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Pour contenter l'esprit, et l'oreille, et les yeux;
Et si je puis la voir une fois la semaine,
A voir jamais Isis je renonce sans peine.

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Charmant objet, digne présent des cieux,
Et ce n'est point langage de Parnasse,
Votre beauté vient de la main des dieux :
Vous l'allez voir au récit que je trace.
Puissent mes vers mériter tant de grâce
Que d'être offerts au dompteur des humains',
Accompagnés d'un mot de votre bouche,
Et présentés par vos divines mains,
De qui l'ivoire embellit ce qu'il touche!

Je me trouvai chez les dieux l'autre jour :
Par quel moyen? j'en perdis la mémoire.
Il me suffit que de l'humain séjour
Je fus porté dans ce lieu plein de gloire.
Un dieu s'en vint; et m'ayant abordé :
<< Mortel, dit-il, Jupin m'a commandé
De te montrer, par grâce singulière,
L'Olympe entier et tout le firmament. >>
Ce dieu c'étoit Mercure, assurément :
Il en avoit tout l'air et la manière.

Après l'abord, il me montra du doigt
Force clartés qui partoient d'un endroit.
« Vois-tu, dit-il, cet enclos de lumière ?
C'est le palais du monarque des dieux. >>
Et moi d'ouvrir incontinent les yeux.

Ce que je vis étoit d'une matière
Qui ne sauroit dignement s'exprimer.
Figurez-vous tout ce qui peut charmer,
Tout ce qui peut éblouir tout ensemble;
Astres brillans, et soleils radieux.

N'y comprenez toutefois vos beaux yeux,
Car leur éclat n'a rien qui leur ressemble.

1. Louis XIV.

LA FONTAINE I

28

Avec Mercure en ce palais entré,
Selon leur rang je vis sur maint degré
Les dieux assis, Jupiter à leur tête :
Tous paroissoient en des atours de fête :
Le Sort ouvrit un livre à cent fermoirs,
Puis fit crier dans les sacrés manoirs
Par trois hérauts, à trois fois différentes,
Le contenu des paroles suivantes :

<< De par Jupin soient les dieux avertis,
Conformément à nos divins usages,
Que l'on va faire au ciel deux mariages
Avant qu'ils soient sur la terre accomplis.

D

Au mot d'hymen je vis chacun se taire,
Et les ouïs par trois fois publier;
L'un pour Conti, l'autre pour l'héritier
Du Jupiter de ce bas hémisphère'.
On applaudit; puis, silence étant fait,
Le dieu des vers lut deux épithalames.
En voici l'un : « Couple heureux et parfait,
Couple charmant, faites durer vos flammes,
Assez longtemps pour nous rendre jaloux ;
Soyez amans aussi longtemps qu'époux.
Douce journée ! et nuit plus douce encore,
Heures, tardez, laissez au lit l'Aurore,
Le temps s'envole; il est cher aux amans;
Profitez donc de ses moindres momens,
Jeune princesse, aimable autant que belle,
Jeune héros, non moins aimable qu'elle,
Le temps s'envole, il faut le ménager;
Plus il est doux, et plus il est léger.

D

Phébus se tut et bien que dans leur âme
Les immortels enviassent Conti,
Du couple heureux et si bien assorti
L'on dit au Sort qu'il prolongeât la trame,
S'il se pouvoit. Puis le père des vers,
Changeant de ton pour l'autre épithalame,
Lut ce qui suit : « Chantez, peuples divers,
Que tout fleurisse aux terres leurs demeures

Le prince de Conti épousa, le 16 janvier 1680, Mlle de Blois, fille naturelle de Louis XIV et de Mme de La Vallière. La même année (7 mars 1680) le dauphin épousa une princesse de Bavière.

Ne tardez plus; avancez, lentes heures;
Allez porter aux humains un printemps
Tel que celui qui commença les temps.
Heures, volez; hâtez l'heur et la joie
Du fils des dieux à qui l'Olympe envoie
Une princesse au regard enchanteur.
Mille beaux dons éclatent dans son cœur;
En son esprit, en son corps mille charmes :
Amour la suit, Amour a pris des armes
Qui soutiendront l'honneur de son carquois.
Prince, il faudra se rendre cette fois. >>

Ces chants finis, je ne saurois vous dire
Comment enfin chacun se sépara.
Mercure seul avec moi demeura.
J'obtins de lui que de ce vaste empire
L'on m'ouvriroit les temples; et je vis
Deux noms fameux, deux noms rivaux prétendre
Le premier rang aux célestes lambris.
L'un, c'est Louis; l'autre, c'est Alexandre.
De ces deux rois je comparai les faits,
Non la personne; elle est trop différente :
Et Statira', qui se méprit aux traits
Du conquérant dont la Grèce se vante,
Au roi des Francs n'auroit jamais erré :
Toujours ce prince aux regards se présente
Mieux fait qu'aucun, dont il soit entouré.
Je vis encore une jeune merveille;

Si ce n'est vous, c'en est une pareille :
Mais c'est vous-même: et Mercure me dit
Comment le ciel un tel œuvre entreprit.

