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l'ordre de Dieu. Mais une autre bande vraiment noire, ennemie du partage, prétend que toute terre lui appartient, propriétaire universelle de droit divin, acquiert tous les jours, ne vend point; bande la pire qui soit et la plus malfaisante, si on ne la connaissait.

Quand Bonaparte reviendra, ou son fils que voilà tantôt grand, il ôtera les droits réunis, et ne lèvera d'argent que ce qu'il en faudra pour les dépenses publiques. Il mariera les prêtres, car enfin ces gens-là ne se peuvent passer de femmes et ne s'en passent pas; cela fait du désordre. Il avancera les soldats, nos enfans seront officiers. Nous élirons nos maires, nos juges de paix; ce sera le bon temps qu'on attend depuis long-temps,

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Le maire de Véretz a battu le curé qui laisse danser, et en le battant lui a dit qu'il était mau̟vais prêtre, que sa messe ne valait rien, que chaque fois qu'il la disait il commettait un sacrilége et recrucifiait Jésus-Christ. Le curé est un vieillard de quatre-vingt-deux ans, instruit et sage, le maire un jeune homme de trente ans, beaucoup plus occupé des filles que du sacrifice de la messe. Le soufflet qu'il a donné dans cette occasion parut tel aux témoins, qu'aucun prètre, disent-ils, n'en a reçu de pareil depuis Boniface VIII. Le maire de Véretz n'a pas mis un gant de fer, comme fit l'ambassadeur pour souffleter ce pape au nom dų roi son maître, mais du coup a jeté par terre le bonhomme, qui ne s'est pas relevé, garde encore

le lit. Les apparences sont que Véretz ne dansera plus.

On a volé au Polonais deux mille francs qu'il amassait depuis qu'il est ici. Chacun le plaint. C'est un homme doux, simple, bon, serviable comme tous ces déserteurs des armées étrangères. Il y en a plusieurs établis dans nos environs, mariés, vivant bien, sans aucun regret du pays où le seigneur leur donnait la schlague et leur vendait le brandevin au prix qu'il voulait. Mauvais laboureurs la plupart, pour gouverner les chevaux ils n'ont point de pareils.

La veuve Raillard, qui vend du vin aux bateliers, a une cave secrète que nous connaissons tous, mais que les commis ignorent. Elle en venait hier, sa clef dans une main, dans l'autre une bouteille, quand les commis l'arrêtèrent au détour des Ruaux, saisissent sa bouteille, Elle, d'un coup de clef, la brise entre leurs mains. Tout le monde en a ri. La contrebande n'est point une chose qu'on blâme. Peu de gens aujourd'hui mettent dans un contrat le vrai prix de la vente. Le gouvernement trompe, et qui le peut tromper est approuvé de tous. Il enseigne lui-même la fourbe, le parjure, la fraude et l'imposture. D'un empire si saint la moitié n'est fondée.

Des gens ont conseillé au curé de Veretz, battu par le jeune maire, d'en demander justice, ayant preuves et témoins. Il l'a fait, il s'est plaint; les juges.... Ce curé est un de ceux de la révolution; il prêta le serment et même fut grand-vicaire

constitutionnel, homme qui s'est assis dans la chaire empestée; il a contre lui toute sa robe. Tout ce qui pense bien le tient dûment battu et applaudit au maire. Le procureur du roi, sans doute ignorant cela, d'abord prit fait et cause pour l'église outragée, dans l'ardeur de son zèle voulait couper le poing qui avait frappé l'oint; mais averti depuis, il a changé de langage, trop tard; on ne lui pardonne pas d'avoir agi et fait agir la justice dans cette affaire, sans prendre le mot des jésuites. Messieurs les gens du roi, entre la chancellerie et la grande aumônerie, n'ont pas besogne faite, et sont en peine souvent. Le préfet mieux avisé, instruit d'ailleurs, guidé par le coadjuteur, les moines, les dévotes et les séminaristes, en appuyant son maire, et criant anathème au prêtre de Baal, a montré qu'il entend la politique du jour. Les juges. Comment faire contre un parti régnant? Ils en eurent grand honte, et sortant de l'audience, ne regardaient personne après cette sentence. Ils ont, bien malgré eux, pauvres gens. en dépit de la clameur publique, des preuves, des témoins, condamné le plaignant aux frais et aux dépens. Le parti voulait plus ; il voulait une amende. que messieurs de la justice ont bravement refusée: battu ne paie pas l'amende; c'est quelque chose; c'est beaucoup au temps où nous vivons. Il n'en faut pas exiger plus, et ce courage aux juges pourra ne pas durer.

