in dans sa chaise de poste, avec madame sa femme, sulta sur la place toute la garnison qu'il trouva sous les armes, et particulièrement l'école d'équitation. Cela ne me surprend point; il a l'air ferrailleur, surtout en bonnet de nuit; car c'était le matin. Douze officiers se détachent, tous gentilshommes de nom, marchent à Benjamin, voulant se battre avec lui; l'arrêtent, et d'abord, en gens déterminés, mettent l'épée à la main. L'autre mit ses lunettes pour voir ce que c'était. Ils lui demandaient raison. Je vois bien, leur dit-il, que c'est ce qui vous manque. Vous en avez besoin; mais je n'y puis que faire. Je vous recommanderai au bon docteur Pinel qui est de mes amis. Sur ces entrefaites arrive l'autorité, en grand costume, en écharpe, en habit brodé, qui intime l'ordre à Benjamin de vider le pays, de quitter sans délai une ville où sa présence mettait le trouble. Mais lui c'est moi, dit-il, qu'on trouble. Je ne trouble personne, et je m'en irai, messieurs, quand bon me semblera. Tandis qu'il contestait, refusant également de partir et de se battre, la garde nationale s'arme, vient sur le lieu, sans en être requise et proprio motu. On s'aborde, on se choque, on fait feu de part et d'autre. L'affaire a été chaude. Les gentilshommes seuls en ont eu l'honneur. Les officiers de fortune et les bas officiers ont refusé de donner, ayant peu d'envie, disaient-ils, de combattre avec la noblesse, et peu de chose à espérer d'elle. Voilà un des récits. Mais notez en passant que les bas officiers n'aiment point la noblesse. C'est une étrange chose; car enfin la noblesse ne leur dispute rien; pas un gentilhomme ne prétend être caporal ou sergent. La noblesse, au contraire, veut assurer ces places à ceux qui les occupent, fait tout ce qu'elle peut pour que les bas officiers ne cessent jamais de l'être et meurent bas officiers, comme jadis au bon temps. Eh bien ! avec tout cela, ils ne sont pas contens. Bref, les bas officiers, ou ceux qui l'ont été, qu'on appelle à présent officiers de fortune, s'accommodent. mal avec les officiers de naissance, et ce n'est pas d'aujourd'hui. De fait il m'en souvient; ce furent les bas officiers qui firent la révolution autrefois. Voilà pourquoi peut-être ils n'aiment point du tout ceux qui la veulent défaire, et ceci rend vraisemblable le dialogue suivant, qu'on donne pour authentique, entre un noble lieutenant de la garnison de Saumur et son sergent-major. - Prends ton briquet, Francisque, et allons assommer ce Benjamin Constant. Allons, mon lieutenant. Mais qui est ce Benjamin? - C'est un coquin, un homme de la révolution.- Allons, mon lieutenant, courons vite l'assommer. C'est donc un de ces gens qui disent que tout allait mal du temps de mon grand-père?— Oui. Oh le mauvais homme! et je gage qu'il dit que tout va mieux maintenant? Oui.- Oh le scélérat! Dites-moi, mon lieutenant; on va donc rétablir tout ce qui était jadis? — Assurément, mon cher. - Et ce Benjamin ne veut pas ? Non, le coquin ne veut pas. - Et il veut qu'on maintienne ce qui est à présent? —Justement. Quel -- maraud! Dites-moi, mon lieutenant; ce bon tempsla, c'était le temps des coups de bâton, de la schlague pour les soldats? - Que sais - je, moi? - C'était le temps des coups de plat de sabre? - Que veux-tu - Je n'y que je te dise? ma foi, je n'y étais pas. étais pas non plus; mais j'en ai oui parler; et, s'il vous plaît, il dit, ce monsieur Benjamin, que tout cela n'était pas bien? Oui. C'est un drôle qui n'aime que sa révolution; il blâme généralement tout ce qui se faisait alors. Alors, mon lieutenant, nous autres sergens, pouvions - nous devenir officiers?—Non certes, dans ce temps-là. — Mais la révolution changea cela, je crois, nous fit des officiers, ôta les coups de bâton? Peut-être; mais qu'importe? Et ce Benjamin-là, dites-vous, mon lieutenant, approuve la révolution, ne veut pas qu'on remette les choses comme elles étaient ?