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sir si on ne m'eût averti. C'est encore ici un des traits de l'esprit inventif de M. le maire; et je vous prie d'y faire attention, Messieurs.

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Au milieu du procès, dans la plus grande rage de ses persécutions, quand son garde-champêtre, ses cédules, ses huissiers, ne me donnaient point de relâche, tout d'un coup il feint de s'adoucir, d'avoir pitié de moi, de vouloir me laisser vivre : on m'apprend, de sa part, qu'il se contentera d'une légère satisfaction, que si je veux lui faire quelques excuses, toute poursuite contre moi cessera. Moi je me crus hors de l'enfer, au premier mot qui m'en fut dit je rendis grâces à Dieu, et promis de me trouver le dimanche suivant, après la messe chez M. le maire, pour lui faire toutes les excuses, toutes les soumissions qu'il voudrait. Le dimanche venu, j'arrive à l'heure dite ; je trouve à la mairie le conseil assemblé, beaucoup de gens et M. le maire, auque! je fis excuse (de quoi, grand Dieu!) le plus humblement que je sus, lui demandant pardon de l'avoir offensé, sans dire où ni comment, de peur de mentir, et promettant de ne le faire plus à l'avenir. Il paraissait content, tout allait le mieux du monde. Pour conclure, on ouvre devant moi le gros registre de la commune; on lit un long narré où je ne compris mot: on me dit de signer; j'allais signer, n'ayant soupçon de quoi que ce fût, quand quelqu'un me retint: Prends garde, me dit-il; tu vas signer que tu as insulté M. le maire, que tu l'as menacé, violemment menacé, tel jour, en tel lieu, à telle heure; tu vas

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signer...... que sais-tu encore? Ces mots me donnèrent à penser: je refusai, demandai à me consulter; et là-dessus M. le maire : Tu iras en prison. Je n'en‐ tendis pas le reste, car on me fit sortir; mes excuses sont restées sur le registre de la commune, et mes menaces et d'autres choses, non signées de moi, Dieu merci.

Voilà les finesses de M. de Beaune, dont je suis bien aise, Messieurs, que vous soyez avertis, afin de vous en garder, car il est homme à vous faire dire tout ce qu'il voudra. Si votre sentence ne lui agrée telle que vous l'aurez prononcée, il l'arrangera le lendemain, au prône de la paroisse; et quant aux signatures, vous pensez bien, Messieurs, qu'il nes'en fera faute, non plus que de celle du commisgreffier Bourrassé.

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Au reste, de même qu'il sait accommoder à son plaisir les sentences des tribunaux, il sait s'en passer, les prévenir. Remarquez bien ceci, Messieurs le jugement contre moi est di 5; j'en appelle le ro, et onze jours après, le 21, avant même que mon appel vous fût parvenu, M. de Beaune fait publier ma condamnation. Vous voilà bien surpris, Messieurs; vous pensiez que votre jugement pouvait faire quelque chose à l'affaire, mais songez-y, de grâce; M. de Beaune est maire, et M. de Beaune avait fait son procès-verbal. Or, jamais rien n'a résisté au procès-verbal de M. le maire, appuyé surtout comme il l'est d'une lettre du préfet. Votre sentence, après cela, n'est qu'une pure formalité, d'ailleurs assez indifférente, qu'il n'a pas cru de

voir attendre ou qu'il attendait, pour mieux dire, dans une parfaite assurance, n'ayant nul doute à cet égard.