Le maire, ainsi vainqueur du prêtre octogénaire, après avoir battu, dans une seule personne,

la danse et la révolution, se flatte avec raison des bonnes graces du parti puissant et gouvernant. C'est une action d'éclat dont on lui saura gré, d'autant plus qu'ayant pour tout bien une terre qui appartient à M. le marquis de Chabrillant, bien d'émigré s'il faut le dire, il semblerait intéressé à se conduire tout autrement, et ne devrait pas être ami de la contre-révolution. Mais son calcul est fin, il raisonne à merveille. Se rangeant avec ceux qui le nomment voleur, il fait rage contre ceux qui le veulent maintenir dans sa propriété, conduite très - adroite. Si ces derniers triomphent, la révolution demeure et tout ce qu'elle a fait ; il tient le marquisat, se moque du marquis. Les autres l'emportant, il pense mériter non seulement sa grâce et de n'être pas pendu, mais récompense, emploi, et peut-être, qui sait? quelque autre terre confisquée sur les libéraux lorsqu'ils seront émigrés.

ANNONCE. Paul-Louis vend sa maison de Beauregard, acquise par lui de David Bacot, huguenot, et pourtant honnête homme. La demeure est jolie, le site un des plus beaux qu'il y ait en Touraine, romantique de plus, et riche en souvenirs. Le château de la Bourdaisière se voit à peu de distance. Là furent inventées les faveurs par Babeau; là naquirent sept sœurs galantes comme leur mère et célèbres sous le nom des sept péchés mortels, une desquelles était Gabrielle, maîtresse 'de ce bon roi Henri, et de tant d'autres à la fois féaux et courtois chevaliers, Par le seigneur lui

même, père des belles filles et mari de Babeau, cette terre fut nommée un clapier de p.t...... Vieux temps, antiques mœurs! qu'êtes-vous devenus? On aura ces souvenirs par dessus le marché, en achetant Beauregard, voisin de la Bourdaisière.

On aura trente arpens de terre, vigne et pré, grande propriété sur nos rives du Cher, où tout est divisé, où se trouvent à peine deux arpens d'un tenant, susceptibles d'ailleurs de beaucoup augmenter en valeur ou en étendue, selon les chances de la guerre qui se fait maintenant en Espagne. Car si le Trappiste là-bas met l'inquisition à la place de la constitution, Beauregard aussitôt redevient ce qu'il était jadis, fief, terre seigneuriale, étant bâti pour cela. Tours, tourelles, colombier, girouette, rien n'y manque. Vol du chapon, jambage, cuissage, etc., nous en avons les titres. Par le triomphe du Trappiste et le retour du bon régi1ne, la petite culture disparaît, le seigneur de Beauregard s'arrondit et s'étend, soit en achetant à bas prix les terres que le vilain ne peut plus cultiver, soit en le plaidant à Paris devant messieurs de la Grand' Chambre, tous parens ou amis des possesseurs de fiefs, soit par voie de confiscation ou autres moyens inventés et pratiqués du temps des mœurs. Toute la garenne de Beauregard, si Dieu favorise Don Antonio Maragnon, tout ce qui est maintenant plantation, vigne, verger, clos, jardin, pépinière, se convertit en nobles landes et pays de chasse à la grande bête, seigneurie de trois mille arpens, pouvant

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