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C'est en vain que dans un discours travaillé avec un art digne d'une meilleure cause, on a cherché à vous faire illusion sur vos propres impressions, à déguiser sous l'éclat des ornemens oratoires la nullité de l'accusation. Que signifient, dans une accusation d'outrage à la morale publique, ces argumentations, ces insinuations artificieuses, ces inductions subtiles, ces déclamations éloquentes? Quoi ! la mora le publique est outragée, et il faut que le ministère public vous en fasse apercevoir! Quoi! la morale publique est outragée, et il faut que l'élégante indignation d'un orateur vienne vous avertir de vous indigner! Ah! la discussion du ministère public prouve du moins une chose, c'est que, puisqu'il est besoin de discuter pour établir l'outrage à la morale publique, il n'existe point d'outrage à la morale publique.

Toutefois, examinons cette discussion elle-même, et puisqu'on vous a parlé du caractère général de l'ouvrage et du caractère particulier des passages attaqués, suivons l'accusation dans la double carrière qu'elle s'est tracée.

Considéré dans son caractère général, l'écrit de M. Courier est, je ne crains pas d'en convenir, une critique de la souscription de Chambord. L'acquisition de ce domaine lui paraît une mauvaise affaire pour le prince, pour le pays, pour Chambord même.

Pour le prince: Ce n'est pas lui qui en profitera, ce seront les courtisans; ce sacrifice imposé aux communes, en son nom, affaiblira l'affection dont

il a besoin pour régner; enfin, le séjour de Chambord, plein de souvenirs funestes pour les mœurs, pourra corrompre sa jeunesse.

Pour le pays: La cour viendra l'habiter; les fortunes des habitans, leur innocence, pourront souffrir de ce dangereux voisinage.

Pour Chambord: Douze mille arpens de terre rendus à la culture, vaudraient mieux que douze mille arpens consacrés à un parc de luxe.

Certes, il serait difficile de trouver dans ces idées générales rien de contraire à la morale publique. La dernière est une vue d'économie politique, que je crois très-juste, et qui, dans tous les cas, n'a rien à démêler avec la morale; les deux premières sont, au contraire, conformes aux principes de la morale la plus pure.

En conséquence de ses réflexions, M. Courier blâme l'opération de Chambord; il la croit inspirée moins par l'amour du prince et de son auguste famille, que par la flatterie et par des vues d'intérêt personnel. A cette occasion, il s'élève, au nom de la morale, contre l'esprit d'adulation et contre la licence des cours.

Et ce qu'il y a de remarquable, c'est que les considérations présentées par M. Courier contre la souscription de Chambord se retrouvent, en grande partie, dans le rapport soumis à S. M. par le ministre de l'intérieur '.

M. Courier craint que ce présent ne soit plus

(1) Voir le Journal de Paris, du 31 décembre 1820.

onéreux que profitable au jeune prince. Le ministre avait dit « qu'on a exprimé le désir de là conservation de Chambord sans songer à ce qu'elle coûtera de réparations foncières et d'entretien, à toutes « les dépenses qu'exigeront son ameublement et son << habitation.

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M. Courier se demande si ce sont les communes qui ont conçu la pensée d'acheter Chambord pour le prince. « Non pas, répond-il, les nôtres, que je sache, de ce côté-ci de la Loire; mais celles-là peut-être qui ont logé deux fois les cosaques..... Là, naturellement, on s'occupe d'acheter des châ«teaux pour les princes, et puis on songe à refaire son toit et ses foyers. » Le ministre avait dit, presque dans les mêmes termes : « Les conseils, qui ont voté l'acquisition de Chambord, n'ont point été arrêtés « par les embarras de finances qu'éprouvent PRESQUE « TOUTES les communes, les unes épuisées par la suite « DES GUERRES, PAR L'INVASION ET LE Long séjour « DES ÉTRANGERS; les autres appauvries par les «fléaux du ciel, la grêle, les gelées, les inondations, les «< incendies; obligées la plupart de recourir à des impositions extraordinaires pour acquitter LES CHARGES « COURANTES DE LEURS DETTES. Dans d'autres cir«< constances, l'administration devrait examiner, « pour chaque commune, si les moyens répondent à « son zèle. »

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Nous allons, dit M. Courier, nous gêner et aug«menter nos dettes, pour lui donner (au prince) « une chose DONT IL N'A PAS BESOIN.>>

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ministre, de refuser, au nom de son auguste pupille, un présent dont il n'a pas BESOIN. Assez de • châteaux seront un jour à sa disposition, et ce sont les « Chambres qui auront à composer, au nom de la « nation, son apanage. »

M. Courier paraît craindre que les offrandes ne soient pas toujours suffisamment libres et spontanées. Le ministre avait conçu les mêmes craintes : « Le don du pauvre, avait-il dit, mérite d'être accueilli comme le tribut du riche; mais il ne faut pas « le demander. IL SERAIT A CRAINDRE qu'on ne vît une « sorte de CONTRAINTE dans une invitation solen« nelle venue de si haut, AU NOM D'UNE RÉUNION DE « PERSONNAGES IMPORTANS, qui s'occuperaient à « donner une si vive impulsion à tous les adminis« trés. Des dons, qui ne sont acceptables que parce « qu'ils sont spontanés, paraîtraient peut-être comman« dés par ·des considérations qui doivent être étrangères à des sentimens dont l'expression n'aura plus de « mérite, si elle n'est entièrement libre. »

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En critiquant l'acquisition de Chambord, M. Courier n'a donc rien dit qui ne soit permis, qui ne soit plausible, qui ne soit conforme aux observations du ministre lui-même.

N'importe il a voulu arréter l'élan généreux des Français; il a voulu s'opposer à l'allégresse publique.... Quoi donc, blâmer un témoignage d'allégresse inconvenant ou intéressé, est-ce blâmer l'allégresse elle-même. Parce qu'un nom sacré aura servi de voile à un acte imprudent ou blâmable, cet acte deviendra-t-il également sacré? Pour moi, s'il faut le

dire, je crois qu'il était beaucoup d'autres manières plus convenables d'honorer la naissance du duc de Bordeaux. Je ne parle point ici de ces bruits trop fâcheux qui se sont répandus sur l'origine de cette souscription et sur les moyens employés pour faire souscrire je ne veux ni les écouter, ni les répéter. Mais ces dons d'argent, de terres, de châteaux, adressés à l'héritier d'un trône, ces présens qu'on fait offrir au riche par le pauvre, par des communes épuisées, au neveu d'un roi de France, s'accordent mal dans mon esprit avec la délicatesse qui doit présider aux hommages rendus par des Français à leurs princes. Je ne puis, d'ailleurs, oublier que naguère on faisait offrir aussi, par les communes, des adresses, des chevaux, des soldats, à l'homme qui avait usurpé la liberté publique, et j'aurais désiré, je l'avoue, que l'héritier d'un pouvoir légitime fût honoré d'une autre manière que le ravisseur d'un pouvoir absolu.

Croyez-moi, messieurs, il est pour les princes des hommages plus délicats et plus purs, que l'adulation ne saurait contrefaire, et que la tyrannie ne saurait usurper. Ce sont ces pleurs d'allégresse qu'on verse à leur aspect, ces vœux d'un peuple accouru sur leur passage; ce sont les joies du pauvre, les actions de graces du laboureur, les bénédictions des mères de famille. Voilà les hommages que le peuple français rendait à Henri IV; voilà ceux que ses descendans vous demandent, et non ces tributs mendiés, qu'on ne refusa jamais à la puissance. Les princes français ne ressemblent point à ces despotes de

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