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Cet ouvrage est demeuré imparfait pour de secrètes raisons; et, par malheur, ce qui y manque est l'endroit le plus important: je veux dire les réflexions que firent les dieux, même les déesses, sur une si plaisante aventure. Quand j'aurai repris l'idée et le caractère de cette pièce, je l'achèverai. Cependant, comme le dessein de ce recueil a été fait à plusieurs reprises, je me suis souvenu d'une ballade' qui pourra encore trouver sa place parmi ces contes, puisqu'elle en contient un en quelque façon. Je l'abandonne donc, ainsi que le reste, au jugement du public. Si l'on trouve qu'elle soit hors de son lieu, et qu'il y ait du manquement en cela, je prie le lecteur de l'excuser, avec les autres fautes que j'aurai faites.

1. Voy. ci-après p. 485.

FIN DU SONGE DE VAUX

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Remplissez l'air de cris en vos grottes profondes;
Pleurez, nymphes de Vaux, faites croître vos ondes,
Et que l'Anqueuil enflé ravage les trésors

Dont les regards de Flore ont embelli ses bords.
On ne blâmera pas vos larmes innocentes;

Vous pouvez donner cours à vos douleurs pressantes;
Chacun attend de vous ce devoir généreux;

Les Destins sont contens; Oronte est malheureux.
Vous l'avez vu naguère au bord de vos fontaines,
Qui, sans craindre du sort les faveurs incertaines.
Plein d'éclat, plein de gloire, adoré des mortels,
Recevoit des honneurs qu'on ne doit qu'aux autels.
Hélas! qu'il est déchu de ce bonheur suprême!
Que vous le trouveriez différent de lui-même !
Pour lui les plus beaux jours sont de secondes nuits :
Les soucis dévorans, les regrets, les ennuis,

Hôtes infortunés de sa triste demeure,

En des gouffres de maux le plongent à toute heure.

Voilà le précipice où l'ont enfin jeté

Les attraits enchanteurs de la prospérité!

Dans les palais des rois cette plainte est commune;
On n'y connoît que trop les jeux de la Fortune,
Ses trompeuses faveurs, ses appas inconstans;
Mais on ne les connoît que quand il n'est plus temps.
Lorsque sur cette mer on vogue à pleines voiles,
Qu'on croit avoir pour soi les vents et les étoiles,
Il est bien malaisé de régler ses désirs;

Le plus sage s'endort sur la foi des zéphyrs.

Jamais un favori ne borne sa carrière;

4. Ces vers furent publiés par La Fontaine en 1664, peu après l'arrestation de Fouquet, qui eut lieu à Nantes le 5 septembre de cette

même année.

2. L'Anqueuil est une petite rivière qui passe à Vaux. (Note de La Fontaine.)

Il ne regarde pas ce qu'il laisse en arrière.
Et tout ce vain amour des grandeurs et du bruit
Ne le sauroit quitter qu'après l'avoir détruit.
Tant d'exemples fameux que l'histoire en raconte
Ne suffisoient-ils pas, sans la perte d'Oronte?
Ah! si ce faux éclat n'eût pas fait ses plaisirs,
Si le séjour de Vaux eût borné ses désirs,
Qu'il pouvoit doucement laisser couler son âge!
Vous n'avez pas chez vous ce brillant équipage,
Cette foule de gens qui s'en vont chaque jour
Saluer à longs flots le soleil de la Cour :
Mais la faveur du ciel vous donne en récompense
Du repos, du loisir, de l'ombre et du silence,
Un tranquille sommeil, d'innocens entretiens;
Et jamais à la cour on ne trouve ces biens.

Mais quittons ces pensers: Oronte nous appelle.
Vous, dont il a rendu la demeure si belle,
Nymphes, qui lui devez vos plus charmans appas,
Si le long de vos bords Louis porte ses pas,
Tâchez de l'adoucir, fléchissez son courage :
Il aime ses sujets, il est juste, il est sage;
Du titre de clément rendez-le ambitieux;

C'est par là que les rois sont semblables aux dieux.
Du magnanime Henri qu'il contemple la vie;
Dès qu'il put se venger il en perdit l'envie.
Inspirez à Louis cette même douceur :

La plus belle victoire est de vaincre son cœur.
Oronte est à présent un objet de clémence;
S'il a cru les conseils d'une aveugle puissance,
Il est assez puni par son sort rigoureux;
Et c'est être innocent que d'être malheureux.

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Amour, que t'ai-je fait? dis-moi quel est mon crime :
D'où vient que je te sers tous les jours de victime?
Qui t'oblige à m'offrir encor de nouveaux fers?
N'es-tu point satisfait des maux que j'ai soufferts?
Considère, cruel; quel nombre d'inhumaines
Se vante de m'avoir appris toutes tes peines;
Car, quant à tes plaisirs, on ne m'a jusqu'ici
Fait connoître que ceux qui sont peines aussi.

