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Bientôt des philosophes, suscités par Satan pour le renversement d'un si bel ordre de choses, avec certains mouvemens de la langue et des lèvres, articulèrent des sons, prononcèrent des syllabes. Où étais-tu, Séguier? Si on eût réprimé dès le commencement ces coupables excès de l'esprit anar- | chique, et mis au secret le premier qui s'avisa de dire ba be bi bo bu, le monde était sauvé; l'autel sur le trône, ou le trône sur l'autel, avec le tabernacle affermis pour jamais, en aucun temps il n'y eût eu de révolutions. Les pensions, les traitemens, augmenteraient chaque année. La religion, les mœurs... Ah! que tout irait bien! Nymphes de l'Opéra, vous auriez part encore à la mense abbatiale et au revenu des pauvres. Mais fait-on jamais rien à temps? Faute de mesures préventives, il arriva que les hommes parlèrent, et tout aussitôt commencèrent à médire de l'autorité qui ne le trouva pas bon, se prétendit outragée, avilie, fit des lois contre les abus de la parole; la liberté de la parole fut suspendue pour trois mille ans, et, en vertu de cette ordonnance, tout esclave qui ouvrait la bouche pour crier sous les coups ou demander c pain, était crucifié, empalé, étranglé, au grand contentement de tous les honnêtes gens. Les choses n'allaient point mal ainsi, et le gouvernement était considéré.

Mais, quand un Phénicien (ce fut, je m'imagine, quelque manufacturier, sans titre, sans naissance) eut enseigné aux hommes à peindre la parole, et fixer par des traits cette voix fugitive, alors commencèrent les inquiétudes vagues de ceux qui se

lassaient de travailler pour autrui,et en même temps le dévouement monarchique de ceux qui voulaient à toute force qu'on travaillât pour eux. Les premiers mots tracés furent liberté, loi, droit, équité, raison; et dès lors on vit bien que cet art ingénieux tendait directement à rogner les pensions et les appointemens. De cette époque datent les soucis des gens en place, des courtisans.

Ce fut bien pis, quand l'homme de Mayence (aussi peu noble, je le crois, que celui de Sidon) a son tour eut imaginé de serrer entre deux ais la feuille qu'un autre fit de chiffons réduits en pâte; tant le démon est habile à tirer parti de tout pour la perte des ames! L'Allemand, , par tel moyen, multipliant ces traits de figures tracées qu'ayait inventés le Phénicien, multiplia d'autant les maux que fait la pensée. O terrible influence de cette race qui ne sert ni Dieu ni le roi, adonnée aux sciences mondaines, aux viles professions mécaniques! engeance pernicieuse, que ne ferait-elle pas si on la laissait faire, abandonnée sans frein à ce fatal esprit de connaître, d'inventer et de perfectionner! Un ouvrier, un misérable ignoré dans son atelier, de quelques guenilles fait une colle, et, de cette colle, du papier qu'un autre rêve de gaufrer avec un peu de noir; et voilà le monde bouleversé, les vieilles monarchies ébranlées, les canonicats en péril. Diabolique industrie! rage de travailler, au lieu de chômer les saints et de faire pénitence! il n'y a de bons que les moines, comme dit M. de Coussergue, la noblesse présentée, et messieurs les laquaís. Tout le reste est

perverti, tout le reste raisonne, ou bien raisonnera. Les petits enfans savent que deux et deux font quatre. O tempora! ó mores! O M. Clauzel de Coussergue, ô Marcassus de Marcellus!

Tant il y a qu'il n'y a plus qu'un moyen de gouverner, surtout depuis qu'un autre émissaire de l'enfer a trouvé cette autre invention de distribuer chaque matin à vingt ou trente mille abonnés une feuille où se lit tout ce que le monde dit et pense, et les projets des gouvernans et les craintes des gouvernés. Si cet abus continuait, que pourrait entreprendre la cour, qui ne fût contrôlé d'avance, examiné, jugé, critiqué, apprécié? Le public se mêlerait de tout, voudrait fourrer dans tout son petit intérêt, compterait avec la trésorerie, surveillerait la haute police, et se moquerait de la diplomatie. La nation enfin ferait marcher le gouvernement, comme un cocher qu'on paie, et qui doit nous mener, non où il veut, ni comme il veut, mais où nous prétendons aller, et par le chemin qui nous convient; chose horrible à penser, contraire au droit divin et aux capitulaires.

