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de lui être utile, il crut pouvoir profiter de dispositions si rares de la part d'un ministre, au moins pour obtenir dans son village repos du côté des autorités et satisfaction de ceux qui volaient impunément ses bois. Il parut dans les salons ministériels du temps, et cela suffit pour faire changer de conduite à son égard le préfet du département, et tout ce qui dépendait du préfet. C'était là tout ce qu'il voulait; il remercia, salua et ne reparut plus.

La lettre A Messieurs de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, donnée en 1820, coupa court aux petites attentions ministérielles, dont Courier avait continué d'être l'objet depuis la pétition de Luynes. Ses amis avaient tous blâmé l'âpreté de ce nouvel écrit. Lui s'étonnait qu'on pût y voir autre chose que ce que tout le monde pensait des académies et de certains académiciens. On sait l'histoire de cette lettre. Courier s'était présenté pour suc céder, à l'Académie des Inscriptions, à Clavier, son beaupère; à l'en croire, il avait parole du plus grand nombre des académiciens et, cependant, au jour de l'élection, il avait été unanimement rejeté. Il s'en fàcha et fit la lettre. On remarqua que, puisqu'il avait trouvé la place de Clavier assez honorable pour la vouloir occuper après lui, il s'était fustigé lui-même sur cette prétention en voulant humilier le corps entier des académiciens; qu'il était ridi- cule à lui d'avoir frappé à la porte d'une académie, uņiquement fondée, d'après son dire actuel « pour composer « des devises aux tapisseries du roi et, en un besoin, aux « bonbons de la reine. » Mais si Courier s'était trompé sur la moralité ou la convenance du procédé, il en fut puni dans le temps par l'endroit le plus sensible à un auteur. Ce qu'on appelait la méchanceté et la vanité blessée de

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l'académicien aspirant, ferma beaucoup d'yeux sur l'art infini avec lequel était composé ce petit écrit. « Nulle part Courier n'a répandu avec plus de bonheur les traits « d'une satire à la fois bouffonne et sérieuse, qui excite le rire en même temps qu'elle soulève l'indignation et le mépris, telle qu'on l'admire dans les immortelles Pro<< vinciales. » C'est le jugement émis par Courier lui-même dans une courte notice sur sa personne et sur ses écrits qui n'a point été publiée sous son nom, mais dans laquelle il est impossible de le méconnaître, et dont il serait ridicule de rougir ici pour lui1. S'il était possible de prendre ainsi sur le fait tous ceux qui dans les biographies et dans les journaux se sont chargés de parler d'eux-mêmes, et l'ont fait avec quelque avantage pour leur réputation, l'histoire littéraire de ce temps aurait à recueillir nombre de plaisantes confidences d'amour-propre : tel n'est point le caractère de la petite notice dont il est question ici. Courier n'y a point changé sa manière si connue; il n'a probablement ni espéré ni désiré qu'on s'y trompât; et sans précautions oratoires, sans ambages, sans grimaces de fausse modestie, il a dit de chacun de ses écrits, bonnement, franchement, avec la plus naïve conviction, ce qu'il en pensait. Ce trait peint bien moins les mœurs littéraires de l'époque qu'il ne peint Courier lui-même. Le curieux n'est point en effet à ce qu'il se soit loué de sa propre plume comme tant d'autres, mais au peu de façon

(1) L'opinion de madame Courier et de quelques personnes qui ont connu très-particulièrement Courier, est que cette notice n'est point de lui. L'auteur de cet Essai a cru pouvoir, malgré des autorités si respectables, persister dans l'assertion 'il a émise ici.

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et de déguisement avec lequel il s'est rendu ce petit témoignage d'une bonne conscience.

Après tout, qu'on ne s'y trompe pas, ces éloges sont littérairement parlant l'exacte mesure de l'homme, telle qu'on serait charmé de l'avoir de Corneille, de La Fontaine, de Montesquieu, de Molière, si ces grands écrivains avaient été capables de parler d'eux-mêmes avec cette liberté ou plutôt cette ingénuité d'opinion. N'est-ce point, par exemple, une bonne fortune de trouver sur les Lettres au Censeur, qui parurent en 1820, l'opinion de l'écrivain même qui nous ravit, et nous vengea par ces hardis opuscules? « La petite collection des Lettres au

