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n'y avoit point d'espérance ni de crainte qui pût l'obliger à faire une paix qu'elle n'auroit point imposée.

Il n'y a rien de si puissant qu'une république où l'on observe les loix, non pas par crainte, non pas par raison, mais par passion, comme furent Rome et Lacédémone; car pour lors il se joint à la sagesse d'un bon gouvernement toute la force que pourroit avoir une faction.

Les Carthaginois se servoient de troupes étrangères, et les Romains employoient les leurs. Comme ces derniers n'avoient jamais regardé les vaincus que comme des instrumens pour des triomphes futurs, ils rendirent soldats tous les peuples qu'ils avoient soumis; et plus ils eurent de peine à les vaincre, plus ils les jugèrent propres à être incorporés dans leur république. Ainsi nous voyons les Samnites, qui ne furent subjugués qu'après vingt-quatre triomphes (1), devenir les auxiliaires des Romains; et, quelque temps avant la seconde guerre punique, ils tirèrent d'eux et de leurs alliés, c'est-à-dire, d'un pays qui n'étoit guère plus grand (1) Florus, liv. I,

que les états du Pape et de Naples, sept cent mille hommes de pied, et soixante et dix mille de cheval, pour opposer aux Gaulois (1).

Dans le fort de la seconde guerre punique, Rome eut toujours sur pied de vingt-deux à vingt-quatre légions; cependant il paroît, par Tite-Live, que le cens n'étoit pour lors que d'environ cent trente-sept mille citoyens.

Carthage employoit plus de forces pour attaquer, que Rome pour se défendre: celle-ci, comme on vient de le dire, arma un nombre d'hommes prodigieux contre les Gaulois et Annibal qui l'attaquoient, et elle n'envoya que deux légions contre les plus grands rois : ce qui rendit ses forces éternelles.

L'établissement de Carthage dans son pays étoit moins solide que celui de Rome dans le sien; cette dernière avoit trente colonies autour d'elle, qui en étoient comme les remparts (2). Avant la bataille de Cannes, aucun allié ne l'avoit abandonnée; c'est que les Sam

(1) Voyez Polybe. Le sommaire de Florus dit qu'ils levèrent 300,000 hommes dans la ville et chez les Latins.

(2) Tite-Live, liv. XXVII.

nites et les autres peuples d'Italie étoient accoutumés à sa domination.

La plupart des villes d'Afrique, étant peu fortifiées, se rendoient d'abord à quiconque se présentoit pour les prendre aussi, tous ceux qui y débarquèrent, Agathocle, Régulus, Scipion, mirent-ils d'abord Carthage au désespoir.

On ne peut guère attribuer qu'à un mauvais gouvernement ce qui leur arriva dans toute la guerre que leur fit le premier Scipion : leur ville et leurs armées même étoient affamées, tandis que les Romains étoient dans l'abondance de toutes choses (1).

Chez les Charthaginois, les armées qui avoient été battues devenoient plus insolentes; quelquefois elles mettoient en croix leurs généraux, et les punissoient de leur propre lâcheté. Chez les Romains, le consul décimoit les troupes qui avoient fui, et les ramenoit contre les ennemis.

Le gouvernement des Carthaginois étoit très-dur (2). Ils avoient si fort Voyez Appien, liber ly bicus.

Voyez ce que dit Polybe de leurs exactì as sur-tout dans le fragment du liv. IX. Extrait des verius et des vices,

tourmenté les peuples d'Espagne, que lorsque les Romains y arrivèrent, ils furent regardés comme des libérateurs ; et, si l'on fait attention aux sommes immenses qu'il leur en coûta pour soutenir une guerre où ils succombèrent, on verra bien que l'injustice est mauvaise ménagère, et qu'elle ne remplit pas même ses vues.

La fondation d'Alexandrie avoit beaucoup diminué le commerce de Carthage. Dans les premiers temps, la superstition bannissoit en quelque façon les étrangers de l'Egypte ; et lorsque les Perses l'eurent conquise, ils n'avoient songé qu'à affoiblir leurs nouveaux sujets mais, sous les rois grecs, l'Egypte fit presque tout le commerce du monde, et celui de Carthage commença à déchoir.

Les puissances établies par le commerce peuvent subsister long-temps dans leur médiocrité ; mais leur grandeur est de peu de durée. Elles s'élèvent peu à peu, et sans que personne s'en apperçoive; car elles ne font aucun acte particulier qui fasse du bruit et signale leur puissance: mais lorsque la chose est venue au point qu'on ne peut

plus s'empêcher de la voir, chacun cherche à priver cette nation d'un avantage qu'elle n'a pris, pour ainsi dire, que par surprise.

La cavalerie carthaginoise valoit mieux que la romaine, par deux raisons; l'une, que les chevaux numides et espagnols étoient meilleurs que ceux d'Italie; et l'autre, que la cavalerie romaine étoit mal armée : car ce ne fut que dans les guerres que les Romains firent en Grèce, qu'ils changèrent de manière, comme nous l'apprenons de Polybe (1).

Dans la première guerre punique, Régulus fut battu, dès que les Carthaginois choisirent les plaines pour faire combattre leur cavalerie; et, dans la seconde, Annibal dut à ses Numides ses principales victoires (2).

Scipion ayant conquis l'Espagne, et fait alliance avec Massinisse, ôta aux Carthaginois cette supériorité. Ce fut la cavalerie numide qui gagna la bataille de Zama, et finit la guerre.

(1) Livre VI.

(2) Des corps entiers de Numides passèrent da etté des Romains, qui dès-lors commencèrent à respirer.

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