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A qui le bon Platon compare nos merveilles :
Je suis chose légère, et vole à tout sujet;
Je vais de fleur en fleur, et d'objet en objet;
A beaucoup de plaisir je mêle un peu de gloire.
J'irois plus haut peut-être au temple de Mémoire,
Si dans un genre seul j'avois usé mes jours;
Mais, quoi! je suis volage en vers comme en amours.

En faisant mon portrait, moi-même je m'accuse,
Et ne veux point donner mes défauts pour excuse;
Je ne prétends ici que dire ingénument

L'effet bon ou mauvais de mon tempérament.
A peine la raison vint éclairer mon âme,
Que je sentis l'ardeur de ma première flamme.
Plus d'une passion a depuis dans mon cœur
Exercé tous les droits d'un superbe vainqueur.

Tel que fut mon printemps, je crains que l'on ne voie
Les plus chers de mes jours aux vains désirs en proie.

Que me servent ces vers avec soin composés?
N'en attends-je autre fruit que de les voir prisės?
C'est peu que leurs conseils, si je ne sais les suivre,
Et qu'au moins vers ma fin je ne commence à vivre :
Car je n'ai pas vécu; j'ai servi deux tyrans;

Un vain bruit et l'amour ont partagé mes ans.

Qu'est-ce que vivre, Iris? vous pouvez nous l'apprendre.
Votre réponse est prête; il me semble l'entendre :
C'est jouir des vrais biens avec tranquillité;

Faire usage du temps et de l'oisiveté;

S'acquitter des honneurs dus à l'Etre suprême;
Renoncer aux Phillis en faveur de soi-même;
Bannir le fol amour et les vœux impuissans,

Comme hydres dans nos cœurs sans cesse renaissans.

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Vous savez conquérir les États et les hommes;
Jupiter prend de vous des leçons de grandeur;

1. Louis XIV força la république de Gènes à payer cent mille écus que réclamait d'elle le comte de Fiesque. Le comte récita au roi ce remerciment le 7 novembre 1684.

Et nul des rois passés, ni du siècle où nous sommes, N'a su si bien gagner l'esprit avec le cœur.

Dans les emplois de Mars, vos soins, votre conduite,
Votre exemple et vos yeux animent nos guerriers;
Vous étendez partout l'ombre de vos lauriers ;
La terre enfin se voit réduite

A vous venir offrir cent hommages divers;
Vous avez enfin su contraindre
Tous les cantons de l'univers
A vous obéir ou vous craindre.

J'étois près de céder aux destins ennemis,
Quand j'ai vu les Génois soumis,
Malgré les faveurs de Neptune,
Malgré des murs où l'art humain
Croyoit enchaîner la fortune

Que vous tenez en votre main.

Cette main me relève ayant abaissé Gêne;
Je ne l'espérois plus, je n'en suis plus en peine.
Vos moindres volontés sont autant de décrets;

Vos regards sont autant d'oracles :
Je ne consulte qu'eux; et, malgré les obstacles,
Je laisse agir pour moi vos sentimens secrets.

Vous témoignez en tout une bonté profonde,
Et joignez aux bienfaits un air si gracieux,
Qu'on ne vit jamais dans le monde
De roi qui donnât plus, ni qui sût donner mieux.

XX. AU ROI.

DÉDICACE DE L'OPÉRA D'Amadis, POUR LULLI

1684.

Du premier Amadis je vous offre l'image.

Il fut doux, gracieux. vaillant, de haut corsage :
J'y trouverois votre air, à tout considérer,
Si quelque chose à vous se pouvoit comparer.
La Victoire pour lui sut étendre ses ailes;
Mars le fit triompher de tous ses concurrens.
Passa-t-il à l'amour, il eut le cœur des belles :
Vous vous reconnoissez à ces traits différens.
Nul n'a porté si haut cette double conquête :

Les deux moitiés du monde ont su vous couronner;
Et les myrtes qu'Amour vous a fait moissonner
Sont tels, que Jupiter en auroit ceint sa tête.

En vous tout est enchantement.

Plus d'un illustre événement

Rendra chez nos neveux votre histoire incroyable.
Vos beaux faits ont partout tellement éclaté,
Que vous nous réduisez à chercher dans la fable
L'exemple de la vérité.

Voilà, sire, sur vous quelles sont mes pensées :
Pour vous plaire, Uranie en vers les a tracées.
Quant à moi, dont les chants vous attiroient jadis,
Je dois à votre choix ce sujet d'Amadis';

Je vous dois son succès, car j'aurois peine à dire
Entre vous et Phébus lequel des deux m'inspire.

Je ne puis, pour m'en ressentir,
Qu'employer à vous divertir

Mes soins, mon art, et mon génie,
Et tous les momens de ma vie.

