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LIVRET

DE PAUL-LOUIS, VIGNERON,

PENDANT SON SÉJOUR A PARIS,

EN MARS 1823.

AVIS DU LIBRAIRE-ÉDITEUR.

Nous ne donnons que des extraits du Livret de PaulLouis, vigneron, dans lequel se trouvent beaucoup de choses intelligibles pour lui seul, d'autres trop hardies pour le temps, et qui pourraient lui faire de fâcheuses affaires. Nous avons supprimé ou adouci ces traits. Il faut respecter les puissances établies de Dieu sur la terre, et ne pas abuser de la liberté de la presse.

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M. de Talleyrand, dans son discours au roi pour l'empêcher de faire la guerre, a dit : Sire, je suis vieux. C'était dire, vous êtes vieux; car ils sont du même âge. Le roi, choqué de cela, lui a répondu : Non, monsieur de Talleyrand, non vous n'êtes point vieux; l'ambition ne vieillit pas. Talleyrand parle haut, et se dit responsable de la restauration.

Nous n'avons pas besoin de dire que cet avis est de Courier lui-même; il se trouve en tête de la première édition du Livret, nous l'avons conservé. (Note de l'éditeur.)

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Ces mots vieillesse et mort sont dures à la vieille cour. Louis XI les abhorrait, celui de mort surtout, et, afin de ne le point entendre, il voulut que quand on le verrait à l'extrémité, on lui dit seulement parlez peu, pour l'avertir de sa situation. Mais ses gens oublièrent l'ordre, et lorsqu'il en vint là, lui dirent crument le mot, qu'il trouva bien amer. (Voir Philippe de Commines.)

Marchangy, lorsqu'il croyait être député, se trouvant chez M. Peyronnet, examinait l'appartement, qui lui parut assez logeable; seulement il eût voulu le salon plus orné, l'antichambre plus vaste, afin d'y faire attendre et la cour et la ville, peu content d'ailleurs de l'escalier. Le Gascon, qui connut sa pensée, eut peur de cette ambition, et résolut de l'arrêter, comme il fit en laissant paraître les nullités de son élection, dont sans cela on n'eût dit mot.

Quatre gardes-du-corps ont battu le parterre au Gymnase dramatique. On dit que cela est contraire à l'ordonnance de Louis XIII, qui leur dé. fend de maltraiter ni frapper les sujets du roi sans raison. Mais il y avait une raison : c'est que le parterre ne veut point applaudir des couplets qui plaisent aux gardes-du-corps et leur promettent la victoire en Espagne, s'ils y font la guerre, ce qui n'est nullement vraisemblable.

- Près des Invalides, six Suisses ont assailli quelques bouchers. Ceux-ci ont tué deux Suisses et blessé tous les autres, qui se sont sauvés en laissant sabres et schakos. Les bouchers devraient

quelquefois aller au parterre, et les Suisses toujours se souvenir du 10 août.

Lebrun trouve dans mon Hérodote un

peu

trop de vieux français, quelques phrases traînantes. Béranger pense de même, sans blâmer cependant cette façon de traduire. On est content de la préface.

Le boulevard est plein de caricatures, toutes contre le peuple. On le représente grossier, débauché, crapuleux, semblable à la cour, mais en laid. Afin de le corrompre, on le peint corrompu. L'adultère est le sujet ordinaire de ces estampes. C'est un mari avec sa femme sur un lit et le galant dessous, ou bien le galant dessus et le mari dessous. Des paroles expliquent cela. Dans une autre, le mari lorgnant par la serrure, voit les ébats de sa femme, scène des Variétés. Ce théâtre aura bientôt le privilége exclusif d'en représenter de pareilles. Il jouera seul les pièces qu'on appelle grivoises, c'est-à-dire sales, dégoûtantes, comme la Marchande de goujons. Les censeurs ont soin d'en ôter tout ce qui pourrait inspirer quelque sentiment généreux. La pièce est bonne, pourvu qu'il n'y soit point question de liberté, d'amour du pays; elle est excellente, s'il y a des rendez-vous de charmantes femmes avec de charmans militaires, qui battent leurs valets, chassent leurs créanciers, escroquent leurs parens; c'est le bel air qu'on recommande. Corrompre le peuple est l'affaire, la grande affaire maintenant. A l'église et dans les écoles, on lui eǹseigne l'hypocrisie, au théâtre l'ancien régime et

toutes ses ordures. On lui tient prêtes des maisons où il va pratiquer ces leçons.

En Angleterre, tout au contraire, les caricatures et les farces se font contre les grands, livrés à la risée du peuple, qui conserve ses mœurs et corrige la cour.

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son nom,

Un homme que j'ai vu arrive d'Amérique. Il y est resté trois ans sans entendre parler de ce que nous appelons ici l'autorité. Nul ne lui a demandé sa qualité, ni ce qu'il venait faire, ni d'où, ni pourquoi, ni comment. Il a vécu trois ans sans être gouverné, s'ennuyant à périr. Il n'y a point là de salons. Se passer de salons! impossible au Français, peuple éminemment courtisan. La cour s'étend partout en France; le premier des besoins c'est de faire sa cour. Tel brave à la tribune les grands, les potentats, et le soir devant.... s'incline profondément, n'ose s'asseoir chez..., qui lui frappe sur l'épaule et l'appelle mon cher. Que de maux naissent, dit Labruyère, de ne pouvoir être seul!

-A Boulogne-sur-Mer, M. Léon de Chanlaire avait établi une école d'enseignement mutuel, dans une salle bâtie par lui exprès avec beaucoup de dépenses. Là, trois cents enfans apprenaient l'arithmétique et le dessin. Les riches payaient pour les pauvres, et de ceux-ci cinquante se trouvaient habillés sur la rétribution des autres; tout allait le mieux du monde. Ces enfans s'instruisaient et n'étaient point fouettés. Les frères ignorantins, qui fouettent et n'instruisent pas, ont

fait fermer l'école, et de plus ont demandé que la salle de M. de Chanlaire leur fût donnée par les jésuites, maîtres de tout. Chanlaire est accouru ici pour parler aux jésuites et défendre son bien (Nota, que toute affaire se décide à Paris ; les provinces sont traitées comme pays conquis). Il va voir Frayssinous qui lui répond ces mots: Ce que j'ai décidé, nulle puissance au monde ne le saurait changer. Parole mémorable et digne seulement d'Alexandre ou de lui.

Tous ces célibataires fouettant les petits garçons et confessant les filles, me sont un peu suspects. Je voudrais que les confesseurs fussent au moins mariés; mais les frères fouetteurs, il faudrait, sauf meilleur avis, les mettre aux galères, ce me semble. Ils cassent les bras aux enfans qui ne se laissent point fouetter. On a vu cela dans les journaux de la semaine passée. Quelle rage! Flagellandi tàm dira cupido!

- Un Anglais m'a dit : Nos ministres ne valent pas mieux que les vôtres. Ils corrompent la nation pour le gouvernement, récompensent la bassesse, punissent toute espèce de générosité. Ils font de fausses conjurations, où ils mettent ceux qui leur déplaisent, puis de faux jurys pour juger ces conspirations. C'est tout comme chez vous. Mais il n'y a point de police. Voilà la diffé

rence.

Grande, très-grande cette différence, à l'avantage de l'Anglais. La police est le plus puissant de tous les moyens inventés pour rendre un peu

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