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pièce Émile, pour prêcher aux indifférens en matière de religion.

Quant à moi, ce n'est pas l'esprit, c'est la sottise qui me fait aller en prison. J'ai cru bonnement à la Charte; j'ai donné dans la Charte en plein; je le confesse à ma très-grande honte, et pourtant de plus fins y ont été pris comme moi. De ma vie, sans la Charte, je n'eusse imaginé de parler au public de ce qui l'intéresse. Robespierre, Barras et le grand Napoléon, depuis plus de vingt ans, m'avaient appris à me taire, Bonaparte surtout; ce héros ne trompait pas. Il ne nous baillait pas le lièvre par l'oreille, jamais ne nous leurra de la liberté de la presse ni d'aucune liberté. Un peu Turc dans sa manière, il mettait au bagne ce bon peuple, mais sans l'abuser le moins du monde, et ne nous cacha point sa royale pensée, qui fut toujours d'avoir en propre nos corps et nos biens seulement. Des âmes, il en faisait peu de cas. Ce n'est que depuis lui qu'on a compté les âmes. Voulant parler tout seul, il imposa silence à nous premièrement, puis à l'Europe entière; et le monde se tut: personne ne souffla, homme ne s'en plaignit; ayant cela de commode, qu'avec lui on savait du moins à quoi s'en tenir. J'aime cette façon, et j'ai tâté de l'autre. La Charte vint; on me dit: parlez, vous êtes libre, écrivez, imprimez; la liberté de la presse et toutes libertés vous sont garanties. Que craignezvous? Si les puissans se fàchent, vous avez le jury et la publicité, le droit de pétition, vos députés à

vous, élus, nommés par vous. Ils ne souffriraient pas que l'on vous fasse tort. Parlez un peu pour voir; dites-nous quelque chose. Moi, pauvre, qui ne connaissais pas le gouvernement provocateur, pensant que c'était tout de bon, j'ouvre la bouche et dis: Je voudrais, s'il vous plaisait, ne pas payer Chambord. Sur ce mot, on me prend ; on me met en prison. Sorti, je ne pus croire, tant j'étais de mon pays, qu'il n'y eût à cela quelque malentendu. Ils m'auront mal compris, me disais-je, assurément. Un peu de sens commun (chose rare!) eût suffi pour me tirer d'erreur: mais imbu de ma Charte et de mes garanties; persuadé qu'on m'écouterait sans mauvaise humeur, cette fois je hasarde une autre requête. Si c'était, dis-je, tenant mon chapeau à deux mains, si c'était votre bon plaisir de nous laisser danser devant notre logis le dimanche.... Gendarmes, qu'on le mène en prison; maximum de la peine, amende, etc. Du jury, point de nouvelles; droit de pétition, chansons; mes députés, ils sont à moi comme mon préfet à peu près. La publicité des jugemens, savez-vous, monsieur, ce que c'est ? mes ennemis pourront, s'ils le jugent à propos, imprimer ma défense dans des feuilles à eux, me faire dire cent sottises; à eux il est permis de déduire mes raisons comme ils veulent au public; à moi, à mes amis, défendu d'en dire mot, de réfuter, démentir en aucune façon les réponses absurdes et les impertinences qu'il leur aura plu m'attribuer. Voilà ce que je gagne à la publicité des débats judiciaires.

Heureux, cent fois heureux, ceux que Laubardemont faisait condamner à huis clos par ordre de son éminence! ils étaient opprimés, mais non déshonorés.

