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J'y ai réfléchi, et me souviens qu'avant lui M. de Broë, homme éloquent, zélé pour la morale publique, me conseilla de même, en termes moins flatteurs, devant la Cour d'assises. Vil pamphlétaire..... Ce fut un mouvement oratoire des plus beaux, quand, se tournant vers moi qui, foi de paysan, ne songeais à rien moins, il m'apostropha de la sorte: Vil pamphlétaire, etc., coup de foudre, non, de massue, vu le style de l'orateur, dont il m'assomma sans remède. Ce mot soulevant contre moi les juges, les témoins, les jurés, l'assemblée (mon avocat lui-même en parut ébranlé), ce mot décida tout. Je fus condamné dès l'heure, dans l'esprit de Messieurs, dès que l'homme du roi m'eut appelé pamphlétaire, à quoi je ne sus que répondre; car il me semblait bien en mon âme avoir fait ce qu'on nomme un pamphlet; je ne l'eusse osé nier. J'étais donc pamphlétaire à mon proprejugement, et voyant l'horreur qu'un tel nom inspirait à tout l'auditoire, je demeurai confus.

Sorti de là, je me trouvai sur le grand degré avec M. Arthus-Bertrand, libraire, un de mes jurés, qui s'en allait diner, m'ayant déclaré coupable. Je le saluai; il m'accueillit, car c'est le meilleur homme du monde, et chemin faisant, je le priai de me vouloir dire ce qui lui semblait à reprendre dans le Simple Discours condamné. Je ne l'ai point lu, me dit-il; mais c'est un pamphlet, cela me suffit. Alors je lui demandai ce que c'était qu'un pamphlet et le sens de ce mot qui, sans m'être nouveau, avait besoin pour moi de quelque explica

tion. C'est, répondit-il, un écrit de peu de pages comme le vôtre, d'une feuille ou deux seulement. De trois feuilles, repris-je, serait-ce encore un pamphlet ? Peut-être, me dit-il, dans l'acception commune; mais proprement parlant, le pamphlet n'a qu'une feuille seule; deux ou plus font une brochure. Et dix feuilles ? quinze feuilles? vingt feuilles? Font un volume, dit-il, un ouvrage.

Moi, là-dessus, Monsieur, je m'en rapporte à vous qui devez savoir ces choses. Mais, hélas ! j'ai bien peur d'avoir fait en effet un pamphlet, comme dit le procureur du roi. Sur votre honneur et conscience, puisque vous êtes juré, M. ArthusBertrand, mon écrit d'une feuille et demie est-ce pamphlet ou brochure? Pamphlet, me dit-il, pamphlet, sans nulle difficulté. Je suis donc pamphlétaire? Je ne vous l'eusse pas dit par égard, ménagement, compassion du malheur ; mais c'est la vérité. Au reste, ajouta-t-il, si vous vous repentez, Dieu vous pardonnera (tant sa miséricorde est grande !) dans l'autre monde. Allez, mon bon monsieur, et ne péchez plus; allez à SaintePélagie.

Voilà comme il me consolait. Monsieur, lui dis-je, de grâce, encore une question. Deux, me dit-il, et plus, et tant qu'il vous plaira, jusqu'à quatre heures et demie qui, je crois, vont sonner. Bien, voici ma question. Si, au lieu de ce pamphlet sur la souscription de Chambord, j'eusse fait un volume, un ouvrage, l'auriez-vous con

damné? Selon. J'entends, vous l'eussiez lu d'abord, pour voir s'il était condamnable. Oui, je l'aurais examiné. Mais le pamphlet, vous ne le lisez pas? Non, parce que le pamphlet ne saurait être bon. Qui dit pamphlet, dit un écrit tout plein de poison. De poison? Oui, Monsieur, et de plas détestable, sans quoi on ne le lirait pas. S'il n'y avait du poison? Non, le monde est ainsi fait; on aime le poison dans tout ce qui s'imprime. Votre pamphlet que nous venons de condamner, par exemple, je ne le connais point; je ne sais en vérité ni ne veux savoir ce que c'est, mais on le lit; il y a du poison. M. le procureur du roi nous l'a dit, et je n'en doutais pas. C'est le poison, voyez-vous, que poursuit la justice dans ces sortes d'écrits. Car, autrement, la presse est libre; imprimez, publiez tout ce que vous voudrez, mais non pas du poison. Vous avez beau dire, messieurs, on ne vous laissera pas distribuer le poison. Cela ne se peut en bonne police, et le gouvernement est là qui vous en empêchera bien.

