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lités de sa réintégration n'avaient pas été entièrement remplies, il alla se remettre en Italie des épouvantables impressions qu'il avait été chercher à la grande-armée. Depuis lors son opinion sur les héros, sur la guerre, sur le génie des grands capitaines, a été ce qu'on la voit dans la Conversation chez la duchesse d'Albany. Courier n'a plus voulu croire qu'une pensée, une intention quelconque aient jamais présidé à un désordre comme celui dont il avait été témoin. Il a été jusqu'à nier absolument qu'il y eût un art de la guerre. Peut-être qu'un peu honteux de son équipée de Wagram, il voulut se tromper lui-même par cette exagération.

une

La vie de Courier n'est désormais plus que littéraire. A peine arrivé en Italie, il se rendit à Florence pour y chercher dans la bibliothèque Laurentine un manuscri de Longus, dans lequel existait un passage inédit qui remplissait la lacune remarquée dans toutes les éditions de ce roman. Mais, dans le transport avec lequel il se livrait à un travail qui enrichissait la littérature, certaine quantité d'encre se répandit sur le précieux morceau. C'est là l'histoire de ce fameux pâté qui sembla la destruction du palladium de Florence. Les bibliothécaires dénoncèrent Courier au monde savant, comme ayant anéanti ce grec dans l'original pour trafiquer de la copie, ou pour empêcher qu'on pût vérifier la découverte qu'il s'attribuait. L'affaire eût fait peu de bruit si Courier n'eût voulu répondre aux attaques des cuistres qui le poursuivaient; mais il fit sous le titre de Lettre à M. Renouard, libraire de Paris, qui s'était trouvé présent à la

(1) OEuvres complètes. Sautelet et compagnie.

découverte du Longus, quelques pages remplies de ce fiel satirique, de cette verve d'insolence un peu abandonnée et pourtant de bon goût, dont il n'y avait plus de modèles depuis les réponses de Voltaire à Fréron et à Desfontaines: avec cela le style des Provinciales. La lettre à monsieur Renouard ne pouvait manquer d'attirer l'attention. Le gouvernement lui-même s'en inquiéta. Courier avait voulu intéresser à sa querelle l'opinion en France, toute faible qu'elle était alors. Il insinuait que les pédans florentins ne s'attaquaient à lui si vivement que parce qu'il était Français et qu'on était bien aise, en Italie, de s'en prendre à un pauvre savant de la haine qu'inspirait la vice-royauté. La chose étant montée si haut, on sut que l'homme de la tache d'encre était pré. cisément un chef d'escadron qu'on réclamait à l'armée depuis Wagram. Voilà Courier dans un grand embarras pour s'être si bien vengé des bibliothécaires florentins. Le ministre de l'intérieur voulait le poursuivre comme voleur de grec, et dans le même temps celui de la guerre prétendait le faire juger comme déserteur. Il s'en tira toutefois, mais à la condition de ne plus employer contre personne une plume si hardie; prudence qu'il observa. Courier ne fit donc plus qu'étudier et voyager jusqu'à la paix. Il voyageait en 1812, à l'époque de la conspiration de Mallet. Il était sans passeport; on l'arrêta comme suspect, puis on le relâcha en reconnaissant qu'il ne sc mêlait point de politique. Ce fut là son dernier démêlé avec le régime militaire impérial.

La restauration des Bourbons, le retour et la seconde chute de Bonaparte, furent des événemens trop pressés, trop coup sur coup, pour tirer immédiatement Courier de

TOME I.