Ce langage est monarchique; de tels sentimens ne sont point du tout républicains, et si je me contente en pareille matière des formes usitées sous ce grand cardinal, je ne suis pas si Romain que vous l'imaginez. Sur quel fondement? je ne sais, et ne devine pas davantage ce qui vous a pu faire croire que je n'aimais ni le duc d'Orléans, ni aucun prince. Assurément rien n'est plus loin de la vérité. J'aime, au contraire, tous les princes, et tout le monde en général; et le duc d'Orléans particulièrement (voyez comme vous vous trompiez), parce qu'étant né prince, il daigne être honnête homme. Du moins, n'entends-je point dire qu'il attrape les gens. Nous n'avons, il est vrai, aucune affaire ensemble, ni pacte, ni contrat. Il ne m'a rien promis, rien juré devant Dieu; mais le cas avenant, je me fierais à lui, quoiqu'il m'en ait mal pris avec d'autres déjà. Si faut-il néanmoins se fier à quelqu'un. Lui et moi, nous n'aurions, m'est avis, nulle peine à nous accommoder, et l'accord fait, je pense qu'il le tiendrait sans fraude, sans chicane, sans noise, sans en délibérer avec de vieux voisins, gentilshommes et autres, qui ne me veulent point de bien, ni en consulter les jésuites. Voici ce qui me donne de lui cette opinion. Il est de notre temps, de ce siècle-ci, non de l'autre, ayant peu

vu, je crois, ce qu'on nomme ancien régime. Il a fait la guerre avec nous; d'où vient, dit-on, qu'il n'a pas peur des sous-officiers et depuis, émigré, malgré lui, jamais ne la fit contre nous, sachant trop ce qu'il devait à la terre natale, et qu'on ne peut avoir raison contre son pays. Il sait cela, et d'autres choses qui ne s'apprennent guè e dans le rang où il est. Son bonheur a voulu qu'il en ait pu descendre, et jeune, vivre comme nous. De prince, il s'est fait homme. En France, il combattait nos communs ennemis; hors de France, les sciences occupaient son loisir. De lui n'a pu se dire le mot : rien oublié, ni rien appris. Les étrangers l'ont vu s'instruire, et non mendier. Il n'a point prié Pitt, ni supplié Cobourg de ravager nos champs, de brûler nos villages, pour venger les châteaux; de retour, n'a point fondé des messes, des séminaires, ni doté des couvens à nos dépens; mais sage dans sa vie, dans ses mœurs, donné un exemple qui prêche mieux que les missionnaires. Bref, c'est un homme de bien. Je voudrais, quant à moi, que tous les princes lui ressemblassent; aucun d'eux n'y perdrait, et nous y gagnerions: ou je voudrais qu'il fût maire de la commune; j'entends, s'il se pouvait (hypothèse toute pure), sans déplacer personne; je hais les destitutions. Il ajusterait bien des choses, non-seulement par cette sagesse que Dieu a mise en lui, mais par une vertu non moins considérable et trop peu célébrée; c'est son économie, qualité si l'on veut bourgeoise, que la cour ab

horre dans un prince, qui n'est pas matière d'éloge académique, ni d'oraison funèbre, mais pour nous si précieuse, pour nous administrés, belle dans un maire, si.... comment dirai-je? divine, qu'avec celle-là, je le tiendrais quitte quasi de toutes les autres.

Lorsque j'en parle ainsi, ce n'est pas que je le connaisse plus que vous, ni peut-être autant, ne l'ayant même jamais vu. Je ne sais que ce qui se dit; mais le public n'est point sot, et peut juger les princes, car ils vivent en public. Ce n'est pas non plus que je veuille être son garde champêtre, au cas qu'il devienne maire. Je ne vaux rien pour cet emploi, ni pour quelque autre que ce soit: capable tout au plus de cultiver ma vigne, quand je ne suis pas en prison. J'y serais, je crois, moins souvent; mais, cela même n'étant pas sûr, je puis dire que tout changement dans la mairie et les adjoints, pour mon compte, m'est indifférent. Au reste, ce qu'on pense de lui généralement, vous l'avez pu voir ou savoir ces jours-ci, lorsqu'il parut au théâtre avec sa famille. On ne l'attendait pas; l'assemblée n'était point composée, préparée comme il se pratique pour les grands. C'était bien là le public, et il n'y avait rien que l'on pût soupçonner d'être arrangé d'avance. La police n'eut point de part aux marques d'affection qui lui furent données en cette occasion; ou, de fait elle était là, comme on peut le croire aisément, partout invisible et présente, ce n'était pas pour accueillir le duc d'Orléans. Il entra, on

si

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