— Que de discours! marchons. Allez, mon lieutenant; allez en m'attendant. -- Ah! coquin, je te devine. Tu penses comme Benjamin; tu aimes la révolution.— Je hais les coups de bâton. — Tu as tort, mon ami; tu ne sais pas ce que c'est. Ils ne déshonorent point quand on les reçoit d'un chef ou bien d'un camarade. Que moi, ton lieutenant, je te donne la bastonnade, tu la donnes aux soldats en qualité de sergent; aucun de nous, je t'assure, ne serait déshonoré. Fort bien. Mais, mon lieutenant, qui vous la donnerait? —A moi? personne, j'espère. Je suis gentilhomme. — Je suis homme. — Tu es un sot, mon cher. C'était comme cela jadis. Tout allait bien. L'ancien régime vaut mieux que la révolution. — - - Pour vous, mon lieutenant. Puis, c'est la discipline des puissances étrangères: Anglais, Suisses, Allemands, Russes, Prussiens, Polonais, tous bâtonnent le soldat. Ce sont nos bons amis, nos fidèles alliés; il faut faire comme eux. Les cabinets se fàcheront, si nous voulons toujours vivre et nous gouverner à notre fantaisie. Martin bàton commande les troupes de la Sainte-Alliance. - Ma foi, mon lieutenant, je n'ai pas grande envie de servir sous ce général; et puis, je vous l'avoue, j'aime l'avancement. Je voudrais devenir, s'il y avait moyen, maréchal. — Oui, j'entends, maréchal des logis dans la cavalerie. — Non, ce n'est pas cela. — Quoi ? maréchal ferrant? Non. Propos séditieux. Tu te gâtes, Francisque. Qui diable te met donc ces idées dans la tête ? tu ne sais ce que tu dis. Tu rêves, mon ami; ou bien tu n'entends pas la distinction des classes. Moi, noble, ton lieutenant, je suis de la haute classe. Toi, fils de mon fermier, tu es de la basse classe. Comprends-tu maintenant? Or, il faut que chacun demeure dans sa classe; autrement ce serait un désordre, une cohue; ce serait la révolution. - Pardon, mon lieutenant; répondez-moi, je vous prie. Vous voulez, j'imagine, devenir capitaine. -Oui. Colonel ensuite? — Assurément. - Et puis général. — A mon tour. - Puis maréchal de France? - Pourquoi non? Je peux bien l'espérer comme un autre. Et moi, je reste sergent? — Quoi? ce n'est pas assez pour un homme de ta sorte, né rustre, fils d'un rustre. Souviens-toi donc, mon cher, que ton père est paysan. Tu voudrais me commander peut - être? - Mon lieutenant, le maréchal duc de....... qui nous passe en revue, est fils d'un paysan? — On le dit. Il vous commande. -Eh! vraiment c'est le mal. Voilà le désordre qu'a produit la révolution. Mais on y remédiera, et bientôt, j'en suis sûr, mon oncle me l'a dit, on arrangera cela en dépit de Benjamin, qui sera pendu le premier, si nous ne l'assommons tout-à-l'heure. Viens, Francisque, mon ami, mon frère de lait, mon camarade; viens, sabrons tous ces vilains avec leur Benjamin. Il n'y a point de danger; tu sais bien qu'à Paris ils se sont laissé faire. Allez, mon lieutenant, mon camarade; allez devant et m'attendez. Francisque écoute-moi. Si tu te conduis bien, que tu sabres ces vilains, quand je te le commanderai, si je suis content de toi, j'écrirai à mon père qu'il te fasse laquais, garde chasse ou portier. Allez, mon lieutenant. -Oh! le mauvais sujet. Va, tu en mangeras, prison; je te le promets. - de la D'autres content autrement. L'arrivée de Benjamin, annoncée à Saumur, fit plaisir aux jeunes gens, qui voulurent le fêter : non que Benjamin soit jeune, mais ils disent que ses idées sont de ce siècleci, et leur conviennent fort. La jeunesse ne vaut rien nulle part, comme vous savez; à Saumur elle est pire qu'ailleurs. Ils sortent au-devant du député de gauche, et vont à sa rencontre avec musique, violons, flûtes, fifres, haut-bois. Les gentilshommes de la garnison, qui ne veulent entendre parler ni du siècle ni de ses idées, trouvèrent celle-là très-mauvaise; et, résolus de troubler la fête, attaquent les |