Dieu, dis-je en moi-même tout bas, Dieu, délivre-nous du malin et du langage figuré ! Les médecins m'ont pensé tuer, voulant me rafraichir le sang; celui-ci m'emprisonne de peur que je n'écrive du poison; d'autres laissent reposer leur champ, et nous manquons de blé au marché. Jésus, mon Sauveur, sauvez-nous de la métaphore.

Après cette courte oraison mentale, je repris : En effet, monsieur, le poison ne vaut rien du

tout, et l'on fait à merveille d'en arrêter le débit. Mais je m'étonne comment le monde, à ce que vous dites, l'aime tant. C'est sans doute qu'avec ce poison il y a dans les pamphlets quelque chose...... Oui, des sottises, des calembourgs, de méchantes plaisanteries. Que voulez-vous, mon cher monsieur, que voulez-vous mettre de bon sens en une misérable feuille ? Quelles idées s'y peuvent développer? Dans les ouvrages raisonnés, au sixième volume à peine entrevoit-on où l'auteur en veut venir. Une feuille, dis-je, il est vrai, ne saurait contenir grand'chose. Rien qui vaille, me dit-il, et je n'en lis aucune. Vous ne lisez donc pas les mandemens de monseigneur l'évêque de Troyes pour le carême et pour l'avent? Ah ! vraiment ceci diffère fort. Ni les pastorales de Toulouse sur la suprématie papale? Ah! c'est autre chose, cela. Donc, à votre avis, quelquefois une brochure, une simple feuille...... Fi! ne m'en parlez pas, opprobre de la littérature, honte du siècle et de la nation, qu'il se puisse trouver des auteurs, des imprimeurs et des lecteurs de semblables impertinences ! Monsieur, lui dis-je, les Lettres Provinciales de Pascal...... Oh ! livre admirable, divin, le chef-d'œuvre de notre langue! Eh bien ! ce chef-d'œuvre divin, ce sont pourtant des pamphlets, des feuilles qui parurent.... Non, tenez, j'ai là-dessus mes principes, mes idées. Autant j'honore les grands ouvrages faits pour durer et vivre dans la postérité, autant je méprise et déteste ces petits écrits éphémères, ces papiers

qui vont de main en main et parlent aux gens d'à-présent des faits, des choses d'aujourd'hui ; je ne puis souffrir les pamphlets. Et vous aimez les Provinciales, petites lettres, comme alors on les appelait, quand elles allaient de main en main. Vrai, continua-t-il sans m'entendre, c'est un de mes étonnemens que vous, Monsieur, qui, à voir, me semblez homme bien né, homme éduqué, fait pour être quelque chose dans le monde; car enfin, qui vous empêchait de devenir baron comme un autre? Honorablement employé dans la police, les douanes, geôlier ou gendarme, vous tiendriez un rang, feriez une figure. Non, je n'en reviens pas; un homme comme vous s'avilir, s'abaisser jusqu'à faire des pamphlets! Ne rougissez-vous point? Blaise, lui répondis-je, Blaise Pascal n'était ni geôlier, ni gendarme, ni employé de M.Franchet! Chut! paix! Parlez plus bas, car il peut nous entendre. Qui donc ? L'abbé Franchet? Serait-il si près de nous? Monsieur, il est partout. Voilà quatre heures et demie; votre humble serviteur. Moi, le vôtre. Il me quitte et s'en alla

courant.

ce

Ceci, mes chers amis, mérite considération; trois si honnêtes gens: M. Arthus-Bertrand, monsieur de la police, et M. de Broë, personnage éminent en science, en dignité; voilà trois hommes de bien ennemis des pamphlets. Vous en verrez d'autres assez et de la meilleure compagnie, qui trompent un ami, séduisent sa fille ou sa femme, prêtent la leur pour obtenir une place honorable,

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