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rencontra quelques soldats et les mena au cabaret. Ils furent bientôt bons amis; Avenet a servi longtemps. Il est membre, non chevalier de la Légiond'Honneur. En buvant bouteille : Camarades, leur dit-il, qu'il ne vous déplaise, où allez-vous le sac au dos? A l'armée, dirent ces jeunes gens. Fort bien ; et demandant une seconde bouteille: qu'allez-vous faire? Eh! mais, la guerre apparemment. Fort bien, répond Avenet. A la troisième bouteille: Çà, dites-moi, pour qui allez-vous faire la ́ guerre? Ils se mirent à rire. On parla des affaires. Deux gendarmes étaient là qui, connaissant Avenet, l'appellent et lui disent: Va-t-en; Avenet, va-t'en. Il les crut, s'en alla, les gendarmes aussi. Mais il revint bientôt, rejoignit ses convives et reprit son propos. Alors on l'arrèta. C'étaient d'autres gendarmes. On l'a mis au cachot. Le cas est grave. Il a dit ce qui se dit entre soldats après trois bouteilles bues.

-Les vaches ne se vendent point. Les filles étaient chères à l'assemblée de Véretz, les garçons hors de prix. On n'en saurait avoir. Tous et toutes se marient à cause de la conscription. Deux cents francs un garçon, sans le denier à Dieu, sabots, blouse et un chapeau pour la première année. Une fille vingt-cinq écus. La petite Madelon les refuse de Jean Bedout, encore ne sait-elle boulanger ni traire.

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On voit dans nos campagnes des gens qui, ne gagnant rien, dépensent gros, étrangers, inconnus. L'un, marchand d'allumettes; l'autre, venu

pour vendre un cheval qui vaut vingt francs, s'établissent à l'auberge et mangent dix francs par jours. Ils font des connaissances, jouent et paient à boire les dimanches, les jours de fête ou d'assemblée. Ils parlent des Bourbons, de la guerre d'Espagne, causent et font causer. C'est leur état. Pour cela ils vont par les villages, non pour aucun négoce. On appelle ces gens, à la ville, des mouchards; à l'armée, des espions; à la cour, des agens secrets; aux champs, il n'ont point de nom encore, n'étant connus que depuis peu. Ils s'étendent, se répandent à mesure que la morale publique s'organise.

— M. le maire est le télégraphe de notre cominune; en le voyant on sait tous les événemens Lorsqu'il nous salue, c'est que l'armée de la Foi a reçu quelque échec; bonjour de lui veut dire unë défaite là-bas. Passe-t-il droit et fier? la bataille est gagnée; il marche sur Madrid, enfonce son chapeau pour entrer dans la ville capitale des Espagnes. Que demain on l'en chasse, il nous embrassera, touchera dans la main, amis comme devant. D'un jour à l'autre il change, et du soir au matin est affable ou brutal. Cela ne peut durer; on attend des nouvelles, et, selon la tournure que prendront les affaires, on élargira la prison ou les prisonnier's.

Pierre Moreau et sa femme sont morts âgés de vingt-cinq ans. Trop de travail les a tués, ainsi que beaucoup d'autres. On dit travailler comme

un nègre, comme un forçat; il faudrait : travailler comme un homme libre.

