlets les gens puissans et les jésuites.

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» A les entendre cependant, c'était peu de

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» chose; ils méprisaient les petites lettres, misé» rables bouffonneries, capables tout au plus d'a» muser un moment par la médisance, le scandale, écrits de nulle valeur, sans fonds, ni consistance, ni substance, comme on dit maintenant, lus le matin, oubliés le soir, en somme, indignes de lui, d'un tel homme, d'un savant! » L'auteur se déshonorait en employant ainsi son temps et ses talens; écrivant des feuilles non des » livres, et tournant tout en raillerie, au lieu de » raisonner gravement; c'était le reproche qu'ils » lui faisaient, vieille et coutumière querelle de » qui n'a pour soi les rieurs. Qu'est-il arrivé? la raillerie, la fine moquerie de Pascal a fait ce que n'avaient pu les arrêts, les édits, a chassé de par» tout les jésuites. Ces feuilles si légères ont acca

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blé le grand corps. Un pamphlétaire, en se » jouant, met à bas ce colosse craint des rois et des peuples. La société tombée ne se relèvera pas, quelque appui qu'on lui prête, et Pascal reste grand dans la mémoire des hommes, non par ses » ouvrages savans, sa roulette, ses expériences, » mais par ses pamphlets, ses petites lettres.

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» Ce ne sont pas les Tusculanes qui ont fait le » nom de Cicéron, mais ses harangues, vrais pamphlets. Elles parurent en feuilles volantes, » non roulées autour d'une baguette, à la manière » d'alors, la plupart même et les plus belles n'ayant pas été prononcées. Son Caton, qu'étaitce? qu'un pamphlet contre César, qui répondit

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