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compense des hommes qui font la gloire de leur pays!

Voilà l'écrivain immoral que l'on traduit devant vous! voilà le libelliste qu'on signale à votre indignation! Certes, il conviendrait que l'accusation y regardât à deux fois avant de s'attaquer à de tels hommes.

Par quelle inconcevable fatalité tout ce qu'il y a de plus honorable dans la littérature française, semble-t-il successivement appelé à siéger sur le banc des accusés? Tour à tour le spirituel rédacteur de la Correspondance administrative et l'ingénieux Ermite de la Chaussée-d'Antin, l'auteur des deux Gendres et l'auteur des Délateurs, ont porté sur ce banc leurs lauriers; les Bergasse et les Lacretelle leurs cheveux blancs, l'archevêque de Malines sa toge épiscopale, le peintre de Marius ses longues infortunes. La cour d'assises semble être devenue une succursale de l'Académie Française..... Messieurs, cette exubérance de poursuites, cette succession d'attaques, non pas contre d'obscurs pamphlétaires, mais contre les plus distingués de nos écrivains; cette guerre déclarée par le ministère public à la partie la plus éclairée de la nation française, révèle nécessairement une erreur fondamentale dans les doctrines de l'accusation. Lorsqu'en dépit des persécutions, des emprisonnemens, des amendes, les meilleurs esprits s'obstinent à comprendre la loi, à user de la loi dans un sens opposé au pouvoir qui les accuse, il est évident que ce pouvoir entend mal la loi, et

se fait illusion par un faux système. Cette erreur, involontaire sans doute, le ministère public nous saura gré de la lui signaler. Elle consiste à considérer comme coupable, non ce qui est qualifié délit par la loi, mais ce qui déplaît aux organes de l'accu-' sation; sans réfléchir que la liberté de la presse n'est pas la liberté de dire ce qui plait au pouvoir, mais ce qui peut lui déplaire. Une proposition nous blesse; nous commençons par poser en principe qu'il faut mettre l'auteur en jugement. Ensuite, comme, pour mettre un homme en jugement, il faut bien s'appuyer sur un texte de loi, nous cherchons dans la loi pénale quelque texte qui puisse, tant bien que mal, s'ajuster à l'écrit en question. Les uns sont trop précis ; il n'y a pas moyen d'en faire usage; d'autres sont rédigés d'une manière plus vague, et par conséquent plus élastique; on s'en empare, et c'est ainsi que, dans les procès de la presse, nous voyons revenir sans cesse ces accusations banales d'attaque contre l'autorité constitutionnelle du roi et des Chambres, de provocation à la désobéissance aux lois, d'outrages à la morale publique.

Voilà précisément ce qui est arrivé dans le procès de M. Courier. On ne l'accusait pas seulement, dans le principe, d'outrage à la morale publique : d'autres textes avaient été essayés; mais leur rédaction, trop précise, n'a pas permis de s'en servir; il a fallu les abandonner. L'outrage à la morale publique est resté seul, parce que le sens de ces termes, fixé, à la vérité, aux yeux des jurisconsultes, offre pourtant,

aux personnes qui n'ont point étudié la législation, une sorte de latitude et d'arbitraire dont l'accusation peut profiter.

Aussi, remarquez avec quel soin l'accusation a évité de définir la morale publique. En bonne logique, pourtant, c'est par cette définition qu'elle aurait dû commencer la première chose à faire, quand on signale un délit, c'est d'expliquer en quoi consiste ce délit : et c'est la première chose que l'accusation ait oubliée! Cela s'explique facilement : son intérêt est d'éluder les définitions, afin que le vague qui peut exister dans les termes de la loi favorise l'extension illimitée qu'elle cherche à leur donner. Nous, dont l'intérêt, au contraire, est de tout éclaircir, nous suivrons une marche opposée, et nous nous demanderons, avant d'entrer dans la discussion, ce que la loi entend par le délit d'outrage à la morale publique.

Pourquoi lisons-nous dans la loi ces mots : outrage à la morale PUBLIQUE? Pourquoi le législateur n'a-t-il pas dit simplement : les outrages à la morale ? Que signifie cette épithète (publique) qu'il a cru devoir ajouter ?

Messieurs, il faut le reconnaître : ces expressions sont un avertissement donné par le législateur aux fonctionnaires chargés de poursuivre les délits ; un avertissement de ne point intenter d'accusations téméraires, de ne point faire du Code pénal le vengeur de leurs doctrines personnelles, de ne point voir une infraction dans ce qui pourrait contrarier leurs opinions particulières. La morale du législateur n'est

point la morale d'un homme, d'une secte, d'une école c'est cette morale absolue, universelle, immuable, contemporaine de la société elle-même, toujours constante au milieu des vicissitudes sociales, émanée de la Divinité, et supérieure à toutes les opinions humaines; qui n'est point de réflexion, mais de sentiment; point de raisonnement, mais d'inspiration; qu'on ne trouve point autre à Paris, autre à Philadelphie. C'est cette morale qui sanctionne la foi des engagemens, consacre la couche conjugale, unit par un lien sacré les pères et les enfans; c'est elle qui flétrit le mensonge, le larcin, le meurtre, l'impudicité : c'est celle-là seule qui prend le nom de morale publique, parce que, fondée sur l'assentiment de tous les hommes, elle a son témoignage, sa garantie, dans la conscience publique.

Quel est donc l'écrivain qui outrage la morale publique? C'est celui qui ose mentir à l'honnêteté naturelle, à la conscience universelle; celui dont le langage soulève dans tous les cœurs le mépris et l'indignation. N'allez point chercher ailleurs les caractères d'un tel délit. Ici, toute argumentation est vaine le cri de la conscience outragée, voilà le témoignage que l'accusation doit invoquer; c'est la voix du genre humain qui doit prononcer la condamnation.

Si l'écrit qui vous est déféré outrageait en effet la morale publique, vous n'eussiez point supporté de sang-froid la lecture des passages inculpés. Vos murmures auraient à l'instant même révélé votre horreur et votre indignation; un cri de réprobation

se serait élevé parmi vous; vos regards se seraient détournés avec dégoût de l'auteur immoral, et votre conscience n'aurait pas attendu, pour se soulever, les syllogismes d'un orateur.

Est-ce là, j'ose vous le demander, l'impression qu'a produite sur vos esprits la lecture de l'ouvrage? Avez-vous ressenti du dégoût, de l'indignation? De l'horreur excitée par l'écrit, avez-vous passé au mépris pour l'auteur? Non, je ne crains pas de le proclamer devant vous-mêmes; non, telle n'est point l'impression que vous avez éprouvée. Je pose en fait qu'il n'est point dans cette enceinte un seul homme, je n'en excepte pas même l'orateur de l'accusation, qui, au sortir de cette audience, refusât de se trou ver dans le même salon avec l'écrivain qu'on accuse; qui n'y conduisît ses enfans; qui ne s'honorât d'une telle société. Condamnez maintenant l'écrivain immoral et scandaleux !

Non, ce n'est pas contre des écrits tels que celui qui nous occupe qu'est dirigée la sévérité des lois. Les lois ont voulu frapper ces auteurs infames qui se jouent de ce qu'il y a de plus sacré, et dont les pages révoltantes font frémir à la fois la pudeur et la nature. C'est contre ces écrits monstrueux que le législateur s'est armé d'une juste rigueur; c'est contre eux qu'il a voulu donner des garanties à la société; et qu'il me soit permis de m'étonner que ses intentions aient pu être méconnues au point de traduire un père de famille estimable, un écrivain distingué, un citoyen honorable, sur le banc préparé pour les de Sade et pour les Arétin.

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