Le cas que fait M. de Beaune de l'autorité judiciaire a mieux paru encore dans cette affaire-ci, quand les juges de Tours, pour quelque information, le firent appeler. La réponse fut simple: Il n'avait pas le temps. M. le maire n'a pas le temps. Voilà ce qu'il leur fit dire par son garde-champêtre, qui est l'homme du maire, comme le maire est l'homme du préfet. Quelle dignité dans ce peu de mots à un iribunal assemblé ! M. le maire n'a pas le temps. C'était comme s'il eût dit: M. le maire est à la chasse, ou, M. le maire est maintenant dans l'antichambre du préfet; M. le maire fait sa cour; il n'a pas le loisir de comparaître devant les tribunaux. Qu'un maire est grand dans son village! Tout s'empresse à lui plaire; tout tremble à sa parole. Il poursuit, il accable quiconque a le malheur d'attirer son courroux. Il le frappe de son procèsverbal; et si les juges lui demandent des explications, il répond qu'il n'a pas le temps. Après cela, Messieurs, devez-vous être surpris que M. le maire de Véretz n'ait pas attendu votre arrêt pour me déclarer condamné ? Il y a plutôt de quoi s'étonner qu'il n'ait pas commencé par me mettre en prison.

J'eusse aimé mieux cela que de m'entendre lire à l'église, au prône, ma sentence d'emprisonne ment, flétrissure nouvelle et inouïe, espèce de carcan inventé pour moi seul, esprès par M. le maire qui, de sa propre autorité, ajoute cette

peine à la peine portée contre moi. J'eusse mieux aimé qu'il doublât la durée de ma détention, et me tint, puisqu'il fait ainsi tout ce qu'il veut, six mois en prison au lieu d'un. Père de famille de soixante ans, me voir diffamé, moi présent, en pleine assemblée, devant tous mes amis, mes voisins, mes parens, tous les regards sur moi; me voir noté par le doigt du pasteur, quel affront! quelle honte ! J'eusse voulu être mort, et quand je sus que cet affront n'était qu'un plaisir de M. le maire, que les juges n'avaient pu l'ordonner, je ne vous dirai pas, Messieurs, ce qui me vint à l'esprit. J'ai soutenu les cruelles épreuves où m'a mis la haine de M. de Beaune, sans que, jusqu'à présent, grâces à Dieu, la prudence m'ait abandonné. Heureusement pour lui, les années m'ont fait sage; il le sait et compte là-dessus : veuille le ciel qu'il ne se trompe pas, et que ma patience dure autant que ses persécutions!

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Tous les gens de loi consultés déclarent cet acte du maire illégal et contraire, non-seulement aux lois, mais aux plus communes notions de police et d'administration, au bon sens. Voilà ce qu'en pensent les gens de loi généralement. Leur chef et le vôtre, Messieurs, dont l'autorité serait grande en cette matière, indépendamment de sa place, monseigneur le garde-des-sceaux, informé de ce fait, sur le simple récit, refusa de le croire, en disant: Cela est impossible ; et depuis, convaincu par des de la vérité de ce que preuves d'abord il jugeait impossible, il a dit : Cela est incroyable. J'ose

vous citer ces paroles et m'en prévaloir devant vous, parce que ces paroles sont mon bien, dans le malheur où je me trouve, et ont un grand poids, montrant mieux que je ne saurais faire, avec quelle audace M. de Beaune a foulé aux pieds toute justice, dans sa conduite à mon égard. Sa conduite, dans cette affaire, a été de tout point incroyable.

Passons sur le serment qui me coûte cinquante francs. Mais son refus d'autoriser la recherche des bois volés à M. Courier, que vous en semble, Messieurs? Un maire, la seule autorité à laquelle on puisse, loin des villes, recourir contre les voleurs, se faire ouvertement leur protecteur, le fauteur, le recéleur, en quelque sorte, d'un vol public et manifeste, d'une suite continuelle de vols, cela est-il croyable? y voyez-vous, Messieurs, la moindre vraisemblance? Puis, cette fantaisie de se dire insulté, quand je vais malgré moi (je ne le voulais pas, on m'y força) lui faire une réquisition légale, nécessaire, sur un objet pressant: cela encore se peut-il croire? et cette rage ensuite, cette gucrre acharnée, ce soin d'ameuter contre moi tout ce qui peut avoir ombre d'autorité dans le département, ce piége préparé d'une feinte douceur, pour me faire souscrire des aveux propres à me perdre; cette publication, cette amplification de jugement qui me condamne, cette signature du greffier, cet extrait prétendu conforme, tout cela, non, Messieurs, ne paraît pas possible, et n'est croyable que pour ceux qui en

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