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vu ni prévôts ni archers, avant ceux qui vinrent, l'an passé, pour apprendre à vivre à Fouquet. Là, on ignore jusqu'aux noms de factions et de partis; on cultive ses champs; on ne se mêle d'autre chose. Les haines qu'a semées partout la révolution n'ont point germé chez nous, où la révolution n'avait fait ni victimes, ni fortunes nouvelles. Nous pratiquons surtout le précepte divin d'obéir aux puissances; mais, avertis tard des changemens, de peur de ne pas crier à propos: Vive le roi! vive la Ligue! nous ne crions rien du tout, et cette politique nous avait réussi, jusqu'au jour où Fouquet passa devant le mort sans ôter son chapeau. A présent même, je m'étonne qu'on ait pris ce prétexte de cris séditieux pour nous persécuter: tout autre eût été plus plausible; et je trouve qu'on eût aussi bien fait de nous brûler comme entachés de l'hérésie de nos ancêtres, que de nous déporter ou nous emprisonner comme séditieux.

Toutefois vous voyez que Luynes n'est point, messieurs, comme vous l'auriez pu croire, un centre de rébellion, un de ces repaires qu'on livre à la vengeance publique, mais le lieu le plus tranquille de la plus soumise province qui soit dans tout le royaume. Il était tel du moins, avant qu'on y eût allumé, par de criantes iniquités, des ressentimens et des haines qui ne s'éteindront de long-temps. Car, je dois vous le dire, messieurs, ce pays n'est plus ce qu'il était; s'il fut calme pendant des siècles, il ne l'est plus maintenant. La terreur à présent y règne et ne cessera que pour faire place à la vengeance.

Le feu mis à la maison du maire, il y a quelques mois, vous prouve à quel degré la rage était alors montée; elle est augmentée depuis, et cela chez des gens qui, jusqu'à ce moment, n'avaient montré que douceur, patience, soumission à tout régime supportable. L'injustice les a révoltés. Réduits au désespoir par ces magistrats mêmes, leurs naturels appuis, opprimés au nom des lois qui doivent les protéger, ils ne connaissent plus de frein, parce que ceux qui les gouvernent n'ont point connu de mesure. Si le devoir des législateurs est de prévenir les crimes, hâtez-vous, messieurs, de mettre un terme à ces dissensions. Il faut que votre sagesse et la bonté du roi rendent à ce malheureux pays le calme qu'il a perdu.

Paris, le 10 décembre 1816.

LETTRES

AU RÉDACTEUR DU CENSEUR.

(1819-1820.)

LETTRE PREMIERE.

Véretz, le 10 juillet 1819.

Vous vous trompez, monsieur, vous avez tort de croire que mon placet imprimé (1), dont vous faites mention dans une de vos feuilles, n'a produit nul effet. Ma plainte est écoutée. Sans doute, comme vous le dites, il est fàcheux pour moi que l'ionocence de ma vie ne puisse assurer mon 'repos; mais c'est la faute des lois, nou celle des ministres. Ils ont écrit à leurs agens comme je le pouvais désirer, et plût à Dieu qu'ils eussent écrit de même aux juges, quand j'avais des procès, et à l'Académie, quand j'étais candidat. Cela m'eût mieux valu que tous les droits du monde, pour avoir le fauteuil et pour garder mon bien. Il faut en convenir, de trois

(1) Le placet aux ministres. Voyez tome II.

sortes de gens auxquels j'ai eu affaire depuis un certain temps, savans, juges, ministres, je n'ai pu vraiment faire entendre raison qu'à ceux-ci. J'ai trouvé les ministres incomparablement plus amis des belles-lettres que l'académie de ce nom, et plus justes que la justice. Ceci soit dit sans déroger à mes principes d'opposition.

Vous nous plaignez beaucoup, nous autres paysans, et vous avez raison, en ce sens que notre sort pourrait être meilleur. Nous dépendons d'un maire et d'un garde-champêtre qui se fâchent aisément. L'amende et la prison ne sont pas des bagatel!es. Mais songez donc, monsieur, qu'autrefois on nous tuait pour cinq sous parisis. C'était la loi. Tout noble ayant tué un vilain devait jeter cinq sous sur la fosse du mort. Mais les lois libérales ne s'exécutent guère, et la plupart du temps on nous tuait pour rien. Maintenant il en coûte à un maire sept sous et demi de papier marqué pour seulement mettre en prison l'homme qui travaille, et les juges s'en mêlent. On prend des conclusions, puis on rend un arrêté conforme au bon plaisir du maire et du préfet. Vous parait-il, monsieur, que nous ayons peu gagné en cinq ou six cents ans? Nous étions la gent corvéable, taillable et tuable à volonté; nous ne sommes plus qu'incarcérables. Est-ce assez, direzvous? Patience; laissez faire; encore cinq ou six siècles, et nous parlerons au maire tout comme vous parle; nous pourrons lui demander de l'argent s'il nous en "doit, et nous plaindre, s'il nous en prend, sans encourir peine de prison.

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Toutes choses ont leurs progrès. Du temps de Montaigne, un vilain, son seigneur le voulant tuer, s'avisa de se défendre. Chacun en fut surpris, et le seigneur surtout, qui ne s'y attendait pas, et Montaigne qui le raconte. Ce manaut devinait les droits de l'homme. Il fut pendu, cela devait être. Il ne faut pas devancer son siècle.

Sous Louis XIV, on découvrit qu'un paysan était un homme, ou plutôt cette découverte, faite depuis long-temps dans les cloitres par de jeunes religieuses, alors seulement se répandit, et d'abord parut une rêverie de ces bonnes sœurs, comme nous l'apprend Labruyère. Pour des filles cloitrées, dit-il, un paysan est un homme. Il témoigne là-dessus combien cette opinion lui semble étrange. Elle est commune maintenant, et bien des gens pensent sur ce point tout comme les religieuses, sans en avoir les mêmes raisons. On tient assez généralement que les paysans sont des hommes. De là à les traiter comme tels, il y a loin encore. Il se passera longtemps avant qu'on s'accoutume, dans la plupart de nos provinces, à voir un paysan vêtu, semer et recueillir pour lui; à voir un homme de bien posséder quelque chose. Ces nouveautés choquent furieusement les propriétaires; j'entends ceux qui pour le devenir n'ont eu que la peine de naître. 、

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