J'aimois, je fus heureux tu me fus favorable
En un âge où j'étois de tes dons incapable.
Chloris vint une nuit je crus qu'elle avoit peur.
Innocent! Ah! pourquoi hâtoit-on mon bonheur?
Chloris se pressa trop; au contraire, Amarylle
Attendit trop longtemps à se rendre facile.
Un an s'étoit déjà sans faveurs écoulé,
Quand l'époux de la belle aux champs étant allé,
J'aperçus dans les yeux d'Amarylle gagnée
Que l'heure du berger n'étoit pas éloignée.
Elle fit un soupir, puis dit en rougissant :

Je ne vous aime point, vous êtes trop pressant :
Venez sur le minuit, et qu'aucun ne vous voie. >>
Quel amant n'auroit cru tenir alors sa proie?
En fut-il jamais un que l'on vît approcher
Plus près du bon moment sans y pouvoir toucher?
Amarylle m'aimoit; elle s'étoit rendue

Après un an de soin et de peine assidue.

Les chagrins d'un jaloux irritoient nos désirs;

Nos maux nous promettoient des biens et des plaisirs.
La nuit que j'attendois tendit enfin ses voiles,
Et me déroba même aux yeux de ses étoiles :
Ni joueur, ni filou, ni chien ne me troubla.
J'approchai du logis on vint, on me parla;
Ma fortune, ce coup, me sembloit assurée.
« Venez demain, dit-on, la clef s'est égarée. >>>
Le lendemain l'époux se trouva de retour.

Eh bien! me plains-je à tort? me joues-tu pas, Amour?

Te souvient-il encor de certaine bergère?

On la nomme Phyllis; elle est un peu légère :

Son cœur est soupçonné d'avoir plus d'un vainqueur;
Mais son visage fait qu'on pardonne à son cœur.
Nous nous trouvâmes seuls : la pudeur et la crainte
De roses et de lis à l'envi l'avoient peinte.

Je triomphai des lis et du cœur dès l'abord;

Le reste ne tenoit qu'à quelque rose encor.

Sur le point que j'allois surmonter cette honte,

On me vint interrompre au plus beau de mon conte :
Iris entre; et depuis je n'ai pu retrouver
L'occasion d'un bien tout près de m'arriver.

Si quelque autre faveur a payé mon martyre,
Je ne suis point ingrat, Amour, je vais la dire :
La sévère Diane, en l'espace d'un mois,
Si je sais bien compter, m'a souri quatre fois :

Chloé pour mon trépas a fait semblant de craindre:
Amarante m'a plaint; Doris m'a laissé plaindre;
Clarice a d'un regard mon tourment couronné;
Je me suis vu languir dans les yeux de Daphné.
Ce sont là tous les biens donnés à mes souffrances;
Les autres n'ont été que vaines espérances;

Et, même en me trompant, cet espoir a tant fait
Que le regret que j'ai les rend maux en effet.

Quant aux tourmens soufferts en servant quelque ingrate,
C'est où j'excelle: Amour, tu sais si je me flatte.
Te souvient-il d'Aminte? il fallut soupirer,
Gémir, verser des pleurs, souffrir sans murmurer,
Devant que mon tourment occupât sa mémoire;
Y songeoit-elle encor? hélas! l'osé-je croire?
Caliste faisoit pis: et, cherchant un détour,
Répondoit d'amitié quand je parlois d'amour.
Je lui donne le prix sur toutes mes cruelles.
Enfin, tu ne m'as fait adorer tant de belles
Que pour me tourmenter en diverses façons.
Cependant ce n'est pas assez de ces leçons :

Tu me fais voir Clymène : elle a beaucoup de charmes;
Mais pour une ombre vaine elle répand des larmes;
Son cœur dans un tombeau fait vou de s'enfermer,
Et, capable d'amour, ne me sauroit aimer.

Il ne me restoit plus que ce nouveau martyre:
Veux-tu que je l'éprouve, Amour? tu n'as qu'à dire.
Quand tu ne voudrois pas, Clymène aura mon cœur :
Dis-le-lui, car je crains d'irriter sa douleur

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Me voici rembarqué sur la mer amoureuse,
Moi pour qui tant de fois elle fut malheureuse;
Qui ne suis pas encor du naufrage essuyė,
Quitte à peine d'un vœu nouvellement payé.
Que faire? mon destin est tel qu'il faut que j'aime.
On m'a pourvu d'un cœur peu content de lui-même,
Inquiet, et fécond en nouvelles amours:

Il aime à s'engager, mais non pas pour toujours.

Si faut-il une fois brûler d'un feu durable :

Que le succès en soit funeste ou favorable,
Qu'on me donne sujet de craindre ou d'espérer.

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