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le flambeau de toute recherche dogmatique. Et cette heureuse direction imprimée à la science, et que nous nous plaisons ici à signaler, émane sans doute, avant toutes choses, de l'esprit général de notre siècle, mais aussi et incontestablement des efforts de quelques hommes éminents qui ont su joindre à l'autorité de la parole l'autorité plus entraînante encore de l'exemple, et dont les nombreux et utiles travaux ont prouvé à nos savants voisins d'outreRhin que la France n'est pas exclusivement un pays de doctrines, mais aussi une terre d'érudition philosophique.

Arrivés à ce point, reportons en arrière un rapide coup-d'œil, et résumons en deux mots les considérations qui viennent d'être présentées.

La méthode véritablement et légitimement applicable aux recherches philosophiques en général nous a paru résulter de la combinaison des caractères suivants : méthode expérimentale, méthode psychologique, méthode critique.

A ces caractères fondamentaux, nous avons réclamé auxiliairement pour la philosophie morale le concours d'une psychologie comparative, le concours de l'histoire de la philosophie, enfin, accessoirement, l'alliance de la physiologie et de l'histoire générale de l'humanité.

Quant à l'objet de la philosophie, nous croi

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rions n'avoir indiqué que le côté le moins important et le moins noble du rôle de cette science, si nous ne tenions compte ici

que de

la spéculation, exclusivement de toute pratique. La spéculation sans la pratique serait chose stérile, et une pareille philosophie demeurerait sans influence et sans action sur le bonheur de l'homme et sa destination morale. Sans doute, et avant tout, la philosophie doit s'attacher à la recherche du vrai, mais à la condition ultérieure de réaliser dans l'ordre moral et social les conceptions obtenues. Le vrai donc d'abord, mais le vrai pour le bien; le premier comme condition, le second comme complément. Tel nous paraît, dans sa plénitude, l'objet de la véritable philosophie, à la fois contemplative et active, et sachant transporter à l'éducation, au gouvernement des nations et de la société les idées du vrai, du beau et du bien, qu'elle a puisées dans la spéculation.

PROTAGORAS.

Si nous avions quelque propension au paradoxe, le travail que nous entreprenons ici pourrait être pour nous une occasion de tenter la réhabilitation des sophistes. Mais nous ne visons pas à une originalité qui nous coûterait le sacrifice de la vérité; et, nous le disons dès l'abord, nous aimons mieux avoir raison avec tout le monde que de chercher dans des opinions contraires au sentiment commun une singularité qui ne s'obtiendrait que moyennant le concours de l'erreur. Pleins de respect pour les décisions de la raison universelle, nous regardons comme sans appel possible l'arrêt de réprobation que l'humanité entière a fait peser depuis vingtquatre siècles sur le sophistisme; et, bien qu'aujourd'hui nous n'ayons plus entre les mains toutes les pièces de ce grand procès, néanmoins cet arrêt si unanimement prononcé et si constamment maintenu contre une secte célèbre nous paraîtrait inexplicable, si les philosophes qui l'ont porté, et l'humanité entière qui y a adhéré n'avaient été déterminés par les motifs

les plus impérieux et les plus graves. Encore une fois donc, nous n'entreprenons point ici de relever le sophistisme de la condamnation que, depuis Socrate jusqu'à nos jours, la philosophie et le sens commun se sont accordés à prononcer et à confirmer contre lui; nous essayons seulement, dans la mesure de la possibilité et de nos forces, de réunir ici quelques documents sur l'un de ses représentants les plus populaires et les plus célèbres, Protagoras.

On ne retrouve point chez les sophistes cette unité de dogmes et de doctrines qui seule peut constituer une secte philosophique. Les sophistes ne formaient pas, à proprement dire, une école, mais ils appartenaient à toutes les écoles. Quand les doctrines ioniennes, italiques, abdéritaines, agrigentines, éléatiques se furent définitivement constituées sous les disciples de Thalès, de Pythagore, de Xénophane, de Leucippe, d'Empedocle, il leur fallut des hommes pour les vulgariser et les répandre. C'est alors que, rhapsodes de la science, les sophistes allèrent à travers la Grèce propager les systèmes des grands maîtres et faire d'Athènes le foyer commun où vinrent converger toutes les doctrines philosophiques; et il faut avouer que cette partie de leur rôle ne fut ni sans utilité pour la science, ni sans gloire pour eux-mêmes. Dans

ce rendez-vous que s'étaient donné à Athènes les divers systèmes philosophiques personnifiés dans Gorgias, dans Prodicus, dans Polus, dans Hippias, dans Calliclès, Protagoras le premier d'entre eux tous et par l'âge et par la célébrité apparut comme le représentant des doctrines abdéritaines et comme l'héritier de Démocrite et de Leucippe.

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Protagoras était né à Abdère, ville de Thrace, déjà célèbre par la naissance du créateur de la philosophie atomistique. Il est bien vrai qu'un poète tragique, Eupolis, dans un drame intitulé Les Flatteurs, lui donne pour patrie la ville de Τέος ', ἔνδοθι μέν ἔστι Πρωταγόρας ὁ Τήιος ; mais le témoignage d'Héraclide du Pont qui le fait naître à Abdère est confirmé par Platon 3. Quant à l'époque de sa naissance, elle n'a jamais été déterminée d'une manière bien précise. Diogène de Laërte, son biographe, se contente de dire qu'il était dans la force de l'âge vers la quatre-vingt-quatrième olympiade (444 avant J.-C.), ἀκμάζειν κατὰ τὴν τετάρτην καὶ ὀγδοηκοστὴν 'Oxuμáda. Or, il est permis d'inférer de ce texte

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3 Voir le Protagoras de Platon, trad. de M. Cousin, t. 3,

L'ami de Socrate

Socrate: Un étranger.

P. 11.

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