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l'inactivité politique à laquelle il s'était condamné. La catastrophe lui avait paru dès long-temps inévitable, et peut-être il y trouvait également de quoi plaindre et de quoi espérer. D'ailleurs, un mariage, qui, sur ces entrefaites même, était venu combler tous ses vœux, l'absorbait en partie. Ainsi dans ces deux années désastreuses, dont les résultats dominent encore l'époque actuelle, Courier ne prit point parti entre Bonaparte et la coalition, entre la vieille cause de Jemmapes, qui de lassitude laissait tomber l'épée, et celle de Coblentz, hypocritement parée de l'olivier de paix. Mais, voir la France envahie deux fois, pillée, insultée, mise à contribution, et tous ces malheurs, toute cette honte ne tourner d'abord qu'au profit d'une famille qui trouvait le trône vide et s'y replaçait; voir une poignée d'émigrés, vagabonds et mendians de la veille, se donner l'orgueil de prendre insolemment l'odieux de ces deux conquêtes; voir d'affreuses persécutions éclater jusque dans la plus paisible et de tout temps la moins révolutionnaire de nos provinces, contre quiconque n'avait pas refusé un gîte et du pain à nos tristes vaincus de Waterloo; il n'y avait pas d'animosité contre Bonaparte, pas de ressentiment contre la tyrannie militaire, pas d'amour du repos et de préférence studieuse, qui pût tenir à un pareil spectacle, chez un homme aussi droit, aussi impressionnable que l'était Courier. Aussi bientôt se montra-t-il parmi les adversaires du nouvel ordre de choses. Alors, seulement, il éprouva quelque fierté d'avoir autrefois combattu l'étranger dans les armées de la république; alors aussi, il cessa de se désavouer lui-même comme soldat de l'empire; car, à Florence, à Mayence, à Marengo, à Wagram, c'était le

même drapeau, c'était la même nécessité révolutionnaire, vaincre pour n'être pas enchaînés, conquérir pour n'être pas conquis.

En prenant le parti d'élever la voix et de dire au public son avis sur les affaires, Courier avait senti, comme un autre, le besoin d'arranger son personnage, et, par un bonheur peu commun, tout dans sa vie passée pouvait prendre la couleur du patriotisme le plus désintéressé. La singularité si rare d'avoir été quinze ans les armes à la main contre les coalitions et l'émigration, sans obtenir, sans briguer faveur ni titres, sans être d'aucun des partis qui s'étaient disputé le pouvoir, lui devenait d'un merveilleux secours pour l'autorité de ses paroles. Ce qui était le fait d'une humeur un peu bizarre, d'un esprit distrait et capricieux, passait sur le compte de la fermeté de caractère et de la supériorité de jugement. Le vigneron de Touraine faisait désormais un même homme avec l'ancien canonnier à cheval. Ce n'était plus par hasard, mais par amour du pays, qu'il était allé à la frontière en 1792. Ce n'était plus par insouciance qu'il était demeuré dans son humble condition, mais par haine du pouvoir qui corrompt. Soldat par devoir, paysan par goût, écrivain par passe-temps, tel il se donnait et tel il fut pris. D'ailleurs ne voulant de la charte qu'autant que le gouvernement en voulait, ni plus ni moins, et ne croyant pas à la subite illumination des aveugles-nés, il prétendait appeler les choses par leur nom, parler aux puissances, suivant leurs intentions bien connues, et non pas suivant celles qu'une opposition trop polie voulait bien leur accorder : l'attitude était vraiment unique.

En tout cela Courier n'obéissait pas moins à l'instinct

de son talent qu'à son indignation d'honnête homme et de citoyen, contre un système de persécution qui atteignait autour de lui quiconque ne voulait point être persécuteur. 11 ne se fit pas long-temps attendre. Au mois de décembre 1816, il adressa aux chambres, pour les habitans de Luynes, la fameuse pétition: Messieurs, je suis Tourangeau. La sensation fut des plus vives. Ce n'était que le tableau de la réaction royaliste dans un village de Touraine; mais la France entière s'y pouvait reconnaître, car partout la situation était la même avec une égale impossibilité de publier la vérité. Courier avait rendu à la nation cet immense service de publicité, dans un écrit de six pages fait pour être recherché de ceux même qui, s'intéressant moins aux victimes qu'aux persécuteurs, se piquaient d'aimer l'esprit en gens de cour. Or, c'était là le point tout dire dans une feuille d'impression et savoir se faire lire. Courier y avait réussi; aucune porte fermée n'avait pu empêcher cette vérité d'arriver à son adresse. M. Decazes, alors ministre de la police, se servit de la pétition contre le parti extrême qu'il ne gouvernait plus et qui voulait le renverser lui-même. Il chercha par toutes sortes de moyens à s'attacher Courier, mais inutilement. Courier ne voulait pas plus qu'auparavant se faire une carrière politique. Il était bien réellement paysan, occupé de sa vigne, de ses bois, de ses champs. Précisément alors ses propriétés avaient à souffrir de la part de gens qui trouvaient protection auprès des autorités du pays; et il était toujours allant et venant de Paris à sa terre, de sa terre à Paris, poussant un procès contre l'un, demandant inutilement justice contre l'autre. Comme M. Decazes réitérait auprès de lui ses assurances d'envie

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