« Mortel, dit-il, il est bon de t'apprendre
Par quel motif ce chef-d'œuvre fut fait.
Un jour Jupin se trouvant satisfait
Des vœux qu'en terre on venoit de lui rendre,
Nous dit à tous : « Je veux récompenser
« De quelque don la terrestre demeure. >>
Le don fut beau, comme tu peux penser;
Minerve en fit un patron tout à l'heure;
Léclat fut pris des feux du firmament;
Chaque déesse, et chaque objet charmant
Qui brille au ciel avec plus d'avantage,

1. Statira, femme de Darius, prit Éphestion pour Alexandre.

Contribua du sien à cet ouvrage.
Pallas y mit son esprit si vanté,
Junon son port, et Vénus sa beauté;

Flore son teint. et les Grâces leurs grâces.
Heureux mortel! en un point tu surpasses
Tous tes pareils; car lequel d'entre vous,
Favorisé jusqu'à ce point par nous,

A jamais vu l'Olympe et sa structure?
Retourne-t'en; conte ton aventure,
Chante aux humains ces miracles divers >>
Il n'eut pas dit, que, sans autre machine,
Je me revis dans le bas univers.
Divin objet, voilà votre origine;
Agréez-en le récit dans ces vers.

XV. LE FLORENTIN.

SATIRE SUR LE MÊME SUJET QUE L'ÉPÎTRE SUIVANTE.

1680.

Le Florentin'
Montre à la fin

Ce qu'il sait faire :

Il ressemble à ces loups qu'on nourrit, et fait bien;
Car un loup doit toujours garder son caractère,
Comme un mouton garde le sien.
J'en étois averti; l'on me dit : « Prenez garde;
Quiconque s'associe avec lui, se hasarde:
Vous ne connoissez pas encor le Florentin;
C'est un paillard, c'est un mâtin
Qui tout dévore,

Happe tout, serre tout il a triple gosier.
Donnez-lui, fourrez-lui, le glout 2 demande encore
Le roi même auroit peine à le rassasier. »

Malgré tous ces avis, il me fit travailler.
Le paillard s'en vint réveiller

Un enfant des neuf Sœurs; enfant à barbe grise,
Qui ne devoit en nulle guise

Etre dupe il le fut, et le sera toujours.

1. C'est Lulli, qui avait refusé de mettre en musique l'opéra de Daphné, de La Fontaine.

2. Vieux mot, pour glouton.

Je me sens né pour être en butte aux méchans tours.
Vienne encore un trompeur, je ne tarderai guère.

Celui-ci me dit : « Veux-tu faire,
Prestò, prestò, quelque opéra,
Mais bon ? ta muse répondra
Du succès par-devant notaire.
Voici comment il nous faudra
Partager le gain de l'affaire.

Nous en ferons deux lots, l'argent et les chansons
L'argent pour moi, pour toi les sons :
Tu t'entendras chanter, je prendrai les testons;
Volontiers je paye en gambades.

J'ai huit ou dix trivelinades

Que je sais sur mon doigt; cela joint à l'honneur
De travailler pour moi, te voilà grand seigneur. »
Peut-être n'est-ce pas tout à fait sa harangue;
Mais, s'il n'eut ces mots sur la langue,

Il les eut dans le cœur. Il me persuada;
A tort, à droit me demanda

Du doux, du tendre, et semblables sornettes,
Petits mots, jargons d'amourettes
Confits au miel; bref il m'enquinauda'.
Je n'épargnai ni soins ni peines
Pour venir à son but et pour le contenter :
Mes amis devoient m'assister;

J'eusse, en cas de besoin, disposé de leurs veines
<< Des amis ! disoit le glouton,
En a-t-on ?

Ces gens te tromperont, ôteront tout le bon,
Mettront du mauvais en la place. »
Tel est l'esprit du Florentin :
Soupçonneux, tremblant incertain,
Jamais assez sûr de son gain,

Quoi que l'on dise ou que l'on fasse.

Je lui rendis en vain sa parole cent fois:
Le b..... avoit juré de m'amuser six mois.
Il s'est trompé de deux; mes amis, de leur grâce,
Me les ont épargnés, l'envoyant où je croi

Qu'il va bien sans eux et sans moi.

4. La Fontaine fait un verbe du nom de Quinault, pour dire : « Il m'enjôla. » Et cela peut vouloir dire encore: « Il me fit faire ce que fait ordinairement Quinault. »

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