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Censeur, dit Courier, commença à populariser le nom « de l'auteur. Jusque-là les éloquentes et courageuses dénonciations dont il avait poursuivi les magistrats iniques, qui faisaient peser leur despotisme sur la population timide et muette des campagnes, n'avaient guère retenti « au-delà du département d'Indre-et-Loire. Il était l'écrivain patriote de sa commune, de son canton; il n'était pas encore l'homme populaire de toute la France. Les Lettres ‹ au Censeur, assez répandues, révélèrent au public ce - talent et ce courage nouveau d'un sincère ami du pays,

dont l'esprit, élevé au-dessus de tous les préjugés, voit - partout la vérité, la dit sans aucune crainte, et la dit de - manière à la rendre accessible à tous, vulgaire, et, si l'on veut même, triviale et villageoise. Ajoutez à cela que, par un prodige tout-à-fait inouï, cet écrivain, qui semble ne chercher que le bon sens, s'exprime avec une pureté et une élégance de langage entièrement perdues de nos jours, et qui empreint ses écrits d'un caractère inimitable.

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Tout le monde assurément aura reconnu ici la plume du maître, et, s'il est impossible de rien ajouter à cet éloge des Lettres au Censeur, on conviendra aussi qu'il n'y a rien à en ôter. C'est de ce même ton, avec cette même absence de pruderie littéraire que la notice, dont voilà maintenant l'anonyme assez dévoilé, continue l'histoire et l'examen des écrits du vigneron de la Chavonnière. Elle est postérieure au Pamphlet des Pamphlets, et conséquemment le dernier écrit de Courier, comme s'il eût dû terminer sa carrière par ce rapide et glorieux coup d'œil jeté avec tant de bonne foi sur elle. Il est bien impossible de ne pas s'aider de cette curieuse pièce quand on l'a sous les yeux, et ce serait faire au lecteur un véritable tort, que de ne pas laisser parler Courier toutes les fois qu'on est de son avis sur lui-même. On accepte bien un grand capitaine ou un politique fameux pour historien de ses propres actions; on trouve même qu'il est trop peu de tels historiens; que le plus capable de faire de grandes choses, est aussi le plus capable d'en bien parler. Pourquoi un grand écrivain ne serait-il pas aussi quelquefois le meilleur commentateur de ses propres ouvrages? Courier, par exemple, l'homme de son temps qui sut le mieux l'histoire de notre langue, le seul qui ait possédé le génie particulier de chacun des âges de cette langue, quel serait aujourd'hui le critique compétent à le juger sur toutes ses parties d'écrivain? Boileau, le grand critique du dix-septième siècle, n'osa point parler de La Fontaine; Voltaire en déraisonna, et jusqu'à ces derniers temps, c'est-à-dire jusqu'à Paul Courier, le bonhomme, dont Molière seul comprit la supériorité, n'avait peut-être rencontré ni biographe, ni commentateur qui en sût assez pour parler de lui,

Entre la dernière Lettre au Censeur, et le Simple discours sur la souscription pour Chambord, il y eut un immense progrès dans la réputation de Courier; cependant le talent est le même dans ces deux opuscules, tout l'avan tage du Simple discours est dans l'à-propos, aussi heureux que hardi, de ce fer chaud appliqué sur l'épaule des courtisaus dans le temps même où ils s'agitaient pour donner à un tribut imposé à la faiblesse de beaucoup de gens la couleur d'une amoureuse offrande nationale. Courier fut condamné pour cette brochure à deux mois de prison et, à trois cents francs d'amende. On trouva qu'en disant tout baut: Je ne souscrirai point pour donner Chambord au duc de Bordeaux, il avait offensé la morale.

Or le Simple Discours, comme dit très-bien le biographe anonyme, est un des plus éloquens plaidoyers qu'on ait parlé jamais en faveur de la morale, non publique et telle qu'on l'émet dans nos lois, mais de la morale véritable, telle que les croyances populaires l'ont reconnue. On ne s'étonnera point de voir ce mot d'éloquence appliqué à une production en apparence toute simple, toute naïve. Le vigneron de la Chavonnière semble ne parler qu'à des paysans. comme lui; mais tout en s'accommodant à leur intelligence, il trouve le moyen de faire entendre sur la cour, sur les courtisans, sur les mœurs de l'ancien régime naturellement rappelées par Chambord, ce lieu témoin de tant d'illustres débauches, des choses à faire frémir les intéressés.

La brochure dans laquelle Courier rend compte de son procès, est elle-même un délicieux pamphlet. Quant à l'admirable plaidoyer qui le termine, on ne pense pas que Courier ait jamais sérieusement pensé à le réciter en

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