Veuillent dans ce projet m'assister les neuf Sœurs !
Je le trouve assez beau pour donner de l'envie
Aux chantres dont l'Olympe admire les douceurs.

XXI.

AU ROI.

DÉDICACE DE L'OPÉRA DE Roland, POUR LULLI.

4685.

Agrécz de mon art les présens ordinaires:

Ne les recevez point, en hommages vulgaires,
Dans la foule de ceux qu'attire ce séjour :
Votre mérite est tel, que tout lui fait la cour.
La déesse aux ailes légères

Lui fait partout des tributaires.
Il en vient des portes du jour :
C'est de là que partit la belle

Qui préféra Médor' au héros de ces vers.
Son hymen attira cent monarques divers.
L'amante de Pàris avoit jadis, comme elle.

1. C'était le roi qui avait donné à Quinault le sujet d'Amadı; 2. Médor, amant d'Angélique, dans le Roland furieux, de l'Arioste.

Intéressé dans sa querelle

Tous les maîtres de l'univers.

Le bruit que ces beautés au dieu Mars ont fait faire,
N'est rien près des combats qu'il entreprend pour vous.
Vos exploits ont rempli l'un et l'autre hémisphère
D'admirateurs et de jaloux.

Au milieu des plaisirs d'un triomphe si doux,
Plaignez le paladin que mon art vous présente.
Son malheur fut d'aimer : quelle âme en est exempte?
Il suivit à la fin de plus sages conseils :

Au lieu de ses amours il servit sa patrie;

Son prince disposa du reste de sa vie.

Vous savez mieux qu'aucun employer ses pareils.

Charlemagne vous cède il vainquit; mais la suite
Détruisit après lui ces grands événemens.
Maintenant notre empire a, par votre conduite,
D'inébranlables fondemens.

Ici les Muses sans alarmes

Se promènent parmi les bois :

Leurs chants en sont plus beaux, aussi bien que leurs voix.
Si j'en crois Apollon, les miens ont quelques charmes .
Puissent-ils relâcher tous vos soins désormais!

Vous imposez silence à la fureur des armes;

Goûtez dans nos chansons les douceurs de la paix

XXII. A S. A. S. MONSEIGNEUR LE PRINCE DE CONTI.

1685.

Pleurez-vous aux lieux où vous êtes'?

La douleur vous suit-elle au fond de leurs retraites?
Ne pouvez-vous lui résister?

Dois-je enfin, rompant le silence,
Ou la combattre, ou la flatter,
Pour adoucir sa violence?

Le dieu de l'Oise est sur ses bords,
Qui prend part à votre souffrance;

Il voudroit les orner par de nouveaux trésors,
Pour honorer votre présence.

Si j'avois assez d'éloquence,

4. A son château de l'Isle-Adam, où il se trouvait exilé, après la mort d'Armand de Conti, son frère aîné.

Je dirois qu'aujourd'hui tout y doit rire aux yeux.
Je ne le dirois pas rien ne rit sous les cieux
Depuis le moment odieux

Qui vous ravit un frère aimé d'amour extrême.
Ce moment, pour en parler mieux,
Vous ravit dès lors à vous-même.

Conti dès l'abord nous fit voir
Une âme aussi grande que belle.
Le ciel y mit tout son savoir,

Puis vous forma sur ce modèle.

Dignes du même encens que les dieux ont là-haut,
Vous attiriez des cœurs l'universel hommage;
L'un et l'autre servoit d'exemplaire et d'image :
Vous aviez tous deux ce qu'il faut
Pour être un parfait assemblage.
Je n'y trouvois qu'un seul défàut,
C'étoit d'avoir trop de courage.
Par cet excès on peut pécher :
Conti méprisa trop la vie.

A travers les périls pourquoi toujours chercher
Les noms dont après lui sa mémoire est suivie?
Ces noms, qu'alors aucun n'envie,

N'ont rien là-bas de consolant :
Achille en est un témoignage.
Il eut un désir violent

De faire honneur à son lignage,

Il souhaita d'avoir un temple et des autels:
Homère en ses vers immortels

Le lui bâtit. Sa propre gloire
Y dure aussi dans la mémoire
Des habitans de l'univers.
Cependant Achille, aux enfers,
Prise moins l'honneur de ce temple
Que la cabane d'un berger.
Profitez-en c'est un exemple

Qui mérite bien d'y songer.

Songez-y donc, seigneur; examinez la chose,
D'autant plus qu'on ne peut y faillir qu'une fois :
L'Acheron ne rend rien. Si nos pleurs étoient cause
Qu'il révoquât ces tristes lois,

Nous reverrions Conti; mais ni le sang des rois,
Ni la grandeur, ni la vaillance,

Ne font changer du Sort la fatale ordonnance

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