Mais, comme si c'était peu de toutes ces machinations contre les bonnes mœurs, la grande propriété et les priviléges des hautes classes, voici bien autre chose. On mande de Berlin que le docteur Kirkausen, fameux mathématicien, a depuis peu imaginé de nouveaux caractères, une nouvelle presse maniable, légère, mobile, portative, à mettre dans la poche, expéditive surtout, et dont l'usage est tel, qu'on écrit comme on parle, aussi vite, aisé

ment : c'est une tachitypie. On peut, dans un salon, sans que personne s'en doute, imprimer tout ce qui se dit, et, sur le lieu même, tirer à mille exemplaires toute la conversation, à mesure que les acteurs parlent. La plume, de cette façon, ne servira presque plus, va devenir inutile. Une femme, dans son ménage, au lieu d'écrire le compte de son linge à laver, ou le journal de sa dépense, l'imprimera, dit-on, pour avoir plus tôt fait. Je vous laisse à penser, monsieur, quel déluge va nous inonder, et ce que pourra la censure contre un pareil débordement. Mais on ajoute, et c'est le pis pour quiconque pense bien ou touche un traitement, que la combinaison de ces nouveaux caractères est si simple, si claire, si facile à concevoir, que l'homme le plus grossier apprend en une leçon à lire et à écrire. Le docteur en a fait publiquement l'expérience avec un succès effrayant; et un paysan qui, la veille, savait à peine compter ses doigts, après une instruction de huit à dix minutes, a composé et distribué aux assistans un petit discours, fort bien tourné, en bon allemand, commençant par ces mols: Despotés ho nomos; c'est-à-dire, comme on me l'a traduit: la loi doit gouverner. Où en sommesnous, grand Dieu! qu'allons-nous devenir! Heureusement l'autorité avertie a pris des mesures pour la sûreté de l'État : les ordres sont donnés; toute la police de l'Allemagne est à la poursuite du docteur, avec un prix de cent mille florins à qui le livrera mort ou vif, et l'on attend à chaque moment la nouvelle de son arrestation. La chose n'est pas de

Bientôt des philosophes, suscités par Satan pour le renversement d'un si bei ordre de choses, avec certains mouvemens de la langue et des lèvres, articulèrent des sons, prononcèrent des syllabes. Où étais-tu, Séguier? Si on eût réprimé dès le commencement ces coupables excès de l'esprit anarchique, et mis au secret le premier qui s'avisa de dire ba be bi bo bu, le monde était sauvé ; l'autel sur le trône, ou le trône sur l'autel, avec le tabernacle affermis pour jamais, en aucun temps il n'y eût eu de révolutions. Les pensions, les traitemens, augmenteraient chaque année. La religion, les mœurs...... Ah! que tout irait bien! Nymphes de l'Opéra, vous auriez part encore à la mense abbatiale et au revenu des pauvres. Mais fait-on jamais rien à temps? Faute de mesures préventives, il arriva que les hommes parlèrent, et tout aussitôt commencèrent à médire de l'autorité qui ne le trouva pas bon, se prétendit outragée, avilie, fit des lois contre les abus de la parole; la liberté de la parole fut suspendue pour trois mille ans, et, en vertu de cette ordonnance, tout esclave qui ouvrait la bouche pour crier sous les coups ou demander c'♦ pain, était crucifié, empalé, étranglé, au grand contentement de tous les honnêtes gens. Les choses n'allaient point mal ainsi, et le gouvernement était considéré.

Mais, quand un Phénicien (ce fut, je m'imagine, quelque manufacturier, sans titre, sans naissance) eut enseigné aux hommes à peindre la parole, et fixer par des traits cette voix fugitive, alors commencèrent les inquiétudes vagues de ceux qui se

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