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le mal rarement se fait en public. Aussi trouvaitil à merveille que le rendez-vous des jeunes filles et de leurs prétendus fût sur cette place, plutôt qu'ailleurs, plutôt qu'aux bosquets ou aux champs, quelque part loin des regards, comme il arrivera quand nos fètes seront tout-à-fait supprimées. Il n'avait garde de demander cette suppression, ni de mettre la danse au rang des péchés mortels, ou de recourir aux puissances pour troubler d'innocens plaisirs. Car, enfin, ces jeunes gens, disaitil, doivent se voir, se connaitre avant de s'épouser, et où se pourraient-ils jamais rencontrer plus convenablement que là, sous les yeux de leurs amis, de leurs parens et du public, souverain juge en fait de convenance et d'honnêteté ?

Ainsi raisonnait ce bon curé, regretté de tout le pays, homme de bien s'il en fût oncques, irréprochable dans ses mœurs et dans sa conduite, comme sont aussi, à vrai dire, les jeunes prêtres successeurs de ces anciens-là. Car il ne se peut voir rien de plus exemplaire que leur vie. Le clergé ne vit pas maintenant comme autrefois, mais il fait paraître en tout une régularité digne des temps apostoliques. Heureux effet de la pauvreté ! Heureux fruit de la persécution soufferte à cette grande époque où Dieu visita son Eglise. Ce n'est pas un des moindres biens qu'on doive à la révolution, de voir non-seulement les curés, ordre respectable de tout temps, mais les évêques avoir des mœurs.

Toutefois il est à craindre que de si excellens

exemples faits pour grandement contribuer au maintien de la religion, ne soient en pure perte pour elle, par l'imprudence des nouveaux prêtres qui la rendent peu aimable au peuple en la lui montrant ennemie de tout divertissement, triste, sombre, sévère, n'offrant de tous côtés que pénitence à faire et tourmens mérités, au lieu de prêcher sur des textes plus convenables à présent: Sachez que mon joug est léger, ou bien celui-ci Je suis doux et humble de cœur. On ramènerait ainsi des brebis égarées que trop de rigueur effarouche. Quelque grands que soient nos péchés, nous n'avons guère maintenant le temps de faire pénitence. Il faut semer et labourer. Nous ne saurions vivre en moines, en dévots de profession, dont toutes les pensées se tournent vers le ciel. Les règles faites pour eux, détachés de la terre, et comme du fumier regardant tout le monde, ne conviennent point à nous qui avons ici-bas et famille et chevance, comme dit le bon homme, et malheureusement tenons à toutes ces choses. Puis, que faisons-nous de mal, quand nous ne faisons pas bien, quand nous ne travaillons pas? Nos délassemens, nos jeux, les jours de fête, n'ont rien de blåmable en euxmêmes ni par aucune circonstance. Car ce qu'on allègue au sujet de la place d'Azai, pour nous empêcher d'y danser; cette place est devant l'église, dit-on; danser là, c'est danser devant Dieu, c'est l'offenser; et depuis quand? Nos pères y dansaient, plus dévots que nous, à ce qu'on nous dit. Nous y avons dansé après eux; le saint roi David dansa

devant l'arche, du Seigneur, et le Seigneur le trouva bon; il en fut aise, dit l'Ecriture; et nous, qui ne sommes saints ni rois, mais, honnêtes gens néanmoins, ne pourrons danser devant notre église, qui n'est pas l'arche, mais sa figure selon les sacrés interprètes, Ce que Dieu aime de ses saints, de nous l'offense; l'église d'Azai sera profanée du même acte qui sanctifia l'arche et le temple de Jérusalem ! Nos curés, jusqu'à ce jour, étaientils mécréans, hérétiques, impies, ou prêtres catholiques, aussi sages pour le moins que des sémi naristes? ils ont approuvé de tels plaisirs et pris part à nos amusemens, qui ne pouvaient scanda◄ liser que les élèves du picpus. Voilà quelques-unes des raisons que nous opposons au trop de zèle de nos jeunes réformateurs,

Partant, vous déciderez, Messieurs, s'il ne se rait pas convenable de nous rétablir dans le droit de danser comme auparavant sur la place d'Azai, les dimanches et les fêtes; puis vous pourrez examiner s'il est temps d'obéir aux moines et d'apprendre des oraisons, lorsqu'on nous couche en joue de près,à bout touchant, lorsqu'autour de nous toute l'Europe en armes fait l'exercice à feu, ses canons en batterie et la mèche allumée.

Véretz, 15 juillet 1822.

DU TRIBUNAL CIVIL,

A TOURS.

(1822.)

MESSIEURS,

Dans le procès que je soutiens contre Claude Bourgeau ( malgré moi, car j'ai tout tenté pour en sortir à l'amiable), ma cause est si claire et si simple, que sans le secours des gens de loi, je puis vous l'expliquer moi-même, quelque novice que je sois, comme bientôt vous l'allez voir, en toute sorte d'affaires.

Je vends à Bourgeau deux coupes de ma forêt de Larçai. Cette forêt, de temps immémorial, est divisée en vingt-cinq coupes, une desquelles s'abat tous les ans ; mais en 1816, j'en avais deux à vendre à cause que je n'avais point coupé l'année précédente. Bourgeau me les achète, et en exploitant la dernière, celle de 1816, il m'abat la moitié de la coupe suivante, que je ne lui avais point vendue, et qui ne devait l'être qu'en 1817. C'est de quoi Je me plains, Messieurs.

Bourgeau convient de tous ces faits, qu'il n'est pas possible de nier; et notez, je vous prie, que de sa part il ne saurait y avoir eu d'erreur, les limites de chaque coupe étant marquées sur le terrain de manière à ne s'y pouvoir méprendre. Aussi n'est-ce pas ce qu'il allègue pour se justifier. Il dit qu'ayant acheté de moi ces deux coupes pour trente arpens, il s'y en est trouvé cinq de moins, lesquels cinq arpens il a pris dans la coupe suivante, afin de compléter sa mesure.

Moi, je ne tombai pas d'accord sur ce défaut ́ de mesure, et puis je ne me croyais pas tenu de lui faire ses trente arpens, s'il y eût manqué quelque chose. C'étaient là deux points à débattre. Mais, comme vous voyez, il tranche la question. Ayant à compter avec moi, il règle le compte lui tout seul, et me jugeant son débiteur d'une valeur de cinq arpens, il me condamne, de son autorité privée, à lui fournir cette valeur en nature, non en argent; car il eût pu tout aussi bien me faire cette retenue sur le prix de la vente, prix qu'il avait entre les mains; mais non; mon bois lui convient mieux; il décide en conséquence, et sa sentence por, tée, il l'exécute lui-même. Je connais peu les lois; mais je doute qu'il y en ait qui autorisent ce procédé,

A vrai dire, il fait bien de se payer ainsi, et de me prendre du bois plutôt que de l'argent; car que m'aurait-il pu retenir sur le prix de la vente? A raison de 400 fr. l'arpent, comme il m'achetait ces deux coupes, cela lui eût fait, pour cinq ar pens, 2,000 fr. seulement; au lieu qu'en prenant

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