Milon fut quatre ans en prison pour son opi nion, au temps de 1815; sa femme cependant, et sa fille moururent : il en sortit ruiné; corrigé, non son opinion est la même qu'auparavant ou pire. Ce qu'il n'aimait pas, il l'abhorre à présent. Ils sont dans la commune dix mal pensans que le maire fit arrêter un jour, et qui souffrirent longtemps; en mémoire de quoi, tous les ans, le 2 mai, ils font ensemble un repas. On n'y boit point à la santé du maire ni du gouvernement. Le 2 mai, cette année, ils étaient chez Bourdon, à l'auberge du Cygne, et, leur banquet fini, déjà se levaient de table, quand le maire passant, Milon qui l'aperçut, le montre aux autres; chacun se mord le bout du doigt. Quelques momens après, soit hasard ou dessein, survint le garde champêtre. Milon, sans dire gare, tombe sur lui, le chasse à coups de pied, de poing, et le poursuit dehors, l'appelant espion, mouchard. Celui-là s'en allait mal mené du combat; arrive Métayer ou monsieur Métayer, car il a terre et vigne. Milon va droit à lui: Etes-vous royaliste? Oui, répond Métayer, L'autre, d'un revers de main, le jette contre la porte et voulait redoubler; mais l'hôte le rețint. Voilà une grosse affaire. Milon se cache et fait bien. Les battus cependant n'ont point porté de plainte; l'un garde son soufflet, l'autre ses horious. Le maire ne dit mot. Qu'en sera-t-il? on ne sait. Il faut voir

ce que fera notre armée en Espagne pour les révérends pères jésuites.

- Le curé d'Azai, jeune homme qui empêche de danser et de travailler le dimanche, est bien avec l'autorité, mais mal avec ses paroissiens. Il perd deux cents francs avec la commune, que le conseil assemblé lui retire cette année ; résolution hardie, presque séditieuse. Ceux qui l'ont proposée, soutenue et votée, pourront ne s'en pas bien trouver. A Véretz, au contraire, on donne un supplément au curé, qui laisse danser, brouillé avec l'autorité. Les deux communes pensent de même. Rien ne fait tant de tort aux prêtres que l'appui du gouvernement: rien ne les recommande comme la haine du gouvernement.

- Simon Gabelin, ne voulant point aller à l'armée, a vendu tout son bien pour acheter un homme et se fait remplacer. Il avait trois bons quartiers de vigne et un demi-arpent de terre joignant sa maison. Il a fait de tout dix-huit cents francs et emprunte le reste (car il lui faut cent louis), espérant regagner cela par son travail de maréchal ferrant. On a eu beau lui remontrer qu'il travaillerait à l'armée, gagnerait plus qu'ici et reviendrait un jour ayant, outre son bien, bonne somme de deniers; il ne veut point, dit-il, faire la guerre à Malmort. Malmort est en Espagne avec trois cent mille hommes, cent mille pièces de canon et son fils.

- A Amboise on plantait la croix dimanche passé, en grande pompe. Monseigneur y était,

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non pas notre archevêque, mais le coadjuteur, tous. les curés des environs et un concours de spectateurs. La fête fut helle. Dans cette foule; trois carabiniers se trouvaient en sale veste d'écurie, bonnet de police sur la tète. Un missionnaire les voit, leur crie: Bas le bonnet. Eux font la sourde oreille. Même cri; même contenance. Carabiniers ne s'émeuvent non plus que si on eût parlé à d'autres. Le prélat en colère arrête sa procession; le clergé, les dévots cessent leurs litanies. Le peuple regardait. Les gendarmes enfin, car toute scène en France finit par les gendarmes, empoignent mes. mutins, les mènent en prison. Ils gardèrent leur bonnet. Le soldat est du peuple et n'a point de dévotion.

Paul-Louis, sur les hauts de Véretz, fait des choses admirables. C'est le premier homme du monde pour terrasser un arpent de vigne. Il amène, d'un bois non fort voisin de là, cinq cents charges de gazon ou terre de bruyère. Il la laisse mûrir à l'air, de temps en temps la vire, la remue avec cent ou cent cinquante charges de fumier qu'il entremêle parmi. Puis, ouvrant une fosse entre deux rangs de ceps, il y place ce terreau; sa vigue, au bout de deux ans, jeune d'ailleurs, et n'ayant besoin que d'alimens, se trouve en pleine valeur. Ainsi amendé, un arpent, pourvu qu'on l'entretienne avec soin, diligence, patience, peine et travail, produit au vigneron cent cinquante francs par an, et de plus treize cents francs aux fainéans de la cour. Le compte en est aisé.

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